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des êtres qui nous environnent, on n’en viendra jamais jusqu’à balancer sur ce qui se passe au dedans de soi-même. Nos affections et nos penchants nous sont intimement connus ; nous les sentons ; ils existent, quels que soient les objets qui les exercent, imaginaires ou réels. La condition de ces êtres est indifférente à la vérité de nos conclusions. Leur certitude est même indépendante de notre état. Que je dorme ou que je veille, j’ai bien raisonné ; car, qu’importe que ce qui me trouble soit rêves fâcheux ou passions désordonnées, en suis-je moins troublé ? Si par hasard la vie n’est qu’un songe, il sera question de le faire bon : et, cela supposé, voilà l’économie des passions qui devient nécessaire ; nous voilà dans la même obligation d’être vertueux, pour rêver à notre aise, et nos démonstrations subsistent dans toute leur force.

Enfin nous avons donné, ce me semble, toute la certitude possible à ce que nous avons avancé sur la préférence des satisfactions de l’esprit aux plaisirs du corps ; et de ceux-ci, lorsqu’ils sont accompagnés d’affections vertueuses, et goûtés avec modération, à eux-mêmes, lorsqu’on s’y livre avec excès, et qu’ils ne sont animés d’aucun sentiment raisonnable.

Ce que nous avons dit de la constitution de l’esprit, et de l’économie des affections qui forment le caractère et décident du bonheur ou du malheur de la créature, n’est pas moins évident. Nous avons déduit, du rapport et de la connexion des parties, que, dans cette espèce d’architecture, affaiblir un côté, c’était les ébranler tous et conduire l’édifice à sa ruine. Nous avons démontré que les passions, qui rendent l’homme vicieux, étaient pour lui autant de tourments ; que toute action mauvaise était sujette aux remords ; que la destruction des affections sociales, l’affaiblissement des plaisirs intellectuels, et la connaissance intérieure qu’on n’en mérite point, sont des suites nécessaires de la dépravation. D’où nous avons conclu que le méchant n’avait, ni en réalité, ni en imagination, le bonheur d’être aimé des autres, ni celui de partager leurs plaisirs ; c’est-à-dire que la source la plus féconde de nos joies était fermée pour lui.


    pour assuré que j’étais, que je suis, et que je continuerai d’être moi ; et conséquemment qu’il est possible de me démontrer quel je dois être pour mon bonheur. (Diderot.)