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En second lieu. Si le Dieu d’un peuple est un être excellent, et qui soit adoré comme tel ; si, faisant abstraction de sa puissance, c’est particulièrement à sa bonté que l’on rend hommage ; si l’on remarque dans le caractère que ses ministres lui donnent, et dans les histoires qu’ils en racontent, une prédilection pour la vertu et une affection générale pour tous les êtres ; certes, un si beau modèle ne peut manquer d’encourager au bien, et de fortifier l’amour de la justice contre les affections ennemies.

Mais un autre motif se joint encore à la force de l’exemple pour produire ce grand effet. Un théiste parfait est fortement persuadé de la prééminence d’un Être tout-puissant, spectateur de la conduite humaine et témoin oculaire de tout ce qui se passe dans l’univers. Dans la retraite la plus obscure, dans la solitude la plus profonde, son Dieu le voit ; il agit donc en la présence d’un être plus respectable pour lui mille fois que l’assemblée du monde la plus auguste. Quelle honte n’aurait-il pas de commettre une action odieuse en cette compagnie ! quelle satisfaction, au contraire, d’avoir pratiqué la vertu en présence de son Dieu ! quand même, déchiré par des langues calomnieuses, il serait devenu l’opprobre et le rebut de la société. Le théisme favorise donc la vertu ; et l’athéisme, privé d’un si grand secours, est en cela défectueux.

Considérons à présent ce que la crainte des peines à venir et l’espoir des biens futurs occasionneraient dans la même croyance, relativement à la vertu. D’abord, il est aisé d’inférer de ce que nous avons dit ci-devant, que cet espoir et cet effroi ne sont pas du genre des affections libérales et généreuses, ni de la nature de ces mouvements qui complètent le mérite moral des actions. Si ces motifs ont une influence prédominante dans la conduite d’une créature, que l’amour désintéressé devrait principalement diriger, la conduite est servile, et la créature n’est pas encore vertueuse.

Ajoutez à ceci une réflexion particulière : c’est que dans toute hypothèse de religion, où l’espoir et la crainte sont admis comme motifs principaux et premiers de nos actions, l’intérêt particulier, qui naturellement n’est en nous que trop vif, n’a rien qui le tempère et qui le restreigne, et doit par conséquent se fortifier chaque jour par l’exercice des passions, dans des matières de