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sais , contribua à tourner les esprits vers l’exploration du passé : romans, drames, tragédies, tout fut emprunté à l’histoire ; on mit les chroniques en scùne , on s’engoua de la couleur locale, et l’on crut avoir découvert une source intarissable de poésie. 11 est aisé de retrouver dans le Henri III de .^I. Alexandre Dumas les traces de cette disposition générale. Mais , hàtons-nous de rendre jvistice à l’auteur , le placage historique, le mélange du sérieux et du bouffon, l’emploi des sarbacanes et des bilboquels , n’étaient pas les seuls mérites de cet ouvrage. A la physionomie nouvelle de l’action se joignait un vit attrait de curiosité ; l’intérêt, d’abord incertain , allait croissant, et se concentrait avec force dans les derniers actes ; la chaleur et l’énergie du dialogue, un sentiment très-juste des effets du thé^Ure, annonçaient dès lors une vocation dramatique très-décidée. Le succès fut immense ; ce fut un triomphe pour la jeune école , dont les démonstrations eurent quelque chose de délirant, et la ronde qui se dansa immédiatement après la représentation dans le foyer du Théâtre- Français pouvait se dispenser de prendre pour cri de ralliement : Enfoncé Racine !

Quoi qu’il en soit, cette réussite devait donner à l’auteur plus de facilité pour faire jouer son premier ouvrage. Christine fut reprcsenlée sur le théâtre de l’Odéon le 30 mars 1830. Là encore on retrouva de la passion, de l’intérêt, et l’art de combiner des situations dramatiques. Cependant, le style laissait beaucoup i désirer. La pièce élaii en vers , mais en vers dont la cadence brisée justifiait trop la prétention de ressembler à de la prose et à de la prose bizarre et sans harmonie. L’année suivante, Antony fut joué sur le théitre de la Porte-Saint-Marlin. A partir de cette époque , chaque pièce nouvelle de M. .Alexanlre Dumas fut en quelque sorte un événement littéraire. Le sujet et l’action, plus rapprochés de nous, pris dans nos mœurs , et aspirant à peindre la société actuelle , étaient de nature à exciter des émotions plus vives et plus intimes. Antony personnifiait en effet le drame moderne , avec ses qualités comme avec ses défauts. Le héros est un de ces Lovelaces bourgeois qui exercent sur les femmes une fascination miraculeuse. Placé dans une position exceptionnelle pir sa naissance , il jette le défi à la société ; c’est l’apologie de toutes les mauvaises passions, c’esf l’adultère mis en présence du mariage , et glorifié avec un aplomb imperturbable, et pour ainsi dire avec une sécurité de conscience qui pouvait exercer de cruels ravages syr les âmes jeunes et inexpérimentées. L’auteur a jeté dans l’action le rôle d’une certaine vicomtesse de Lancy , qui, de même qu’Ernestinc dans Angèle, étale des vices un peu trop sans façon ; ce luxe d’immoralités est rais là sans doute comme repoussoir , et pour sauver ce que la situation des principaux personnages aurait pu avoir de trop heurté. SL Dumas eut en même temps l’habileté de lier à sa fable !a cause du drame romantique , et d’en faire presqu’un des ressorts de son action.

Charles VII, Térésa, Richard Darlington, La Tour de Nesle, se succédèrent rapidement. Les deux dernières pièces furent faites en commun avec des collaborateurs, et la discussion même à laquelle donna lieu la question de propriété de La Tour de Aesle prouve que dès lors le nom de M. Alexandre Dumas avait acquis cette vogue de popularité qui suppose d’avance le succès. Angèle est de 1834 : cet ouvrage a l’allure aisée d’un talent déjà mûr, qui se joue des difficultés , et qui se tire habilement des situations les plus périlleuses. Si le côté immoral de certains caractères y est alfiché avec un peu trop d’effronterie, on y trouve en revanche une intrigue savamment conduite , un dialogue rapide et naturel, des mots sortis des entrailles, enfin un dénoùment neuf et saisissant. Catherine Howard et Kapoléon parurent la même année. Kcan et Don Juan de Marana sont de 1836. Dans ce nouveau Don Juan , l’autenr DUMAS H 7

