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naître que d’un grand amour de la vertu, et conserve par conséquent toute la dignité de son origine. Car ce désir n’est point un sentiment intéressé : l’amour de la vertu n’est jamais un penchant vil et sordide ; le désir de la vie par amour de la vertu ne peut donc passer pour tel. Mais si ce désir d’une autre vie naissait de l’horreur ou de la mort ou de l’anéantissement ; s’il était occasionné par quelque affection vicieuse, ou par un attachement à des choses étrangères à la vertu, il ne serait plus vertueux.

Si donc une créature raisonnable, sans égard pour la vertu, aime la vie par rapport à la vie même, peut-être fera-t-elle, pour la conserver, ou par horreur de la mort, quelque action de virilité ; peut-être en s’efforçant de mépriser les objets de sa crainte, tendra-t-elle à la perfection : mais cet effort n’est pas encore une vertu. Cette créature est tout au plus dans les avenues, sur la route ; après s’être embarquée par pur intérêt, la bassesse avouée du motif ne la met point au port : en un mot, elle ne sera vertueuse que quand ses efforts feront germer en elle quelque affection pour la bonté morale considérée comme telle, et sans égard à ses intérêts. Tels sont les avantages et les désavantages qui reviennent à la vertu, de ses liaisons avec les intérêts privés de la créature ; car quoique la multiplicité des vues intéressées soit peu propre à donner du relief aux actions, l’homme n’en sera que plus ferme dans la vertu, s’il est une fois convaincu qu’elle ne croise jamais ses vrais intérêts.

Celui donc qui, par un mûr examen et de solides réflexions, s’est assuré qu’on n’est heureux dans ce monde qu’autant qu’on est vertueux, et que le vice ne peut être que misérable, a mis sa vertu dans un abri louable et nécessaire. Sans chercher dans l’intégrité morale des commodités relatives à son état présent, à sa constitution ou à d’autres circonstances pareilles, s’il est persuadé qu’une puissance supérieure et toujours attentive au train du monde, prête un secours immédiat à l’honnête homme


    d’autres espérances. L’Égyptien se promettait, à force de bien vivre, de devenir un jour éléphant blanc. Le païen comptait se promener dans les Champs-Elysées, boire le nectar, et se repaître d’ambroisie. Le mahométan, privé de vin par sa loi, et voluptueux par tempérament, espère s’enivrer éternellement, entre des houris grises, rouges, vertes et blanches. Mais le chrétien jouira de son Dieu. (Diderot.)