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intelligence qui gouverne tout avec sagesse et bonté, peut-il imaginer qu’elle ait attaché son malheur en ce monde à des pratiques qui lui sont ordonnées ? Supposer que la vertu soit un des maux naturels de la créature, et que le vice fasse constamment son bien-être, n’est-ce pas accuser l’ordonnance de l’univers et la constitution générale des choses, d’un défaut essentiel et d’une grossière imperfection ?

Il me reste à considérer un nouvel avantage que le théisme fournit à la créature, pour être vertueuse, à l’exclusion de l’athéisme. Le premier coup d’œil ne sera peut-être pas favorable à la réflexion qui suit : je crains qu’on ne la prenne pour une vaine subtilité, et qu’on ne la rejette comme un raffinement de philosophie. Si toutefois elle peut avoir quelque poids, c’est à la suite de ce que nous venons de dire.

Toute créature, comme nous l’avons prouvé, a naturellement quelques degrés de malice, qui lui viennent d’une aversion ou d’un penchant qui ne sera pas au ton de son intérêt privé ou du bien général de son espèce. Qu’un être pensant ait la mesure d’aversion nécessaire pour l’alarmer à l’approche d’une calamité, ou pour l’armer dans un péril imminent, jusque-là il n’y a rien à dire, tout est dans l’ordre. Mais si l’aversion continue après que le malheur est arrivé ; si la passion augmente lorsque le mal est fait ; si la créature, furieuse du coup qu’elle a reçu, se récrie contre le sort, s’emporte et déteste sa condition, il faut avouer que cet emportement est vicieux dans sa nature et dans ses suites ; car il déprave le tempérament en le tournant à la colère, et trouble, dans l’accès, cette économie tranquille des affections, si convenable à la vertu. Mais avouer que cet emportement est vicieux, c’est reconnaître que, dans les mêmes conjonctures, une patience muette et une modeste fermeté seraient des vertus. Or, dans l’hypothèse de ceux qui nient l’existence d’un Être suprême, il est certain que la nécessité prétendue des causes ne doit amener aucun phénomène qui mérite leur haine ou leur amour, leur horreur ou leur admiration. Mais comme les plus belles réflexions du monde sur le caprice du hasard ou sur le mouvement fortuit des atomes n’ont rien de consolant, il est difficile que, dans des circonstances fâcheuses, que dans des temps durs et malheureux, l’athée n’entre en mauvaise humeur et ne se déchaîne contre un arrangement si détestable et si malfaisant.