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i rliacun solon ses mt^rites. Seulement, la puissance souveraine dont le prince Rodolphe était armé est remplacée chez le comte de Monte-Christo par la pofsession de trésors fabuleux, tels qu’on n’en voit guère que dans £« .Ville et une A’uils. C’est sur cette donnée que repose toute l’action. La première partie surtout renferme de véritables beautés. Une création tout à fait à part est le caractère de l’abbé Faria, détenu dans une prison d’Etat sous l’empire, et traité comme fou, tout en déployant les qualités les plus rares , sagacité profonde, savoir, persévérance, résignation. Le principal pct^ sonnage, Kilnioml liantes ou Monte Christo , se distingue du prince Rodolphe eu ce qu’il a une vengeance personnelle a eïcrcer : il en résulte quelque chose de plus passionné dans sa physinuniuie. Néanmoins, l’auteur, dans ,sa complaisance pour lui, liuil par en faire un être par trop supérieur et par trop exempt des faiblesses humaines. Tout en se livrant à la composition des romans, .L .lexandre Dumas n’a pas abandonné le théâtre. Le brillant succès de Mademoiselle rie Belle- 1 sle , à la Comédie-Française, le prouve suflisamment. En 1S46 il a fait représenter Une fille du Régent , comédie en cinq actes. On y a retrouvé son talent dramatique, la connaissance de la scène, la vivacité du diaWi ;;ue. .Mais on y a critiqué le romanesque des situations et des quiproquos trop prolongés. Qu’il nous soit permis, toutelois, de reijrelter qu’un écrivain si heureusement doué prodigue trop souvent sa vive intelligence à des [iroductions éphémères. AKT.tLD.

A cette époque, comme César, qui dictait quatre lettres à la fois, M. Alexandre Dumas, établi à Saint-Gerniain-en-Laye, aux portes de Paris, où il s’était fait bitir un pavillon coquet, qu’il appela te Chûleau de Monle-C/ihslo, fournissait simultanément à quatre journaux leur feuilleton quotidien. C’est ainsi que parurent de front : Le Chevalier de Maison Rouge, La Guerre des Femmes, Le Bâtard de Mauléon, trois romans (|ui se partagèrent la curiosité et l’admiration toujours éveillées du public. Mais, comme on vient de le dire, le succès des Trois Mousquetaires éclipsa tous les autres. Cet ouvrage, semi-historique, plein d’invention, de verve et d’intérêt, eut une vogue prodigieuse, et fut lu non-seulement en France, mais dans toute l’Europe avec une avidité sans égale. Il se divise, à l’heure qu’il est, en trois parties, dont la dernière. Le Vicomte de Bragelonne, vient à peine d’être terminée, ^ous pensons bien qu’elle ne restera pas sans suite.

En cet heureux temps, on racontait que les bronzes, les statues , les tableaux de Monte-Christo avaient été payés par Les trois Mousquetaires, que les huit chevaux qui garnissaient les écuries de l’auteur de Cliristine étaient dus à La Dame de Montsoreau , et que les deux maisons de campagne qui s’élevaient à l’horizon devaient être acquittées par Le Comte de Monte-Christo. On disait encore que M. Alexandre Dumas estimait ses revenus de la dernière année à 186,000 fr.

Le travail écrasant et journalier auquel se livrait sans relâche l’intarissable écrivain lui laissait pourtant encore le loisir de refondre pour la scène la plupart de ses romans ; et le public ne tarda pas à aller saluer de ses bravos à l’Ambigu ces mêmes Mousquetaires dont il avait l’imagination toute pleine. Jugeant avec raisou qu’une telle fécondité suffirait amplement à l’approvisionnement d’un théâtre spécial , M. Alexandre Dumas imagina de s’en f.iire bâtir un à lui. Cu mois après, grJce au duc de Montpensier, le privilège était obtenu , et au bout de six mois à peine le théAtre bili, c ;u’ l’inlatigable romancier semble communiipicr h tout ce qu’il approche cette fièvre d’improvisation qui le dévore. Pour ne pas perdre une minute d’un temps si précieux , M. Dumas faisait les répétitions de ses pièces au |)etit UiéÂtredc Saint-Germain, qu’il avait acheté, et c’est sur crtte sc^ne que fut joué pour la première fois llamlel , qu’il «Tt it traduit en vers en collaboration avec M. Paul Meiuice. Les auteurs ont su conserver dans celte imitation tous les puissants effets ilu drame anglais, étrangement affaiblis par Ducis , et donner à leur poésie celte tournure exceptionnelle qui caractérise le génie de Shakspeare.

