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vaincu qu’il y a du profit à être vertueux, il n’est pas nécessaire de croire en Dieu. Mais le préjugé contraire une fois contracté, le mal est sans remède ; et il faut convenir qu’indirectement l’athéisme y conduit.

Il est presque impossible de faire grand cas des avantages présents de la vertu, sans concevoir une haute idée de la satisfaction qui naît de l’estime et de la bienveillance du genre humain. Mais pour connaître tout le prix de cette satisfaction, il faut l’avoir éprouvée. C’est donc sur la possession ravissante de l’affection généreuse des hommes, et sur la connaisance de l’énergie de ce plaisir, que sont fondés ceux qui placent le bonheur actuel dans la pratique des vertus. Mais supposer qu’il n’y a ni bonté ni charmes dans la nature ; que cet Être suprême qui nous prescrit la bienveillance pour nos semblables, par les témoignages journaliers que nous recevons de la sienne, est un être chimérique ; ce n’est pas le moyen d’aiguiser les affections sociales et d’acquérir l’amour désintéressé de la vertu. Au contraire, un tel système tend à confondre les idées de laideur et de beauté, et à supprimer ce tribut habituel d’admiration que nous rendons au dessein, aux proportions et à l’harmonie qui règnent dans l’ordre des choses. Car, que peut offrir l’univers de grand et d’admirable à celui qui regarde l’univers même comme un modèle de désordre ? Celui pour qui le tout, dénué de perfections, n’est qu’une vaste difformité, remarquera-t-il quelque beauté dans les parties subordonnées ?

Cependant, quoi de plus affligeant que de penser que l’on existe dans un éternel chaos ? qu’on fait partie d’une machine détraquée, dont on a mille désastres à craindre, et où l’on n’aperçoit rien de bon, rien de satisfaisant, rien qui n’excite le mépris, la haine et le dégoût ? Ces idées sombres et mélancoliques doivent influer sur le caractère, affecter les inclinations sociales, mettre de l’aigreur dans le tempérament, affaiblir l’amour de la justice, et saper à la longue les principes de la vertu.


    la dépravation. Cependant Hobbes était bon citoyen, bon parent, bon ami, et ne croyait point en Dieu. Les hommes ne sont pas conséquents ; on offense un Dieu, dont on admet l’existence ; on nie l’existence d’un Dieu, dont on a bien mérité : et s’il y avait à s’étonner, ce ne serait pas d’un athée qui vit bien, mais d’un chrétien qui vit mal. (Diderot.)