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ces rêveries est absolument nécessaire pour être admis dans le palais de notre monarque. Tu me demanderas sans doute ce que sont devenus tous ceux qui ont précédé la promulgation du nouveau code. Ma foi, je n’en sais rien… Ceux qui prétendent être dans le secret, disent, pour disculper le prince, qu’il avait révélé ces choses, comme le mot du guet, à ses anciens officiers généraux ; mais ils ne le justifient point d’avoir réformé toute la soldatesque qui s’en allait bonnement, et qui dut être bien étonnée, en arrivant à sa cour, de se voir traiter avec tant d’ignominie, pour avoir ignoré ce qu’elle n’avait jamais pu savoir.

10. L’armée réside dans des provinces peu connues. En vain publie-t-on que tout y abonde : il faut qu’on y soit mal ; car ceux-mêmes qui nous enrôlent n’articulent rien de précis, s’en tiennent aux termes généraux, craignent de joindre, et partent le plus tard qu’ils peuvent.

11. Trois chemins y conduisent ; on en voit un à gauche qui passe pour le plus sûr, et qui n’est dans le vrai que le plus pénible. C’est un petit sentier long, étroit, escarpé, embarrassé de cailloux et d’épines dont on est effrayé, qu’on suit à regret, et qu’on est toujours sur le point de quitter.

12. On en rencontre devant soi un second, spacieux, agréable, tout jonché de fleurs ; sa pente paraît douce. On se sent porté naturellement à le suivre ; il abrège la route, ce qui n’est point un avantage ; car, comme il est agréable, on ne serait pas fâché qu’il fût long. Si le voyageur est prudent, et qu’il vienne à considérer attentivement ce chemin, il le trouve inégal, tortueux, et peu sûr. Sa pente lui paraît rapide ; il aperçoit des précipices sous les fleurs ; il craint d’y faire des faux pas ; il s’en éloigne, mais à regret ; il y revient pour peu qu’il s’oublie : et il n’y a personne qui ne s’oublie quelquefois.

13. À droite est une petite allée sombre, bordée de marronniers, sablée, plus commode que le sentier des épines, moins agréable que l’allée des fleurs, plus sûre que l’une et l’autre, mais difficile à suivre jusqu’au bout, tant son sable devient mouvant sur la fin.

14. On trouve dans l’allée des épines des haires, des cilices, des disciplines, des masques, des recueils de pieuses rêveries, des colifichets mystiques, des recettes pour garantir sa robe de taches, ou pour la détacher, et je ne sais combien d’instructions