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l’auteur de la nature n’est pas la cause de tout. Conséquemment, si l’on suppose un être intelligent qui ne soit que la cause du bien, mais qui n’ait pas voulu ou qui n’ait pu prévenir le mal absolu que le hasard ou quelque intelligence rivale a produit, cet être est impuissant ou défectueux ; car ne pouvoir prévenir un mal absolu, c’est impuissance : ne vouloir pas le prévenir quand on le peut, c’est mauvaise volonté.

L’Être tout-puissant dans la nature, et qu’on suppose la gouverner avec intelligence et bonté, c’est ce que les hommes, d’un consentement unanime, ont appelé Dieu.

S’il y a dans la nature plusieurs êtres, et semblables et supérieurs, ce sont autant de dieux.

Si cet être supérieur, supposé qu’il n’y en ait qu’un ; si ces êtres supérieurs, supposé qu’il y en ait plusieurs, ne sont pas essentiellement bons, on les appelle démons.

Croire que tout a été fait et ordonné, que tout est gouverné pour le mieux par une seule intelligence essentiellement bonne, c’est être un parfait théiste[1].

Ne reconnaître dans la nature d’autre cause, d’autre principe des êtres que le hasard ; nier qu’une intelligence suprême ait fait, ordonné, disposé tout à quelque bien général ou particulier, c’est être un parfait athée.

Admettre plusieurs intelligences supérieures, toutes essentiellement bonnes, c’est être polythéiste.

Soutenir que tout est gouverné par une ou plusieurs intelligences capricieuses qui, sans égard pour l’ordre, n’ont d’autres lois que leurs volontés qui ne sont pas essentiellement bonnes, c’est être démoniste.

Il y a peu d’esprits qui aient été en tout temps invariablement attachés à la même hypothèse sur un sujet aussi profond que la cause universelle des êtres et l’économie générale du monde : de l’aveu même des personnes les plus religieuses[2], toute leur foi leur suffit à peine, en certains moments, pour les soutenir dans la conviction d’une intelligence suprême ; il est des conjonctures où, frappées des défauts apparents de l’adminis-

  1. Gardez-vous bien de confondre ce mot avec celui de déiste. Voyez le Traité de la véritable religion, par M. l’abbé de La Chambre, docteur de Sorbonne, si vous voulez être instruit à fond du théisme et du déisme. (Diderot.)
  2. Pene moti sunt pedes mei, pacem peccatorum videns. David, in Psal. (D.)