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ses semblables, tout le mépris imaginable ; que, pour assujettir la nature à des principes d’intérêt injurieux et nuisibles à la société, on se tourmente de toute sa force, ses vrais sentiments éclateront : à travers les chagrins, les troubles et les dégoûts, on dévoilera tôt ou tard les suites funestes de cette violence, le ridicule d’un pareil projet, et le châtiment qui convient à d’aussi monstrueux efforts.

Les plaisirs des sens, ainsi que les plaisirs de l’esprit, dépendent donc des affections sociales : où manquent ces inclinations, ils sont sans vigueur et sans force, et quelquefois même ils excitent l’impatience et le dégoût ; ces sensations, sources fécondes de douceurs et de joie, sans eux ne rendent qu’aigreurs et que mauvaise humeur, et n’apportent que satiété et qu’indifférence. L’inconstance des appétits et la bizarrerie des goûts, si remarquables en tous ceux dont le sentiment n’assaisonne pas le plaisir, en sont des preuves suffisantes. La communication soutient la gaieté ; le partage anime l’amour. La passion la plus vive ne tarde pas à s’éteindre, si je ne sais quoi de réciproque, de généreux et de tendre ne l’entretient : sans cet assaisonnement, la plus ravissante beauté serait bientôt délaissée. Tout amour qui n’a de fondement que dans la jouissance de l’objet aimé se tourne bientôt en aversion : l’effervescence des désirs commence ; et la satiété, que suivent les dégoûts, achève de tourmenter ceux qui se livrent aux plaisirs avec emportement. Leurs plus grandes douceurs sont réservées pour ceux qui savent se modérer. Toutefois ils sont les premiers à convenir du vide qu’ils y trouvent. Les hommes sobres goûtent les plaisirs des sens dans toute leur excellence ; et il sont tous d’accord que, sans une forte teinture d’affection sociale, ils ne donnent aucune satisfaction réelle.

Mais avant que de finir cette section, nous allons remettre pour la dernière fois le penchant social dans la balance, et peser en gros les avantages de l’intégrité et les suites fâcheuses du défaut de poids dans cette affection.

On est suffisamment instruit des soins nécessaires au bien-être de l’animal, pour savoir que, sans l’action, sans le mouvement et les exercices, le corps languit et succombe sous les humeurs qui l’oppressent, que les nourritures ne font alors qu’augmenter son infirmité ; que les esprits qui manquent