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DE LA VERSIFICATION FRANÇAISE.


Exemple, de vers de deux syllabes, dont le premier est alexandrin. (Les chiffres indiquent le nombre des syllabes de chaque vers.)


12. C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?
2. Du vent.


(Li FONTAINE.)

Autre exemple des mêmes vers.


1 a. L’homme au trésor arrive, et trouve son argent
2. Ab-sent.


(LE MÊME.)

Exemple de vers d’une syllabe.


6. Mettez-vous bien cela
i. Là,


4. Jeunes fillettes :
6. Songez que tout amant
1. Ment


4. Dans ses fleurettes.
6. Et l’on voit des commis
I. Mis


4. Comme des princes,
6. Qui jadis-sont venus
1. Nus
4. De leurs provinces.

(PANARD.)

Les petits, comme les grands vers, entrent assez ordinairement dans la composition des ouvrages en vers libres ; cependant il ne faut laisser cette facilité qu’à la poésie lyrique, ou à la fable, qui seules admettent les vers de trois ou de deux syllabes. Mais il faut remarquer que les vers qui ont le plus d’harmonie et de majesté, sont ceux de douze syllabes : aussi sont-ils employés préférablement dans les grands poëmes, les poëmes héroïques, les tragédies, les comédies, les églogues, les élégies et autres pièces sérieuses et de longue haleine.

ART ; II. — De la Césure et de l’Hémistiche.

Le mot césure vient du latin (cœsura), et veut dire l’endroit où le vers est en quelque sorte coupé, où il y a un repos qui coupe le vers en deux parties, dont chacune s’appelle hémistiche, c’est à-dire, demi-vers. Ce repos bien ménagé contribue beaucoup à la cadence et à l’harmonie des vers.

Dans les vers alexandrins ou grands vers, le repos doit être à la fin du premier hémistiche. Boileau en a donné en même temps le précepte et l’exemple dans ces trois vers ;


Ayez pour la cadence — une oreille sévère.
Que toujours dans vos vers — le sens coupant les mots
Suspende l’hémistiche, — en marque le repos.


Dans les vers de dix syllabes, la césure est après la quatrième, et partage le vers en deux hémistiches inégaux, l’un de quatre syllabes, l’autre de six.


Je vous l’ai dit, -l’Amour a deux carquois.


(VOLTAIRE.)

Il n’y a que les vers de douze et ceux de dix syllabes qui aient une césure ; les autres, formés de moins de syllabes, n’en ont point.

ART. III. — De la Rime.

La. rime, que les poëtes grecs et latins évitaient comme un défaut, est chez les modernes un des principaux ornements de la poésie.

La rime est l’uniformité de son dans la terminaison. Tous les vers français sont rimés.

Les rimes sont masculines ou féminines.

Les rimes masculines sont celles qui ne sont point terminées par un e muet.


Jadis l’homme vivait au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n’était jamais trompé.
Son ton simple et naïf n’a rien de fastueux,
Et n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux.
Il peut, dans son jardin tout peuplé d’arbres verts,
Recéler le printemps au milieu des hivers.


(BOILEAU.)

Les mots terminés par aient, à l’imparfait et au conditionnel, des verbes, n’ayant que le son d’un è ouvert, forment une rime masculine.

Du temps que les bêtes parlaient
Les lions entre autres voulaient
Être admis dans notre alliance.

(LA FONTAINE.)

Les rimes féminines sont celles qui se terminent par un e muet, soit seul, soit suivi du s, ou de rit.


Il fallut s’arrêter, et la rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile.
Orgueilleuse rivale, on t’aime et tu murmures :
Souffrirai-je à la fois ta gloire et tes injures ?
Les forêts de nos cris moins souvent retentissent ;
Chargés d’un feu secret, vos yeux s’appesantissent.


(RACINE.)

Dans les vers où la rime est féminine et que pour cette raison on appelle vers féminins, l’e muet de la fin sonne si faiblement, qu’on l’entend à peine, et cette dernière syllabe est comptée pour rien dans la mesure des vers.

La rime, tant masculine que féminine, est d’autant plus parfaite, qu’il y a plus de ressemblance dans les sons qui la forment : ainsi, quoique désir rime bien avec soupir, et constance avec récompense, cependant désir rime encore mieux avec plaisir, et constance avec prudence. La rime est riche ou heureuse lorsqu’elle est formée par la plus grande uniformité des sons, comme providence et prudence.

Exemple des rimes riches ou heureuses.

Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux.
D’Oreste parricide exprima les alarmes,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.


(BOILEAU.)

Une rime est suffisante lorsque les sons, sans être représentés par les mêmes lettres, n’ont rien qui blesse l’oreille.


Exemple de rimes suffisantes.


Toi qui, né philosophe au milieu des grandeurs,
As secoué le joug des modernes erreurs….
Démêle autant qu’il peut les principes des choses,
Connaît les nœuds secrets des effets et des causes.


(CHAULIEU.)

La rime cesse d’être suffisante quand la conformité de sons a quelque chose qui blesse l’oreille, comme temps et dans ; mais ce vice disparaît toutes les fois que dans termine un mot de deux syllabes.


C’est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs en dedans.
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours la raison s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr,
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans cesse elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.


(BOILEAU.)

Un même mot, pris dans le même sens, ne peut se placer pour 1a rime à la fin de deux vers : on n’y doit pas même mettre deux composés du même mot ; ainsi amis et ennemis ne riment pas bien, non plus que prudence et imprudence, bienveillance et malveillance, etc.

Mais quelquefois le même mot a deux sens différents ; on peut alors l’employer à la rime, surtout dans le style comique et familier.

J’y brûlerai Des livres.
Quatre bottes de foin, cinq à six mille livres !

(RACINE.)

Les deux hémistiches d’un vers ne doivent pas rimer ensemble, ni même avoir une convenance de son : ainsi Boileau a manqué à son exactitude ordinaire, lorsqu’il a dit :


Aux Sanmaises futurs réparer des tortures.


Il ne faut pas non plus que le dernier hémistiche d’un vers rime avec le premier du vers, soit précédent, soit suivant, ni que les deux premiers hémistiches de deux vers qui se suivent riment l’un avec l’autre.


ARi. IV. — Des termes que le vers exclut


Il ne s’agit pas seulement ici des mots prosaïques, durs ou bas, que le goût doit écarter, ni des conjonctions, des adverbes, ou des pronoms, que le style oratoire peut admettre, mais qui sont incompatibles avec le style poétique, tels que : c’est pourquoi, parce que, pourvu que (r), de manière ou de façon que, d’ailleurs, en effet, quelquefois, quelconque, etc.

(1) Racine a dit :

Pourvu que de ma mort respectant les approches, etc. (PHÈDRE . art. 1.)