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ARISTOTE

de réduire à de moindres termes tout ce qu’il avait à dire sur cette matière, qui parait si peu susceptible de cette précision, qu’il fallait un génie comme le sien pour y conserver en même temps de l’ordre et de la netteté. Cet ouvrage d’Aristote s’est présenté à mes yeux comme une table de matières qu’on aurait extraite avec le plus grand soin de plusieurs milliers de volumes remplis de descriptions et d’observations de toute espèce ; c’est l’abrégé le i)lus savant qui ait jamais été fait , si la science est en effet l’histoire des faits ; et quand môme on supposerait qu’Aristote aurait tiré de tous les livres de son temps ce qu’il a mis dans le sien, le plan de l’ouvrage, sa distribution, Je choix des exemples, la justesse des comparaisons, une certaine tournure dans les idées, que j’appellerais volontiers le caractère philosophique, ne laissent pas douter un instant qu’il ne fût lui-même bien plus l’Tche que ceux dont il aurait emprunté. » Ses principales divisions du règne animal, comme l’a remarqué le savant Cuvier, sont encore aujourd’hui les plus solidement établies ; car on y pourrait trouver la séparation des animaux vertébrés et des invertébrés ; les animaux articulés , les mollusques y sont aussi distingués des autres classes. Il a bien connu les quatre estomacs des ruminants, et il a disséqué des singes et des éléphants, puisque les indications qu’il en donne ont été confirmées par les zootomistes de notre siècle. Il décrit la gerboise, le chacal et d’autres espèces rares de l’Orient. Il avait bien étudié aussi les poissons et plusieurs mollusques marins. Il a suivi le développement du poulet dans l’œuf avec une curieuse exactitude, quoique dépourvu d’instruments microscopiques et des autres secours que le scalpel des modernes doit aux autres sciences, etc. Les crustacés, les insectes les plus délicats , n’ont pas été négligés ; et sans doute il employa divers observateurs ou des élèves pour se procurer un si grand nombre de faits, qu’il coordonne avec autant d’ordre que de sagacité et de génie. Il s’éleva surtout à des vues philosophiques sur l’ensemble du règne animal , et reconnut la gradation croissante des êtres depuis les moins compliqués jusqu’aux plus parfaits , et depuis les corps inorganiques jusqu’aux mieux organisés , en passant par des degrés successifs. Il avait même étendu ses recherches sur les espèces marines qui se multiplient par division ou bouture, à la manière des végétaux. Les racines des végétaux lui paraissent être l’analogue de la bouche des animaux , et il considère les premiers comme un animal retourné.

L’anatomie comparée, que les travaux de l’illustre Cuvier ont élevée si haut , remonte donc à Aristote , qui en a jeté les principaux fondements ; il paraît avoir accompagné son ouvrage de dessins qu’il cite , mais qui ne nous sont point parvenus. Quoiqu’il ait découvert les nerfs encéphaliques, il n’a guère connu leurs usages , puisqu’il place au cœur le foyer de la sensibilité. Cependant il observa que les vaisseaux sanguins aboutissaient au cœur ; mais il ne distingua pas bien les veines des artères. Il a vu que l’homme possédait le cerveau le plus volumineux relativement à son corps, et il a décrit ses méninges ou enveloppes. Voici la notice de ses ouvrages sur les animaux : De leur histoire, en dix livres ; Des parties des animaux, et de leurs caîises, quatre livres ; De la génération des animaux, cinq livres ; Des mouvements des animaux, etc.

