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Si le magistrat n’est pas vertueux, la meilleure administration produira peu de chose : au contraire, les sujets aimeront et respecteront les lois, s’ils sont une fois persuadés de la vertu de celui qui les juge.

Mais, pour en revenir aux récompenses et aux châtiments, c’est moins l’attrait ou l’effroi qui fait leur avantage dans la société, que l’estime de la vertu et la haine du vice que ces expressions publiques de l’approbation ou de la censure du genre humain réveillent dans l’honnête homme et dans le scélérat. En effet, dans les exécutions, on voit assez communément que la honte du crime et l’infamie du supplice font presque toute la peine des criminels. Ce n’est pas tant la mort qui cause l’horreur du patient et des spectateurs, que la potence ou la roue qui le déclare infracteur des lois de la justice et de l’humanité.

Dans les familles, l’effet des récompenses et des châtiments est le même que dans la société. Un maître sévère, le fouet à la main, rendra sans doute son esclave ou son mercenaire attentif à ses devoirs ; mais il n’en sera pas meilleur. Cependant le même homme, revêtu d’un caractère plus doux, avec de faibles récompenses et des corrections légères, formera des enfants vertueux. À l’aide, tantôt de ses menaces, tantôt de ses caresses, il leur inculquera des principes qu’ils suivront bientôt sans égard pour la récompense qui les encourageait, ou pour la verge qui les effrayait : et c’est là ce que nous appelons une éducation honnête et libérale. Tout autre culte rendu à Dieu, tout autre service rendu à l’homme, est vil, et ne mérite aucun éloge.

Dans la religion, si les récompenses qu’elle promet sont libérales ; si le bonheur futur consiste dans la jouissance d’un plaisir vertueux, tel, par exemple, que la pratique ou la contemplation de la vertu même dans une autre vie (c’est le cas du christianisme[1]) ; il est évident que le désir de cet état ne peut


    souverain, en exerçant avec vigueur l’autorité que les lois et son sceptre lui donnent, fasse en sorte qu’il soit de l’intérêt de chacun de s’attacher à la vertu, en privant les vicieux de toute espérance d’avancement. » Il est clair que ce savant auteur donne la préférence aux avantages d’une bonne administration sur ceux d’un bon exemple. (Diderot.)

  1. On peut conclure de cette réflexion, que le christianisme a peut-être été le seul culte établi dans le monde, qui ait proposé aux hommes des récompenses à venir dignes d’eux. Le juif, content du bonheur temporel, ne connaissait guère