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son exposition (πρόθεσιζ), ni les offrandes ou les repas en commun (καθέδρα) 16[1]. Des images d’Adonis (άδώνιον), en cire

Fig. 112. Adonis.

ou en terre cuite, étaient couchées devant l’entrée ou sur les terrasses des maisons ; les femmes entouraient ces simulacres, les promenaient par la ville, en se lamentant et en se frappant la poitrine avec toutes les démonstrations de la plus vive douleur 17[2] ; elles dansaient et faisaient entendre des chants plaintifs (θρήνοι, κοπετοί, άδωνίδια) 18[3], au son de la flûte courte et stridente, appelée γίγγροζ ou γίγγραζ, qui était celle dont les Phéniciens faisaient usage dans les cérémonies funèbres. Leur danse recevait aussi ce nom, qui désignait en Phénicie Adonis lui-même 19[4]. Tout cet ensemble de rites, ces chants lugubres, accompagnes de cris et de mouvements violents, étaient ce qu’on appelait άδωνιασμόζ 20[5]. Un petit monument du musée étrusque du Vatican 21[6] peut nous donner une idée de ce qu’étaient les effigies d’Adonis (fig. 112) : c’est une terre cuite de style gréco-étrusque et de grandeur de demi-nature, trouvée dans les fouilles de Toscanella. Adonis, presque entièrement nu, est chaussé de bottines de chasse ; dans l’original, on remarque à la cuisse une blessure ; au pied du lit se tient un chien accroupi. On voit de même dans une peinture de vase (fig. 113), sur laquelle nous reviendrons. Adonis tel qu’on le voyait exposé aux Adonies. Le lit richement couvert sur lequel il repose est dressé sur des feuillages et des fleurs 22[7], un amour se penche vers lui afin de verser le baume sur sa blessure. Il faut compléter cette peinture par la description que fait Théocrite 23[8] de la fête célébrée avec une pompe tout orientale à Alexandrie, dans le palais d’Arsmoé, femme de Ptolémée-Philadelphe. Il nous montre sous un berceau de verdure, où voltigent des Amours, le bel adolescent étendu sur un lit d’argent couvert de tissus de pourpre ; Vénus est à côté de lui. Auprès du lit sont déposés des vases pleins de parfums, des fruits, du miel, des gâteaux, et enfin les corbeilles d’argent contenant ce qu’on appelait les jardins d’Adonis (Άδώνιδοζ κήποι).

C’était la coutume 24[9], en effet, de semer dans des vases, non pas d’ordinaire aussi précieux que ceux qu’on voyait dans le palais d’Arsinoé, mais dans des pots de terre (όστράκια, χύτρα), dans des fonds de tasse, dans des tessons (γάστραι, γάστρια), quelquefois dans des paniers (άρδιχοζ, κόφινοζ), toutes sortes de plantes qui germent et croissent rapidement, telles que le fenouil, l’orge, le blé et surtout la


laitue, qui avait un rôle dans la légende d’Adonis (on disait que Vénus avait couché sur un lit de laitues le corps de son amant 25[10]). Ces plantes levaient en quelques jours, sous l’influence du soleil de juin, puis se flétrissaient aussitôt, parce qu’elles n’avaient pas de racines ; c’était l’image de l’existence éphémère d’Adonis. Ces petits jardins artificiels étaient exposés avec les images du dieu dans la pompe des Adonies, puis on les jetait dans la mer ou dans les fontaines 26[11]. Sur un vase peint du Musée de Carlsruhe, d’où est tirée la figure 113, on voit l’Amour et une femme, dans laquelle on a reconnu Vénus elle-même, accomplissant, comme le faisaient les femmes d’Athènes, le rite des jardins d’Adonis. De chaque côté de ce groupe sont debout deux femmes (qui n’ont pas été ici reproduites), probablement deux Heures ou Saisons. Quoique cette interpréta-

Fig. 113. Rite des jardins d’Adonis.


tion du sujet ait été combattue, elle nous semble encore la seule vraisemblable 27[12].

