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préface

adaptée à une arme à feu, sert à faire sortir du silex l’étincelle qui doit enflammer la poudre, l’arme tout entière, le mousquet à fusil, prend le nom de cet objet caractéristique, et, sans perdre entièrement son autre sens, le mot fusil s’attache particulièrement à ce sens nouveau. Aussi quand le silex et la pièce d’acier disparaissent, le fusil moderne conserve un nom qui n’est plus justifié.

Journal est un adjectif dérivé de jour. Ainsi le travail journal est le travail qui se fait le jour, ou, quelquefois, qui se fait chaque jour : Mais le soleil panchant au temps que le Bouvier Veut du travail journal ses Toreaux desiier, Alors tes Argiens le dessus emporterent. Am. Jamyn, Iliade, XVI. — Le mot s’employait même comme substantif dans la phrase suivante, journal a le sens de tâche du jour, tâche quotidienne : [La mere des abeilles] jamais ne laisse chaumer les mousches à miel, ains envoye à la besongne celles qui ont à faire leur journal dehors. La Boétie, trad. de la Mesnagerie de Xenophon, 13. Les papiers journaux avaient pour objet de relater au jour le jour tous les événements de quelque importance : Au papier journal de sa maison, ou est descrit par le menu tout ce qu’il faisoit à chasque jour, il y a que le dix huitieme de Juin, il dormit dedans l’estuve, pource qu’il eut la fiebvre. Amyot, Alexandre, 75. — Dans les emplois actuels dit mot journal, il reste certainement beaucoup de la signification première. Cependant, l’idée dominante est celle d’une publication qui peut être mensuelle aussi bien que quotidienne et qui n’est pas forcément relative aux événements du jour. On ne voit pas bien quel rapport peut avoir le Journal des Savants, par exemple, avec les papiers journaux de nos ancêtres.

Ramage aussi a été un adjectif et, au xvie siècle, il signifiait encore quelquefois rameux : Moins sont piteulx que n’est la loupe cerve Eschauffée dedans le boys ramaige. Gringore, l’Obstination des Suysses. — Il se disait surtout des oiseaux qui vivaient dans les bois, dans les branches des arbres, et aussi de leur chant : Je m’en allois souvent cueillir le houx, Pour faire gluz prendre oyseaulx ramages. Marot, Églogue au Roy. — Plus à l’abri de l’ombrage Des oyselets aux doux chants On n’oit le caquet ramage. Baïf, Poemes, L. III (II, 128). — L’idée de chant étant devenue dominante, le mot ramage s’est complètement détaché de sa signification primitive.

Le sens primitif de quitter, c’est laisser quitte, libérer d’une dette, d’une obligation. C’était encore un sens usuel au xvie siècle : Ils supplierent la Deesse de les dispenser de leur promesse, et les quitter pour cinq cents chevres qu’ils luy sacrifieroient tous les ans. Amyot, Malignité d’Hérodote. — Par un changement de construction, au lieu de dire quitter quelqu’un d’une dette, on a dit quitter une dette à quelqu’un, et de là est venu le sens de céder, abandonner une chose à quelqu’un : Otanez, l’un des sept qui avoient droit de pretendre au royaume de Perse… quitta à ses compagnons son droit d’y pouvoir arriver. Montaigne, III, 7. — On voit comment des expressions telles que quitter la place à quelqu’un ont amené le mot au sens de s’éloigner de quelque chose ou de quelqu’un.

Dans certains mots, la perte complète du sens primitif est venue d’une erreur étymologique, d’une fausse analogie. On a rapproché le mot d’un autre avec lequel il avait quoique ressemblance de forme, mais qui appartenait à un radical différent.

Tel a été le cas de soufreteux, pour soufraiteux, adjectif dérivé de soufraite, qui signifiait manque, privation, dénuement. On était soufreteux d’argent, de blé, ou bien soufreteux, sans déterminant, s’employait dans le sens que nous donnons à indigent : Le souffreteux est miserable, Et le trop riche est enviable. Pussé-je vivre entre les deux ! Baïf,