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avec assez de raison ce système par une observation historique. Sous la royauté, la potestas et l’imperium étant à vie, on admit aussi ce caractère d’irrévocabilité chez les consuls, en ce sens que, malgré la limitation de temps contenue dans la loi Curiate, créatrice de leur imperium, ceux qui en étaient investis ne pouvaient en être dépouillés sans leur volonté [magistratus, imperium]. Cette règle fut ensuite étendue aux autres magistratures, et même à la qualité de citoyen romain. Souvent, le consul sortant de charge abdiquait l’imperium, pour en obtenir la prorogation en qualité de proconsul 2[1]. Régulièrement, le magistrat qui quittait sa charge devait, le dernier jour de ses fonctions, déclarer solennellement son abdication devant le peuple et prêter serment qu’il n’avait, pendant sa magistrature, rien fait de contraire aux lois. C’est là ce qu’on appelait jurare in leges 3[2], ou ejurare magistratum 4[3]. Il n’existait d’ailleurs aucune autorité spécialement établie pour recevoir annuellement cette reddition de compte 5[4], sans préjudice bien entendu de la responsabilité des magistrats devant le sénat et le peuple 6[5]. Indépendamment de l’abdication ordinaire qui incombait à tous les magistrats sortant de charge, l’histoire nous montre que les magistrats en fonction, ou même simplement désignés (designati), pouvaient abdiquer leur titre : diverses circonstances amenaient cette démission ; quelquefois la maladie 7[6], d’autres fois le vœu et l’influence du sénat, qui désirait hâter l’entrée en fonction des nouvelles autorités 8[7]. Mais la cause la plus fréquente de ces abdications volontaires en apparence seulement, c’était un vice de forme découvert par les augures dans la nomination des magistrats 9[8]. Ceux-ci se trouvaient contraints par cette décision, et sous peine d’impiété, d’abdiquer leur pouvoir, abdicare imperium, mais sans préjudice de la validité des actes antérieurement accomplis par eux 10[9]. Primitivement, les magistrats jouissaient, pendant leurs fonctions, d’une entière inviolabilité, fondée sur les mores majorum, plutôt que sur une loi qui défendît de les accuser durant leur exercice [lex, mores] 11[10]. Néanmoins, vers la fin de la République, on contraignit à l’abdication les magistrats désignés, que la loi permettait de poursuivre et de condamner pour crime de brigue [ambitus] 12[11]. Enfin, le droit public de Rome semblait autoriser, bien que, dans la pratique, cela fut tout à fait inusité, un magistrat supérieur à en contraindre un autre, d’un rang inférieur, à l’abdication, vi majoris imperii 13[12] ; c’est ainsi que le dictateur Q. Cincinnatus força le consul L. Minucius à abdiquer et à prendre les fonctions de chef des légions comme légat [legatus]. De même, le préteur Lentulus, impliqué dans la conjuration de Catilina, fut forcé d’abdiquer, en vertu d’un sénatus-consulte, il est vrai ; mais nous pensons avec Lange 14[13] que ce sénatus-consulte autorisa le consul à ordonner directement cette abdication 15[14]. Quelquefois l’histoire mentionne un dictateur qui, comme Camille, abdique en présence d’une accusation portée par les tribuns devant les comices tribus [comitia], avec proposition de le condamner à l’amende énorme de 50, 000 as s’il faisait acte de dictateur 16[15]. Enfin


une insurrection et la secessio de la plèbe sur l’Aventin déterminèrent seules les décemvirs à déposer l’autorité souveraine, mais après un sénatus-consulte qui l’ordonna 17[16], pour plus de régularité. Tiberius Gracchus hasarda une mesure sans précédents, en contraignant son collègue Octavius à l’abdication. Lange qualifie cet acte d’absolument inconstitutionnel 18[17], à raison, d’une part, du défaut d’imperium chez son auteur, et, d’autre part, de l’inviolabilité de la victime. Mais on peut faire observer, avec M. Laboulaye 19[18], que la déposition fut prononcée par le peuple souverain, assemblé dans les comices, et supérieur aux lois existantes. Néanmoins, ce coup d’État, que Caius Gracchus essaya de couvrir ensuite par une loi particulière, avait singulièrement amoindri l’influence de son frère. Nous pensons, avec Lange, que ces abdications forcées avaient lieu en général sans solennité 20[19] ; cependant, il en fut autrement pour les décemvirs 21[20], comme pour Octavius le tribun. Dans ces divers cas, bien que l’abdication ne fût plus volontaire qu’en apparence 22[21] cela paraissait suffire pour sauvegarder le principe de l’ancienne constitution romaine sur l’inamissibilité des magistratures 23[22] ; mais ce principe s’affaiblit singulièrement et même s’effaça sous l’Empire.

