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LETTRE SUR LES SOURDS ET MUETS

un vers à Homère, que d’arracher un clou à la massue d’Hercule. Plus un poëte est chargé de ces hiéroglyphes, plus il est difficile à rendre ; et les vers d’Homère en fourmillent. Je n’en veux pour exemple que ceux où Jupiter aux sourcils d’ébène, confirme à Thétis aux épaules d’ivoire, la promesse de venger l’injure faite à son fils.


Ἦ, καὶ κυανέῃσιν ἐπ’ ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων·
Ἀμϐρόσιαι δ’ ἄρα χαῖται ἐπεῤῥώσαντο ἄνακτος
κρατὸς ἀπ’ ἀθανάτοιο· μέγαν δ’ ἐλέλιξεν Ὄλυμπον.

Iliad. I, vers 528 — 530.


Combien d’images dans ces trois vers ! On voit le froncement des sourcils de Jupiter dans ἐπ’ ὀφρύσι, dans νεῦσε Κρονίων, et surtout dans le redoublement heureux des Κ, d’ἦ, καὶ κυανέῃσιν: la descente et les ondes de ses cheveux, dans ἐπεῤῥώσαντο ἄνακτος ; la tête immortelle du dieu, majestueusement relevée par l’élision d’ἀπὸ dans ἀπ’ ἀθανάτοιο ; l’ébranlement de l’Olympe dans les deux premières syllabes d’ἐλέλιξεν ; la masse et le bruit de l’Olympe, dans les dernières de μέγαν et ἐλέλιξεν, et dans le dernier mot entier, où l’Olympe ébranlé retombe avec le vers, Ὄλυμπον.

Ce vers, qui s’est rencontré au bout de ma plume, rend faiblement, à la vérité, deux hiéroglyphes, l’un de Virgile, et l’autre d’Homère ; l’un d’ébranlement, et l’autre de chute.


Où l’Olympe ébranlé retombe avec le vers.
. . . . . . Ἐλέλιξεν Ὄλυμπον.
. . . . . . Procumbit humi bos.

Virgil., Æneid., lib. V, vers 481.


C’est le retour des λ dans ἐλέλιξεν Ὄλυμπον qui réveille l’idée d’ébranlement. Le même retour des L se fait dans où l’Olympe ébranlé, mais avec cette différence, que les L y étant plus éloignées les unes des autres, que dans ἐλέλιξεν Ὄλυμπον, l’ébranlement est moins prompt et moins analogue au mouvement des sourcils. Retombe avec le vers, rendrait assez bien le Procumbit humi bos, sans la prononciation de vers qui est moins sourde et moins emphatique que celle de bos, qui, d’ailleurs, se sépare beaucoup mieux d’avec humi, que vers ne