Ces jardins d’Adonis, dont le nom devint en Grèce une expression proverbiale appliquée à tout ce qui n’a qu’une existence hâtive et passagère 28[13], peuvent être d’ailleurs considérés comme un symbole de joie aussi bien que de deuil. Les Adonies avaient ce double caractère, en Orient du moins, où on célébrait tour à tour la disparition du dieu et sa réapparition. À Byblos, en Phénicie, la fête funèbre était précédée et non suivie de réjouissances ; c’était le contraire à Alexandrie. Cette diversité venait peut-être de ce que les fêtes n’étaient pas célébrées à la même époque dans tous les pays. Pour la Grèce, quelque sentiment que l’on ait à cet égard, il n’est pas possible d’affirmer, d’après des témoignages positifs, qu’il y ait eu, avant ou après les jours de deuil, une fête de la résurrection d’Adonis.

De Byblos et du pays du Liban, où il paraît avoir eu ses principaux sanctuaires 29[14], le culte d’Adonis fut porté à Cvpre ; c’est là que les Grecs le connurent d’abord : aussi cette île fut-elle considérée par eux comme le lieu de la naissance d’Adonis, qu’on appelait Κύριζ ou Κίρριζ 30[15]. De là il se répandit à Rhodes, en Laconie, à Samos et dans toutes les contrées helléniques. Introduit à Athènes vers le temps de la guerre du Péloponèse, il y devint, comme on a vu, bientôt populaire, mais en gardant le caractère

  1. 16 Hesych. s. v. Athen. X, 451.
  2. 17 Plut. l. l. ; Aristoph. Lysist. 389 ; Pac. 420 ; Amm.-Marc. XIX. I ; R. Rochelle, Mém. cit.
  3. 18 Plut. l. l. ; Hesych. αδωνιασμόζ ; Proclus, Chrestom. 380. éd. Gaisf.
  4. 19 Athen. IV, p. 174 ; Poll. IV, 16 et 102.
  5. 20 Aristoph. l. l. ; Hesych. s. v.
  6. 21 Mus. Gregorian. t. I, tav. 93.
  7. 22 Aristoph. Eccles. 1030 ; Bion, I, 69, 79.
  8. 23 Theocr. XV ; cf. Bion, I.
  9. 24 Plat. Phaedr. III, 276 ; Theophr. Hist. plant. VI, 7, 3, et les textes nombreux réunis par Lindemann, De culltu herbarum in vasis, Zittau, 1843 ; cf. R. Rochette, Mem. cit.
  10. 25 Athen. II, p. 9 C ; Hesych. Άδώνια ; κηπαι.
  11. 26 Theoc. l. l. ; Zenob. Centur. l, 49 ; Alciphr. Epist. I, 39 ; Hesych. s. v. ; Eustath. Ad Iliad. XI.
  12. 27 Fruhner, Griech. Vas. in Karlsruhe, p. 29, 39 ; Creuzer, Gai. d. alt. Drain, taf. viii, p. 66 ; Id., Zur Archaeol. III. taf. viii, p. 174 ; Symbolik (3e éd.), II, i, taf. vi. xxxviii, p. 471 ; Gerhard, Hall. litt. Zeit. 1840, p. 222 et Arch. Anz. 1851, p. 34 ; de Witte, Annal. del. Inst. arch. XVII. p. 413, lav. v ; Lenormant et de Witte, Elite céram. IV, 85 ; O. Jahu, Annal. XVU ; Id. Ueber bemalte Vas. mit Goldschmuck, Leipzig, 1865, p. 6.
  13. 28 Suid. l. Άκαρπότεροζ ; Άδωνιδοζ ; κήπων ; Paroem. gr. ap. R. Rochette, l. l.
  14. 29 Lucian. De dea syr. 6 ; Strab. XVI, 2, p. 364 ; Eustath. Ad Dionys. 919.
  15. 30 Hesych et Ethym. mag. s. v. ; Corp. insp. § i. 5906.