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LIV RÈGLES GÈNÉRALES


Il s'agit surtout des sons ou des syllabes qui ne peuvent pas entrer dans un vers.

De l'hiatus.

Un mot terminé par une voyelle autre que l'e muet, ne peut être suivi d'un mot qui commence par une voyelle ; Boileau le défend dans ces deux, vers :

Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée,

Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

Cette rencontre de deux voyelles qui se heurtent, est ce qu'on nomme hiatus. Cette loi n'existait point pour nos anciens poètes ; aussi trouve-t-on beaucoup d'hiatus dans leurs vers :

Un doux nenni avec un doux sourir....

A mon plaisir vous faites feu et flamme....

Là où savez sans v.ous ne puis venir....

(MAROT.)

L'e muet à la fin d'un mot, et précédé d'une voyelle, comme dans aimée, finie, joie, rue, roue, etc., ne peut entrer dans aucun vers, à moins d'une élision ; ainsi on ne pourrait pas dire :

J'avoue mes défauts, je cache mes vertus ;

mais on dirait bien :

J'avoue à mes amis mes plus secrets défauts ;

ainsi du reste.

ART. V. — Des licences permises dans les vers. __

Ces licences consistent dans certains tours de phrases, ou certaines altérations de mots, que les vers permettent et qui sont défendues en prose. Les langues anciennes étaient très-riches en licences de cette espèce, qui faisaient de leur poésie un langage à part, et entièrement différent de la prose. La plupart de langues modernes en ont aussi beaucoup, quoiqu'elles en aient moins que la langue grecque et la langue latine. Elles sont en petit nombre dans la notre, qui est aussi peut-être la moins poétique de toutes les langues.

, . Les seules licences qui nous soient permises, sont certaines transpositions de mots, l'emploi de certains termes dont la prose ne se sert pas, le retranchement de quelques lettres dans un petit nombre de mots.

Les transpositions de mots sont ce qu'on nomme autrement inversions.

Elles consistent à placer quelques-uns des mots de la phrase autrement qu'on ne le ferait en suivant le sens direct et grammatical.

Pourquoi, sans Hippolyte,

Des héros de la Grèce assembla-t-il l'élite ?

Toi-même en ton esprit rappelle le passé....

D'un incurable amour remèdes impuissants....

(RACINE.)

Dieu fit dans ce désert descendre la sagesse.

(VOLTAIRE.)

Les mots propres à la poésie, et qui paraîtraient déplacés dans la prose, sont ceux qui ont une noblesse, une certaine emphase, qui les élève au-dessus du langage ordinaire : tels sont antique pour ancien, coursier pour cheval, le flanc pour le côté, le glaive pour l'épée ; les humains, les mortels, pour les hommes ; hymen ou hyménée pour mariage, etc.

Les lettres que l'on peut retrancher dans quelques mots, sont le s final de la première personne des verbes je crois, je vois, je dis, j'avertis, etc., et l'e d'encore, que les poètes écrivent encor, lorsque cela leur est plus commode.

C'est à peu près à cela que se réduisent toutes nos licences ; aussi les étrangers ont-ils beaucoup de peine à saisir des différences entre nos vers et notre prose, tandis que nous apercevons facilement, dans Milton ou dans Le Tasse, des tours, des licences, des hardiesses que la prose anglaise et la prose italienne n'admettraient point.

ART. VI. — De l'arrangement des vers entre eux.

Dans cet arrangement, on a égard, soit au nombre des syllabes de chaque vers, soit à la manière dont sont disposées les rimes.

La plupart des grandes pièces de vers, le poëme épique, le poëme dramatique, l'églogue, l'élégie, la satire, l'épître, sont ordinairement écrites en vers de douze syllabes. Il y a pourtant à cela des exceptions ; mais du moins dans chacun de ces genres de poésie, les vers sont le plus souvent de la même mesure on du même nombre de syllabes, depuis le commencement jusqu'à la fin. Dans la poésie lyrique, le nombre des syllabes varie, et est sujet à des règles particulières. Dans la poésie légère et libre, on suit, pour le nombre des syllabes, l'arrangement que l'on vent.

Le mélange et la disposition des rimes ont pour base la différence des rimes masculines et féminines.

