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Il y a une espèce de luxure d’un ordre fort supérieur à celle dont nous avons parlé. La conservation de l’espèce est son but. Dans la rigueur, on ne peut la traiter de passion privée. Animée par l’amour et par la tendresse, ainsi que toute autre affection sociale ; aux plaisirs d’esprit, qu’elle est en état de procurer comme elle, elle réunit encore l’enchantement des sens. Telle est l’attention de la nature à l’entretien de chaque système, que, par une espèce de besoin animal, et par je ne sais quel sentiment intérieur d’indigence qu’elle a placé dans les créatures qui les composent, elle convie les sexes à s’approcher et à s’occuper ensemble de la perpétuité de leur espèce. Mais est-il de l’intérêt de la créature d’éprouver cette indigence dans un degré violent ? C’est le point que nous avons à discuter.

Nous en avons assez dit, et sur les appétits naturels, et sur les penchants dénaturés, pour glisser ici sans scrupule sur cet article. Si l’on convient qu’il y a, dans la poursuite de tout autre plaisir, une dose d’ardeur qu’on ne peut excéder sans en altérer la jouissance et sans préjudicier ainsi à ses vrais intérêts, par quelle singularité celui-ci sortirait-il de la loi générale, et ne reconnaîtrait-il point de limites ? Nous connaissons d’autres sensations ardentes, et qui, éprouvées dans un certain degré, sont toujours voluptueuses, mais dont l’excès est une peine insupportable. Tel est le ris que le chatouillement excite : ce mouvement, avec l’air de famille et tous les traits du plaisir, n’en est pas moins un tourment. C’est la même chose dans l’espèce de luxure dont nous parlons : il y a des tempéraments pétris de salpêtre et de soufre, dans une fermentation continuelle, et d’une chaleur qui produit dans le corps des mouvements dont la fréquence et la durée constituent une maladie qui a son rang et son nom dans la médecine. Quand quelques grossiers voluptueux se féliciteraient de cet état et s’y complairaient, je doute que les délicats, que ceux qui font du plaisir et leur souverain bien, et leur étude principale, s’accordassent avec eux sur ce point.

Mais, s’il y a dans toute sensation voluptueuse un point où le plaisir finit et la fureur commence ; si la passion a des limites qu’elle ne peut franchir sans nuire aux intérêts de la créature, qui déterminera ces limites ? qui fixera ce point ? « La nature, seule arbitre des choses. » Mais où prendre la nature ?... « Où ?