M. de Salvandy, alors ministre de l’instruction publique, vint arracher pour un moment M. .lexandre Dumas à ses gigantesques travaux en lui confiant une mission d’exploration en .Afrique. Invité au mariage du duc de .Montpensier, il s’arrêta quelque temps en Espagne, signa au contrat, et monté sur un bâtiment de l’Ëtat, qu’il se crut presque autorisé à regarder comme sien, il poursuivit son voyage eo Algérie, qu’il visita complètement, en compagnie de son fils et de .M. Maquet, son collaborateur. Le bey de Tunis, le reçut avec les plus grands égards. 11 trouva à son retour ses pièces prêtes à être jouées. Le théâtre baptisé d’abord du non» de Théâtre Montpensier dut, par suite de quelques susceptibilités venues d’en haut , changer ce nom en celui de Théâtre Historique. Il s’ouvrit par La Reine Margot, linme émouvant, tiré d’un des meilleurs romans de l’auteur. On courut y applaudir L’Intrigue et CAmour, et Le Chevalier de Maison Rouge, épisode du temps des girondins. Le succès de celle dernière pièce fut immense, et son refrain deïint la .War5ei//aiie des journéesde Février. VinrentensuileJ/onte-Christo, pièce en deux soirées, que l’auteur fut obligé de réduire en une ; CatiHua, La Jeunesse des Mousquetaires, La Guerre des Femmes, Le Comte Herman, qui, malgré son mérite, ne fut que médioirement goùlé ; Vrbain Grandier, Pauline, Les Frères corses, La Chasse au chastrc. .Mais le Théâtre Historique , quoique généralement suivi , ne portait |>as en lui des éléments de durée : sa rapide construction avait absorbé des sommes énormes, sa position lui nuisait ; il tomba. M. Alexandre Dumas avait compté profiter des 400,000 fr. de bénéfice que rapportaient, suivant lui, chaque trimestre aux directeurs des théâtres des boulevards ’ses feuilletons métamorphosés en drame. .Ku lieu de ces prodigieux bénéfice,s, il dut vendre ses propriétés, demander à faire cession de biens , et les tribunaux en fin de compte , méconnaissant l’homiue de lettres sous le directeur de théâtre, le déclarèrent un jour en faillite.

Ce^Jcndant, les tracas d’une administration embarrassée, si bien faite jiour dessécher l’esprit, n’avaient rien enlevé à M. Dumas de sa verve el de son courage. Parti i>our Bruxelles le 10 décembre 1851 , il nous envoya de Belgiijue, pendant près de deux ans qu’il y resta, une série de romans, tous plutôt dévorés que lus, ciir il est rcmartpiable que le public ne se lasse pas plus de lire M. Dumas que celui-ci d’écrire ; tels sont Le Collier de la Ëeine, Ange Pitou, La Comtesse de Charnij , Isaac Lnquedem. dont cinq volumes seulement ont paru sur vingt-cinq ou trente dont se composera l’ouvrage, la publication en ayant été suspendue par ordre supérieur. Tels sont encore Le Pasteur d’.isbourn , Les Forestiers, et en dernier lieu ses Mémoires, qui ne sont autre chose que l’histoire des grands événements et des hommes remarquables au milieu desquels il a vécu. On lui a beaucoup reproché , avec quelque raison peut-être, d’y avoir laissé percer une certaine forfanterie, inhérente, il faut l’avouer, à sa nature fiévreuse et à son caractère bouillant. Le livre n’en est pas moins un des plus curieux qu’on ait écrits depuis longtemps. M .Mexandre Dumas y divulgue sans crainte à son lecteur tous les mystères des coulisses politiques et théâtrales. .vec son style parfois incorrect, mais toujours piquant et varié, il y raconte tout ce qu’il a entendu, tout ce qu’il a vu, tout ce qu’il a fait, au risque de choquer des amours-propres el même de soulever des réclamation.5. Quelquefois, il faut bien le dire, son imagination prête à l’histoire ; mais qu’y faire ? M. .leandrc Dumas n’écrit guère l’histoire autrement ; et qu’importe après tout que ce soit plus ou moins vrai, si c’est amusant ? D’ailleurs, cet abanlon dePécrivaiD, cette absence d’apprêt , ce décousu «lans la narration , est I précisément ce qui fait le plus grand charme des Mémoires,