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DUMERSAN — DIBIESNIL

f«^

Les Bédouins de Paris, La Camahlla, Les Saltimbanques ?


En même temps Dumersan écrivait quelques ouvrages de numismatique , quelques articles d’encyclopédie ; mais, peu soucieux de se tenir au courant d’une science qu’il était pourtant censé représenter, il ignorait même les procédés en usage à la Monnaie de Paris pour la frappe des médailles : aussi vit-il plusieurs fois ses droits méconnus ; enfin, ildevint conservateur-adjoint du Cabinet des Médailles en 1S42, et chevalier de la Légion d’Honneur par-dessus le marché. Dumersan est mort en 1S49. On lui doit aussi des romans, des poèmes , des contes et nouvelles, des articles de critique, des études de mœurs, etc. Il honnissait les romantivTues , vilipendait les poètes de la Révolution , méprisait Béranger, el pourtant ses vers à lui sont déjà presque oubliés. L. LouvET.

DUMESNIL (Marie-Fhançoise) , célèbre tragédienne, naquit à Paris, de parents pauvres, en 1713. Après avoir joué la comédie en province, notamment à Strasbourg et à Compiègne, elle fut appelée à Paris , et débuta, le 6 août 1737, au Théâtre-Français, par le rôle de Clytemnestre, dans Ipkigénie en Aulide de Racine , puis par ceux de Phèdre, dans la tragédie de ce nom, et d’Elisabeth, dans Le Comte d’Essex de Thomas Corneille. Son succès fut immense, et Boissy, dans sa comédie V Apologie du Siècle, sut fort bien apprécier le talent de la débutante par une tirade que termine ce vers vraiment prophétique :

Elle ne suit personne et promet un modèle. Après avoir joué Phèdre devant la cour à Fontainebleau, M"« Dumesnil fut reçue sociétaire le 8 octobre de la même année, sans avoir passé par l’intermédiaire de l’admission à l’essai. Elle méritait bien cette exception honorable. En effet, aucune actrice avant elle n’avait excité d’aussi profondes impressions dans l’âme des spectateurs, n’avait produit une illusion plus complète ; jamais jusqu’à elle on n’avait mieux exprimé le désordre du désespoir maternel dans Mcrope , ni les criminelles fureurs de l’ambition déconcertée dans la Cléopâtre de Rodogunc. La première fois qu’elle parut dans ce rôle terrible, le parterre, eflrayé des imprécations qu’elle vomissait avant d’expirer, recula par un sentiment spontané d’horreur, laissant un grand espace vide entre ses premiers rangs et l’orchestre. Ce fut aussi à une représentation de la même tragédie qu’en prononçant, dans les convulsions de la rage, ce vers :

Je maudirais les dieux s’ils me rendaient le jour, elle se sentit frapper d’un vigoureux coup de poing dans le dos par un vieux militaire, qui, placé sur le théâtre derrière elle, lui adressa en même temps cette énergique apostrophe qui interrompit le spectacle : Va, chienne, à tous les diables !

M"’ : Dumesnil regardait avec raison cette injure et ce 

coup de poing comme l’éloge le plus sincère et le plus flatteur qu’elle eût jamais reçu. Elle jouait avec la même supériorité Agrippine dans Britannicus, Athalie ; Léontine dans Béraclius, et Hermionedans ^ndromojae ; mais dans ce dernier rôle les scènes d’ironie descendaient un pen trop jusqu’au ton familier de la comédie.