Un si vaste génie, l’étendue et la multiplicité des sciences qu’il embrassa, firent dire à Cicéron que l’ardente curiosité des péripatéticiens s’était étendue à la fois sur toutes les régions du ciel, de la terre et de la mer, en sorte que rien ne paraît leur avoir échappé dans la nature. Ce n’est pas qu’Aristote ait cependant tout tiré de son propre fonds , mais il sut s’approprier par les vues neuves de son esprit les opinions déjà émises par d’autres philosophes. Ainsi , ce qu’il dit du temps était pris d’Archytas ; il s’empare des idées d’Ocellus sur le mouvement , de celles de Timée de Locres sur le vide, de celles de Démocrite et de Leucippe sur l’empyrée ou le feu élémentaire au-dessus de l’orbite lunaire, quoique ce soit une erreur, comme ce qu’il dit de la zone torride , inhabitable selon lui par son extrême chaleur. Il regarde le monde comme coéternel à Dieu. Leibnitz a déjà remarqué que quoiqu’il y ait des questions très-sublimes dans la Physique d’Aristote, l’ensemble en est défectueux ; infelix operis summa. Il introduisit en effet une infinité de formes et de facultés distinctes de la matière , et enseigna qu’il naît et se perd de nouveaux êtres, ce que rien jusqu’ici n’a démontré. Semblable , dit Bacon de Verulam, à ces despotes de l’Orient, qui égorgent leurs frères pour régner seuls en paix, Aristote semble avoir pris à tâche d’étouffer les autres philosophies pour établir son empire ; il présente sous un jour peu favorable tout ce qui s’éloigne de ses propres opinions, et les terrasse par cette habile tactique. Enfin le satirique Lucien se joue des observations minutieuses des péripatéticiens, occupés à mesurer le saut d’une puce ; mais ce fait, supposé viai, démontrerait encore une grande ardeur d’étude pour quelques parties de l’entomologie. Nous avons cité les trois principes, matière, forme et privation, qu’Aristote pose dans sa Métaphysique : il établit bien d’autres causes. Selon lui , il y a dans l’univers trois essences ou substances : 1° l’essence immobile et incorruptible, qui enveloppe le grand univers, c’est la Divinité ; 2" l’essence incorruptible et mobile, qui est le feu ou la sphère de l’empyrée dans le firmament, s’étendant jusqu’à l’orbite de la lune, et constituant les astres ; 3° enfin l’essence mobile et corruptible , l’air, l’eau et les éléments, qui descend jusqu’au centre de la terre : les deux premières constituent la sphère céleste, celle-ci la sphère sublunaire. Le mouvement circulaire appartient aux deux premières, le rectiligne à la dernière , qui seule est douée de la pesanteur. Au delà de la sphère sublunaire, où régnent les dieux , se trouve , non plus les quatre éléments , mais une cinquième nature ou quintessence, pâture des astres, nectar des dieux, éther pur, substance toujours la même , et divinisée. Enfin, par-delà cette substance élhérée existe le premier moteur, substance inaccessible, infinie, indivisible, éternelle, dont la pensée fait la vie immatérielle , Dieu ineffable , comprenant toutes les sphères successivement plus denses et concentriques, jusqu’à la terre, noyau central. Tel est le monde, subsistant nécessairement de toute éternité, formé de lui seul, et se conservant par ses propres forces, comme Dieu même , dont il est le coéternel. Outre le premier moteur, chaque astre a sa sphère motrice qui l’entraîne d’orient en occident ; il y a des âmes, ou natures particulières , qui meuvent les sphères planétaires avec leur planète. De même, dans la sphère sublunaire chaque individu et espèce possède son principe particulier d’action, son entéléchie, qui lui communique sa forme et son organisation. C« ne sont pas des parcelles de la Divinité, puisque celle-ci reste dans les sublimes hauteurs, sans communication ni influence avec les natures sublunaires livrées à leurs propres instincts ou volontés, ou au hasard de la fortune. Les êtres agissent d’après une sorte de résultat mécanique de leurs principes constituants, comme des rouages engrenés dans ceux du grand monde. Tout s’opère ainsi par la seule énergie de la nature en présence de la Divinité, mais sans son concours. Cependant tous les êtres sont coordonnés pour une fin quelconque, car les plantes elles-mêmes ont un but, quoique destituées de volonté. Mais la fin pour laquelle agissent les êtres ne résulte pas d’eux-mêmes ; c’est la nature qui les fait ainsi opérer. Dieu , délivré du pénible soin de gouverner le monde, est infiniment heureux, intelligent, roi du ciel et de la terre, mais non responsable du mal. Sa puissance ne descend point jusqu’à la sphère sublunaire ; ainsi la terre échappe à sa providence. S’il en est ainsi, l’âme, n’ayant point pour témoin de ses actions la Divinité, qui n’y prend aucun intérêt, ne doit pas être punie ou récompensée ; cette