Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dégénère en un orgueil énorme ; il n’y a point de maux que cette passion ne puisse produire. Si nous considérons les prérogatives des caractères modestes et des esprits tranquilles ; si nous appuyons sur le repos, le bonheur et la sécurité qui n’abandonnent jamais celui qui sait se borner dans son état, se contenter du rang qu’il occupe dans la société, et se prêter à toutes les incommodités inhérentes à sa condition, rien ne nous paraîtra ni plus raisonnable, ni plus avantageux que ces dispositions. Je pourrais placer ici l’éloge de la modération, et relever son excellence, en développant les désordres et les peines de l’ambition ; en exposant le ridicule et le vide de l’entêtement des titres, des honneurs, des prééminences, de la renommée, de la gloire, de l’estime du vulgaire, des applaudissements populaires, et de tout ce qu’on entend par avantages personnels. Mais c’est un lieu commun auquel nous avons suppléé par la réflexion précédente.

Il est impossible que le désir des grandeurs s’élève dans une âme, devienne impétueux, et domine la créature, sans qu’elle soit en même temps agitée d’une proportionnelle aversion pour la médiocrité. La voilà donc en proie aux soupçons et aux jalousies ; soumise aux appréhensions d’un contre-temps ou d’un revers, et exposée aux dangers et à toute la mortification des refus. La passion désordonnée de la gloire, des emplois, et d’un état brillant, anéantit donc tout repos et toute sécurité pour l’avenir, et empoisonne toute satisfaction et toute commodité présente.

Aux agitations de l’ambitieux, on oppose ordinairement l’indolence et ses langueurs : toutefois ce caractère n’exclut ni l’avarice, ni l’ambition ; mais l’une dort en lui, et l’autre est sans effet. Cette passion léthargique est un amour désordonné du repos, qui décourage l’âme, engourdit l’esprit, et rend la créature incapable d’efforts, en grossissant à ses yeux les difficultés dont les routes de l’opulence et des honneurs sont parsemées. Le penchant au repos et à la tranquillité n’est ni moins naturel, ni moins utile, que l’envie de dormir : mais un assoupissement continuel ne serait pas plus funeste au corps qu’une aversion générale pour les affaires le serait à l’esprit.

Or, que le mouvement soit nécessaire à la santé, on en peut juger par les tempéraments de l’homme fait à l’exercice, et de celui qui n’en a jamais pris ; ou par la constitution mâle et