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leurs lois contre l’adultère seraient bien rigoureuses. Il serait si facile aux femmes de tromper leurs maris, en convenant d’un signe avec leurs amants !

Il juge de la beauté par le toucher ; cela se comprend : mais ce qui n’est pas si facile à saisir, c’est qu’il fait entrer dans ce jugement la prononciation et le son de la voix. C’est aux anatomistes à nous apprendre s’il y a quelque rapport entre les parties de la bouche et du palais, et la forme extérieure du visage. Il fait de petits ouvrages au tour et à l’aiguille ; il nivelle à l’équerre ; il monte et démonte les machines ordinaires ; il sait assez de musique pour exécuter un morceau dont on lui dit les notes et leurs valeurs. Il estime avec beaucoup plus de précision que nous la durée du temps, par la succession des actions et des pensées. La beauté de la peau, l’embonpoint, la fermeté des chairs, les avantages de la conformation, la douceur de l’haleine, les charmes de la voix, ceux de la prononciation sont des qualités dont il fait grand cas dans les autres.

Il s’est marié pour avoir des yeux qui lui appartinssent. Auparavant, il avait eu dessein de s’associer un sourd qui lui prêterait des yeux, et à qui il apporterait en échange des oreilles. Rien ne m’a tant étonné que son aptitude singulière à un grand nombre de choses ; et lorsque nous lui en témoignâmes notre surprise : « Je m’aperçois bien, messieurs, nous dit-il, que vous n’êtes pas aveugles : vous êtes surpris de ce que je fais ; et pourquoi ne vous étonnez-vous pas aussi de ce que je parle ? » Il y a, je crois, plus de philosophie dans cette réponse qu’il ne prétendait y en mettre lui-même. C’est une chose assez surprenante que la facilité avec laquelle on apprend à parler.

Nous ne parvenons à attacher une idée à quantité de termes qui ne peuvent être représentés par des objets sensibles, et qui, pour ainsi dire, n’ont point de corps, que par une suite de combinaisons fines et profondes des analogies que nous remarquons entre ces objets non sensibles et les idées qu’ils excitent ; et il faut avouer conséquemment qu’un aveugle-né doit apprendre à parler plus difficilement qu’un autre, puisque le nombre des objets non sensibles étant beaucoup plus grand pour lui, il a bien moins de champ que nous pour comparer et pour combiner. Comment veut-on, par exemple, que le mot physionomie se