1°. Il est défendu de mettre de suite deux vers masculins on deux vers

féminins qui ne riment pas ensemble. Les anciens poètes se permettaient ce mélange qui choquerait aujourd'hui l'oreille. Il n'est plus permis de dire comme Marot : Amour trouva celle qui m'est si chère,

Et j'y étais, j'en sais bien mieux le conte.

Ni :

J'ai en amour trouvé cinq points exprès ;

Premièrement, il y a le regard, etc.

2°. Lorsqu'après deux vers masculins il y a deux vers féminins, après lesquels reviennent deux autres vers masculins, et ainsi, de suite, ces vers sont à rimes plates : telles sont les rimes de presque toutes les pièces en grands vers.

Attache près de moi par un zèle sincère,

Tu me contais alors l'histoire de mon père ;’• Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix, S'échauffait au récit de ces nobles exploits ; Quand tu me dépeignais ce héros intrépide Consolant les mortels de l'absence d'Alcide, Les moHstres étouffés et les brigands punis, Procuste, Cercyon, et Sciron, et Scinis,

Et les os dispersés du géant d'Épidaure,

Et la Crête fumant du sang du Minotaure, etc.

(RACINE.)

Il faut éviter, dans les vers à rimes plates, de mettre, apres deux vers nasculins, deux féminins qui riment avec ceux qui précèdent ces deux vers nasculins, ou vice versa. On trouve cette double faute dans ces huit vers Le la Henriade :

Soudain Potier se lève et demande audience ; Chacun à son aspect garde un profond silence. Dans ce temps malheureux, par le crime infecté, Potier fut toujours juste et pourtant respecté. Souvent on l'avait vu par sa mâle éloquence De leurs emportements réprimer la licence, Et, conservant sur eux sa vieille autorité, Leur montrer la justice avec impunité.

Il ne faut pas non plus que des vers masculins et féminins qui se suivent aent des rimes consonnantes l'une avec l'autre, comme ceux-ci :

Tels des antres du Nord, échappés sur la terre,

Précédés par les vents et suivis du tonnerre,

D'un tourbillon de poudre obscurcissant les airs {

Les orages fougueux parcourent l'univers.

Lorsqu'un vers masculin est suivi de deux féminins, après lesquels vient un autre vers masculin qui rime avec le premier, ou lorsque après un vers féminin deux vers masculins sont suivis d'un vers terminé par la première rime féminine, ou bien enfin lorsque les rimes masculines et féminines se croisent et se mêlent librement, les vers sont à rimes croisées ou mélées.

Les vers lyriques sont disposés en stances où les rimes sont croisées. Les petites pièces de vers, les poésies légères, et celles qu'on nomme fugitives, sont ordinairement à rimes mêlées. Il y a même des pièces en grands vers, des discours, des épitres, qui riment de cette manière ; une seule tragédie de Voltaire en rimes mêlées, c'est Tancrède, qui commence par ces vera :

Généreux chevaliers, l'honneur le la Sicile,

Qui daignez par égard, au déclin de mes ans,

Vous assembler chez moi pour punir nos tyrans Et fonder un État triomphant et tranquille ;

Syracuse en nos murs a gémi trop long-temps Des efforts avortés d'un courage inutile, etc.

Les rimes croisées régulièrement sont surtout employées dans les stances, dans l’ode, dans le sonnet, et dans le rondeau. Dans ces petits poèmes, l'ordonnance des vers est sujette à des règles fixes et particulières.

DES STANCES.

Ce qu'il cst utile d'observer pour composer de beaux vers.

Ce qu'on admire le plus dans la poésie, c'est une simplicité noble et facile. « La pureté du langage, dit Voltaire, doit être rigoureusement observée ;

« tous les vers doivent être harmonieux, sans que cette harmonie dérobe K rien à la force des sentiments. Il ne faut pas que les vers marchent de deux « en deux, mais que tantôt une pensée soit exprimée en un vers, tantôt en « deux ou trois, quelquefois en un seul hémistiche. On peut étendre une « image dans une phrase de cinq ou six vers ; ensuite en enfermer une autre « dans un ou deux ; il faut souvent finir un sens par une rime, et commencer un autre sens par la rime correspondante. Ce sont toutes ces règles, a très-difficiles à observer, qui donnent aux vers la grâce, l'énergie, l'harmonie dont la prose ne peut jamais approcher. C'est ce qui fait qu'on