LedébutetlaréceptiondeM"01airon,en 1743, auraient pu porter atteinte à toute autre réputation moins justement acquise que celle de M"’ Dumesnil ; mais la sienne était trop bien établie, le talent dont la nature l’avait douée était trop réel, trop incontestable, pour qu’elle eût à redouter, une concurrence quelconque. Si le public se partagea entre les deux rivalp.s , il n’en résulta toutefois ni cabales, ni querelles , ni combats, comme on l’a vu dans tant d’autres occasions. Les partisans de l’une rendaient justice à l’autre, et sans chercher à comparer, à mettre en opposition deux talents qui n’avaient pas entre eux le moindre rapport, ils jouissaient également d’une réunion qui, en illustront la scène, variait les plaisirs et l’admiration du public La retraite prématurée de M"" Clairon lui avait laissé sans partage le sceptre tragique. Les principaux rôles qu’elle étabUl pendant sa longue carrière dramatique furent : .^lérope, Zulime et Sémiramis, dans les tragédies de Voltaire qui portent ces titres ; Clytemnestre dans Or«/e, du même auteur ; la Gouvernante dans la comédie de La Chaussée ; M"’ Yan-Derck dans le Philosophe sans le savoir, de Bedaine, etc. Marmontel, qui lui avait confié un principal rôle dans Les Héraclides, lui attribua méchamment, et peut-être à tort, la chute de cette tragédie, qui ne s’est jamais relevée. Il prétend que cette actrice, ayant demandé pendant le premier entr’acte un verred’eau etde vin, suivant son habitude, avala parinadvertance un verre de vin pur qu’on lui présenta, et que, dans son étourdissement, elle ne fit plus que balbutier son rôle de la manière la plus risible. Voltaire rendait plus de justice à M"* Dumesnil ; et quoiqu’il lui ait donné moins de rôles et moins de louanges qu’à M"’ Clairon, dont il redoutait le caractère altier et vindicatif, il préférait le talent et la bonhomie de la première.

Cette actrice n’était pas belle, et généralement on trouvait qu’elle ne soignait pas assez sa démarche, sa tenue et ses gestes ; mais, malgré son physique grêle, elle avait un caractère de tète imposant, et la fierté de son regard lui donnait bien la majesté d’une reine, même sans le prestige du costume. On raconte qu’à une répétition générale du Comte d’Esses, pour les débuts de L a r i v e , élève de .M"’ Clairon , l’actrice retirée assistait dans une parure très-élégante , avec une brillante et nombreuse assemblée qu’elle avait invitée. .rrive m"" Dumesnil , vêtue du simple et modeste casaquin qu’elle portait ordinairement chez elle. M"’ Clairon et les grandes dames qui garnissent les loges plaisantent et rient indécemment d’ime toilette aussi négligée ; mais bientôt M"’ Dumesnil, chargée du rôle à’ Elisabeth, fait pleurer et frémir les spectateurs, et les rieuses ne peuvent s’empêcher de l’applaudir.

Les amateurs vulgaires trouvaient que le talent de cette actrice était inégal, parce qu’elle n’avait pas la déclamation majestueuse, mais uniforme, emphatique, et monotone de M"" Clairon. Sa manière était de réciter simplement et avec volubilité, de déblayer les morceaux languissants, les détails peu intéressants, pour se hâter d’arriver aux passages les plus marquants, où, se relevant avec énergie, elle frappait les grands coups, excitait au plus haut degré la terreur ou la pitié, et ne manquait jamais de produire les effets les plus admirables. Dans^ Mérope , elle donna le premier exemple d’une heureuse innovation. : au lieudemarchergravementplus ou moins vite, comme on avait pensé jusque alors que l’exigeait la dignité tragique, elle courait rapidement pour sauver Égyste et arrêter le bras du tyran prêt à le poignarder. Dorât a parfaitement caractérisé cette actrice dans son poème de La Déclamation. Retirée en 1776, avec 5,000 fr. de pension du théâtre et du roi, et avec le. produit d’une représentation qui fut donnée en 1777 à son bénéfice. M" Dumesnil passa le reste de ses jours dans le sein de l’amitié. Elle avait été simple dans ses mœurs, douce avec les comédiens ; et comme elle n’avait pas employé les mêmes moyens que sa rivale pour se faire 18,000 livres de rente , ni affiché comme elle la prétention d’être le premierministred’un petit prince d’Allemagne, elle n’eut rien à changer à son train ni à ses habitudes. La révolution lui ayant fait perdre la majeure partie de ses revenus, elle vécut quelques années dans un état voisin de l’indigence, reçut des secours sous le gouvernement consulaire et mourut à Boulogne-sur-Mer, le 20 février 1803, âgée d’environ quatre-vingt-onze ans, trois semaines après Jl"^ Clairon, et quatre ans après avoir laissé publier sous son nom des Mémoires qui oflrent peu de détails sur sa personne, et qui ne sont qu’une réfutation de ceux que son ancienne rivale venait de livrer au public. H. AcriFFREî-.