En effet, Jules César s’attribua une grande part dans la nomination des magistrats, spécialement des consuls, par la présentation de candidats 24[23]. Auguste développa ce système, et Tibère finit par attribuer au sénat la nomination des officiers publics 25[24] ; plus tard le prince en vint à les nommer directement. Dès lors le droit de révocation fut la conséquence du nouveau principe d’administration hiérarchiquement subordonnée ; et si l’abdication volontaire fut encore possible, elle n’était plus nécessaire pour faire cesser les fonctions (abrogare imperium) des magistrats, dont les pouvoirs avaient été singulièrement restreints, en présence de l’imperium illimité du prince et des droits attribués aux nouveaux magistrats de création impériale 26[25] ; d’ailleurs, l’usage ne tarda pas à s’introduire de faire donner leur démission aux consuls après quelques mois de leur entrée en charge, pour leur substituer de nouveaux titulaires (consules suffecti) 27[26]. Cependant on conservait une grande solennité aux actes d’investiture ou d’abdication des consuls 28[27], bien qu’ils n’eussent plus alors d’imperium à abdiquer comme jadis. G. Humbert.

Pour l’abdication des empereurs, voyez principatus.

Bibliographie. Lange, Römische Alterthämer, Berlin, 2e éd. p. 609 et suiv. ; Becker, Ueber Amtsentsetzung bei den Römern ; Rhein. Museum, VI, 1846, p. 293 ; Walter, Geschichte des rom. Rechts, 3e éd. Bonn, 1860, n° 145 et 856.

ABIGEI (de ab agere). — On donnait ce nom ou celui d’abactores à une classe particulière de malfaiteurs qui dérobaient les chevaux ou le bétail 1[28]. Le crime d’abigeatus 2[29] s’était présenté de bonne heure en Italie, pays riche en troupeaux, et où les bergers des Apennins, menant une vie sauvage et solitaire, étaient enclins à se livrer au brigandage 3[30]. Vers la fin de la République, la culture des céréales avait été presque abandonnée, et les latifundia avaient envahi la Péninsule, par suite de l’extinction de l’agriculture libre 4[31]. Dès lors, le pâturage était devenu le principal mode d’exploitation du sol, on pratiquait plus que ja-

  1. 2 Lange, Römische Alterthämer, § 80, p. 609, 2e éd.
  2. 3 Tit. Liv. XXIX, 37.
  3. 4 Cic. Ad fam. v, 2, 7 ; in Pison. 3 ; Plutarch. Cicer. 23.
  4. 5 Cic. De leg. III, 20, 47.
  5. 6 Polyb. IV, 14, 15 ; Tit. Liv. XXIV, 43 ; XXXVII, 57, 58.
  6. 7 Dio, IX, 13.
  7. 8 Tit. Liv. VIII, 3.
  8. 9 Tit. Liv. XXX, 39.
  9. 10 Cic. De legib. II, 12 ; Villemain, Républ. de Cicéron, liv. VI, p. 349, éd. in-12, 1859.
  10. 11 Laboulaye, Essai sur les lois criminelles. Paris, 1844, p. 149 et 150 ; Tit. Liv. IX, 26 ; XLIII, 16 ; Dionys. X, 39, 50 ; Dio Cass. XI, 51.
  11. 12 Cic. Ad fam. VIII, 4 ; Laboulaye, op. laud. p. 288 et seq.
  12. 13 Dion, Halic. X, 25 ; Tit. Liv. III, 29 ; V, 9.
  13. 14 Op. laud. p. 610.
  14. 15 Cic. Catil. III, 6 ; Sall. Catil. 47 ; Dio Cass. XXXVII, 34.
  15. 16 Tit. Liv. VI, 16, 38.
  16. 17 Tit. Liv. III, 52 à 55.
  17. 18 Plut. Tib. Grac. 11.
  18. 19 Op. laud. p. 207 ; cf. App. Bell. civ. I, note 13 ; Macé, Lois agraires, p. 317.
  19. 20 Sali. Catil. 47 ; Plut. Cicer. 9.
  20. 21 Tit. Liv. III, 54.
  21. 22 Festus, s. v. Abacti.
  22. 23 Becker, Ueber Amtsentsetzung bei den Römern ; Rhein. Mus., 4, 1840, p. 293.
  23. 24 Dio Cass. XLII, 20 ; XLIII, 45, 51 ; Suet. Caesar, 41.
  24. 25 Tacit. Ann. I, 15, 81.
  25. 26 laboulaye, op. laud. p. 390, 394.
  26. 27 Dio Cass. XLIII, 46 ; LVIII, 20 ; LXXII, 12.
  27. 28 Plin. Panegyr. 66.
  28. ABIGEI. 1 Abactor est fur jumentorum et pecorum quem vulgo abigeum vocant. Isidor. X, 14.
  29. 2 V. ce mot dans le fr. 5, § 2, Dig. De re milit. XLIX, 16 ; fr. 2 et 3 pr. De alag. XLVII, 14.
  30. 3 Tit. Liv. XXXIV, 29, 41.
  31. 4 Dureau de la Malle, Écon. polit. des Romains, II, liv. III, c. 21, p. 288 et suiv.