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ne dois point être surpris qu’une chose arrive lorsqu’elle est possible, et que la difficulté de l’événement est compensée par la quantité des jets. Il y a tel nombre de coups dans lesquels je gagerais, avec avantage, d’amener cent mille six à la fois avec cent mille dés. Quelle que fût la somme finie des caractères avec laquelle on me proposerait d’engendrer fortuitement l’Iliade, il y a telle somme finie de jets qui me rendrait la proposition avantageuse : mon avantage serait même infini si la quantité de jets accordée était infinie. Vous voulez bien convenir avec moi, continuerait-il, que la matière existe de toute éternité, et que le mouvement lui est essentiel. Pour répondre à cette faveur, je vais supposer avec vous que le monde n’a point de bornes ; que la multitude des atomes était infinie, et que cet ordre qui vous étonne ne se dément nulle part : or, de ces aveux réciproques, il ne s’ensuit autre chose, sinon que la possibilité d’engendrer fortuitement l’univers est très-petite, mais que la quantité des jets est infinie, c’est-à-dire que la difficulté de l’événement est plus que suffisamment compensée par la multitude des jets. Donc, si quelque chose doit répugner à la raison, c’est la supposition que, la matière s’étant mue de toute éternité, et qu’y ayant peut-être dans la somme infinie des combinaisons possibles un nombre infini d’arrangements admirables, il ne se soit rencontré aucun de ces arrangements admirables dans la multitude infinie de ceux qu’elle a pris successivement. Donc, l’esprit doit être plus étonné de la durée hypothétique du chaos que de la naissance réelle de l’univers.

XXII.

Je distingue les athées en trois classes. Il y en a quelques-uns qui vous disent nettement qu’il n’y a point de Dieu, et qui le pensent : ce sont les vrais athées ; un assez grand nombre, qui ne savent qu’en penser, et qui décideraient volontiers la question à croix ou pile : ce sont les athées sceptiques ; beaucoup plus qui voudraient qu’il n’y en eût point, qui font semblant d’en être persuadés, qui vivent comme s’ils l’étaient : ce sont les fanfarons du parti. Je déteste les fanfarons ; ils sont faux : je plains les vrais athées ; toute consolation me semble morte pour eux ; et je prie Dieu pour les sceptiques ; ils manquent de lumières.