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fut déconcerté. Pendant qu’il rappelait ses esprits et qu’il se disposait à répondre, il se répandait sur tous les visages une maligne joie qui naissait apparemment de quelques secrets mouvements de jalousie dont les âmes les plus philosophes ne se défendent pas toujours assez bien. Philoxène avait triomphé jusqu’alors, et l’on n’était pas fâché de le voir embarrassé, et cela par un ennemi qu’il avait traité assez cavalièrement. Je ne te dirai rien de la réplique de Philoxène. À peine eut-il commencé que le ciel s’obscurcit ; un nuage épais nous déroba le spectacle de la nature, et nous nous trouvâmes dans une nuit profonde, ce qui nous détermina à finir notre querelle, et à en renvoyer la décision à ceux qui nous avaient députés.

55. Nous reprimes donc la route de notre allée. On y écouta le récit de notre voyage et de nos entretiens. On y pèse actuellement nos raisons ; et si l’on y prononce jamais un jugement définitif, je t’en instruirai.

56. Sache seulement qu’Athéos trouva à son retour sa femme enlevée, ses enfants égorgés, et sa maison pillée. On soupçonnait l’aveugle contre qui il avait disputé à travers la haie, et à qui il avait appris à mépriser la voix de la conscience et les lois de la société, toutes les fois qu’il pourrait s’en affranchir sans danger, d’avoir abandonné secrètement l’allée des épines, et commis ce désordre dont l’absence d’Athéos et l’éloignement de tout témoin lui promettaient l’impunité. Le plus chagrinant de cette aventure pour le pauvre Athéos, c’est qu’il n’avait pas seulement la liberté de se plaindre tout haut ; car enfin l’aveugle avait été conséquent.