semble avoir voulu reproduire la variété, le mouvement et l’action compliquée du théâtre espagnol. La prétention d’imiter la forme des mystères du moyen âge n’a pas paru également heureuse ; le bon et le mauvais ange , dans les quels est personnifiée la conscience de Don Juan , sont une de ces inventions qui feraient rétrograder l’art dramatique jusqu’aux époques de son enfance. Le mélange des verset de la prose, admis dans les pièces de Shakspeare, a semblé sur la scène une innovation bizarre. Toutefois , il est juste de dire qu’ici la versification de M. Alexandre Dumas est devenue plus harmonieuse et plus pure ; on a remarqué surtout une imitation de l’hymne à la Vierge, pleine de grâce et de poésie. Il n’est pas besoin d’ajouter que le drame offre des scènes de passion pleines de vigueur , notamment celle où Don Juan , qui , touché de repentir , s’est fait chartreux, oppose aux provocations de son frère l’humilité la pluscontrite, jusqu’à ce que, poussé à bout par le dernier outrage, il saisit enfin le fer que lui tend son frère, et le tue.

Ces œuvres multipliées , par lesquelles M. Alexandre Dumas alimentait à la fois le Théâtre-Français , l’Odéon et les théâtres du boulevard , ne suffisaient pas à absorber l’activité de son esprit. Ses Impressions de Voyage, et des travaux historiques, tels que Gaule et France, et les Chroniques de France, attestent sa facilité prodigieuse ; les Impressions de Voyage en particulier sont écrites avec une verve qui entraine le lecteur : descriptions, anecdotes, réflexions , tout s’enchaîne sans effort ; le récit de l’ascension de Jacques Balmat sur le Monf-Iîlanc est un morceau plein d’intérêt. Çàetlà l’auteur a cousu quelques lambeaux d’histoire , qu’on reconnaît pour des produits tout frais de Ses études de la veille. Ses travaux historiques portent ainsi la trace d’une éducation relaite à la bâte. . mesure que l’auteur apprend quelque chose de nouveau , il s’empresse de le convertir en livre et de le rendre au public. Du reste, cette excessive facilité de produire et ce don de l’improvisation paraissent être un des caractères principaux du talent de SI. Dumas.

Jusque ici , dans cette carrière de quelques années , si courte et pourtant si abondamment remplie , nous n’avons encore vu, pour ainsi dire, qu’une moitié de lui-même A côté du mérite de la composition dramatiiiue va se révéler en lui l’invention du romancier. Sans passer en re’ue tous les romans qu’il a écrits , nous devons une mention particulière aux plus remarquables. Les trois Mousquetaires ont excité et tenu en haleine la curiosité publique par une action vaste et compliquée , par une intrigue fortement nouée , par des caractères bien conçus et heureusement soutenus jusqu’au bout , enfin , par une foule de détails ingénieux et par une verve intarissable d’esprit et d’imagination. Il semble que cette forme d’improvisation quotidienne, imposée par les romans-feuilletons , contre laquelle vient échouer l’impuissance des talents médiocres, soit un stimulant de plus pour la bouillante activité intellectuelle de M. Alexandre Dumas. Une fois qu’il a marqué le but auquel doit aboutir sa course, il lâche la bride à son imagination, la laisse courir avec une aventureuse insouciance, s’inquiétant peu de son humeur vaga’uonde, et comptant sur les heureuses rencontres que le hasard ne refuse pas au génie. 11 faut dire aussi qu’à côté des caprices de sa fantaisie errante , se trouve toujours la connaissance intime des secrets du cœur humain , la peinture fidèle de la société , et une vue nette des choses de la vie que la poète semble avoir expérimentée sous toutes ses faces. Le Comte de Monte-Christo est aussi un des romans modernes qui ont le plus vivement captivé l’intérêt des lecteurs. L’idée première n’est autre que celle des Mystères de Paris de Jl. Lugone Siie. C’est un homme qui se lait l’instrument de la Proidonce, et qui rend la justice distributive en ce monde, dispensant le châtiment et la récompense la.