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sommes assurés du bruit qui se fait le jour à Paris que par le silence de la nuit, il y aura en nous des sensations qui nous échapperont souvent par leur continuité. Telle sera celle de notre existence. L’âme ne s’en aperçoit que par un retour sur elle-même, surtout dans l’état de santé. Quand on se porte bien, aucune partie du corps ne nous instruit de son existence ; si quelqu’une nous en avertit par la douleur, c’est, à coup sûr, que nous nous portons mal ; si c’est par le plaisir, il n’est pas toujours certain que nous nous portions mieux.

Il ne tiendrait qu’à moi de suivre ma comparaison plus loin, et d’ajouter que les sons rendus par le timbre ne s’éteignent pas sur-le-champ ; qu’ils ont de la durée ; qu’ils forment des accords avec ceux qui les suivent : que la petite figure attentive les compare et les juge consonants ou dissonants ; que la mémoire actuelle, celle dont nous avons besoin pour juger et pour discourir, consiste dans la résonnance du timbre ; le jugement, dans la formation des accords, et le discours, dans leur succession ; que ce n’est pas sans raison qu’on dit de certains cerveaux qu’ils sont mal timbrés. Et cette loi de liaison, si nécessaire dans les longues phrases harmonieuses, cette loi, qui demande qu’il y ait entre un accord et celui qui le suit au moins un son commun, resterait-elle donc ici sans application ? Ce son commun, à votre avis, ne ressemble-t-il pas beaucoup au moyen terme du syllogisme ? Et que sera-ce que cette analogie qu’on remarque entre certaines âmes, qu’un jeu de la nature qui s’est amusée à mettre deux timbres, l’un à la quinte, et l’autre à la tierce d’un troisième ? Avec la fécondité de ma comparaison et la folie de Pythagore, je vous démontrerais la sagesse de cette loi des Scythes, qui ordonnait d’avoir un ami, qui en permettait deux, et qui en défendait trois. Parmi les Scythes, vous dirais-je, une tête était mal timbrée, si le son principal qu’elle rendait n’avait dans la société aucun harmonique ; trois amis formaient l’accord parfait ; un quatrième ami surajouté, ou n’eût été que la réplique de l’un des trois autres, ou bien il eût rendu l’accord dissonant.

Mais je laisse ce langage figuré, que j’emploierais tout au plus pour récréer et fixer l’esprit volage d’un enfant ; et je reviens au ton de la philosophie, à qui il faut des raisons et non des comparaisons.