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DISCOURS PRÉLIMINAIRE




Nous ne manquons pas de longs traités de morale ; mais on n’a point encore pensé à nous en donner des éléments ; car je ne peux appeler de ce nom ni ces conclusions futiles qu’on nous dicte à la hâte dans les écoles, et qu’heureusement on n’a pas le temps d’expliquer, ni ces recueils de maximes sans liaison et sans ordre, où l’on a pris à tâche de déprimer l’homme, sans s’occuper beaucoup de le corriger. Ce n’est pas qu’il n’y ait quelque différence à faire entre ces deux sortes d’ouvrages : j’avoue qu’il y a plus à profiter dans une page de La Bruyère que dans le volume entier de Pourchot[1] ; mais il faut convenir aussi qu’ils sont les uns et les autres incapables de rendre un lecteur vertueux par principes.

La science des mœurs faisait la partie principale de la philosophie des Anciens, en cela, ce me semble, beaucoup plus sages que nous. On croirait, à la façon[2] dont nous la traitons, ou qu’il

  1. L’ouvrage dont veut parler ici Diderot a pour titre Institutiones Philosophicæ ; la quatrième édition en fut donnée en 1744, in-4o. L’auteur est Edme Pourchot, né à Pouilly, près Auxerre, en 1651, et mort à Paris le 22 juin 1734. (Br.)
  2. You must allow me, Palemon, thus to bemoan Philosophy ; since you have forced me to engage with her at a time when her credit runs so low. She is no longer active in the world ; nor can she hardly, with any advantage, be brought upon the public Stage. We have immured her (poor Lady !) in colleges and cells ; and have set her servilely to such works as those in the mines. Empirics, and pedantic sophists are her chief pupils. The schoolsyllogism and the Elixir, are the choicest of her products. So far is she from producing statesmen as of old, that hardly any man of note in the public cares to own the least obligation to her. If some few maintain their acquaintance, and come now and then to her recesses, it is as the disciple of quality came to his lord and master ; « secretly and by night. » Peinture admirable du triste état de la philosophie parmi nous, mais qu’on ne peut rendre dans notre langue avec toute sa force. (Diderot.)