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MYTHIQUE (SENS)


nique grandissante et l’influence des mythes païens. — M. Loisy estime pareillement que « les récits de l’enfance ne sont pour l’historien qu’une expression et une assertion de la foi messianique, de cette foi qui s’affirme au début de l’Évangile de Marc et qui a transfiguré les souvenirs des apôtres, qui s’affirme aussi et se développe dans Paul, puis dans le quatrième Évangile. Cette foi est comme la réponse que les générations de fidèles font successivement à la proposition de l’Évangile de Jésus ; elle grandit en restant toujours la même, comme un écho qui, en se répercutant de montagne en montagne, deviendrait plus sonore, à mesure qu’il s’éloignerait de son point de départ ». L’Évangile et l’Église, 2e édit., p. 31. Le critique ajoute : « Cette idéalisation inévitable et légitime du Christ, se produisant spontanément dans la conscience chrétienne, et non par un travail d’observation rigoureuse et de réflexion méthodique, a dû affecter, jusqu’à un certain point, la forme d’un développement légendaire, et elle se présente comme telle au premier regard du critique, bien qu’elle ne soit, en elle-même, qu’une expansion de la foi et un moyen encore insuffisant de placer Jésus à la hauteur qu’il lui convient. » Ibid., p. 21.

b) Preuves de l’historicité des récits. — Or, si nous considérons le fait fondamental de la conception surnaturelle de Jésus, il semble bien, d’une part, que ce tait soit attesté par deux récits indépendants, lesquels se confirment l’un l’autre ; d’autre part, que ces récits eux-mêmes remontent aux premiers jours de l’Église et ne contiennent rien qui accuse une correction tendancieuse apportée à des relations primitives de signification différente ; enfin, que la primitivité de la croyance en la conception surnaturelle du Sauveur soit garantie par la primitivité même de la foi en sa préexistence céleste et en sa divinité : toutes choses qui contredisent formellement les suppositions faites par les critiques. — Tout d’abord, l’indépendance des deux récits de saint Matthieu et de saint Luc résulte des faits suivants : pour le ministère public de Jésus, les deux Évangélistes rapportent les actions et même les discours du Sauveur d’une manière sensiblement différente, et le plus grand nombre des critiques en concluent que, tout en puisant leurs renseignements à des sources communes ou voisines, ils ne se sont pas connus l’un l’autre ; à prendre simplement les deux premiers chapitres, il est clair qu’ils ne contiennent aucun épisode commun, ils représentent visiblement deux traditions parallèles, ils offrent même des divergences notables, qui ne se comprendraient pas dans l’hypothèse où l’un des récits serait en dépendance visà-vis de l’autre. Les deux récits étant indépendants, il en résulte qu’ils se confirment mutuellement.

Il en résulte aussi qu’on ne peut supposer, avec Hillmann et Harnack, que saint Luc aurait emprunté à saint Matthieu l’idée de la conception virginale. Ces critiques s’efforcent de découvrir les additions et les retouches par lesquelles le troisième Évangéliste aurait introduit cette idée d^ans un récit primitif qui l’ignorait : ils n’y arrivent que par une sélection opérée dans les textes d’une façon très aventureuse et très arbitraire. — Il faut en dire autant de M. Schmiedel, qui prétend découvrir dans le texte même de saint Matthieu un récit primitif où il n’aurait pas été question de la conception surnaturelle.

En réalité, le récit entier de saint Matthieu devient inintelligible, si l’on en supprime l’idée de la naissance virginale de Jésus. Cette idée pénètre si intimement l’épisode du doute de Joseph, Matth., i, 18-25, qu’elle en fait toute l’économie et le constitue pour ainsi dire en entier ; de même, dans les épisodes des mages et de la fuite en Egypte, est-il toujours question de l’enfant et de sa mère, Joseph n’apparaissant que comme le gardien et le protecteur de l’un et de l’autre.- Matth., ii, 11, 13, 14, 20, 21. — La même idée pénètre d’un bout à J’autre la narration de saint Luc. Non seulement elle est

exprimée d’une manière formelle, en dehors de l’entretien de Marie avec l’ange, i, 34-35, lorsque l’Évangéliste donne à la fiancée de Joseph le nom de vierge, i, 27, et lorsque plus loin il spécifie que Jésus était « le fils putatif » de Joseph, iii, 23 ; mais le récit entier de la conception de Jean-Baptiste n’a sa vraie signification que s’il est destiné à préparer et à faire valoir la conception plus extraordinaire encore de Jésus ; l’objection que feit Marie à la proposition de l’ange ne se comprend bien que si elle a dessein de rester vierge ; elle n’est pas encore mariée à Joseph lorsqu’à lieu la conception du Sauveur ; c’est chez elle qu’elle revient, même après la visite à Elisabeth ; dans la scène de la Présentation et dans celle du recouvrement de Jésus au Temple, c’est encore elle qui joue le rôle principal, Joseph ne paraissant qu’au second rang. — Rien donc ne permet de croire que nos Évangélistes soient en dépendance de documents plus anciens, d’où aurait été absente l’idée de la conception virginale.

Que si maintenant l’on recherche l’origine de nos deux récits, tout semble bien établir qu’ils remontent aux cercles judéo-chrétiens de la première Église, au lieu d’avoir pris naissance dans le christianisme postérieur de la gentilité. — D’un côté, l’Évangile de saint Matthieu, qui attache tant d’importance à la Loi ancienne, à l’accomplissement des prophéties messianiques, aux pratiques des pharisiens, paraît visiblement écrit pour l’Eglise judéo-chrétienne des premiers jours, et ce caractère est particulièrement accusé dans les deux premiers chapitres, où par quatre et cinq fois les épisodes de l’enfance du Christ sont rattachés avec soin aux prophéties anciennes. — D’un autre côté, rien de plus remarquable, dans les premières pages de saint Luc, que la place prépondérante qu’occupent le Temple et son service religieux, comme aussi la couleur toute primitive du messianisme juif qui s’y trouve représenté. C’est donc au berceau de l’Église, dans les premières communautés judéo-chrétieunes, que nous sommes invités à chercher la croyance primitive en la conception virginale. D’ailleurs, au début de son Évangile, saint Luc n’at-il pas pris soin d’avertir son disciple que, pour lui confirmer ce que lui a déjà appris la catéchèse courante au sujet des origines chrétiennes, il a voulu consigner par écrit les renseignements les plus authentiques, puisés à bonne source et dûment contrôlés ? Personne ne songe à suspecter la déclaration de l’Évangéliste, et son ouvrage porte en effet la marque de multiples documents, fragments de mémoires écrits ou témoignages oraux, à l’aide desquels il a été composé. Or, parmi ces documents, celui des Origines de Jésus s’accuse avec un caractère de primitivité particulière, grâce à l’hébraïsme de son style, de ses constructions de phrases, et jusque de ses expressions. Il y a donc tout lieu de croire que la déclaration de l’auteur s’applique avec une vérité spéciale à ces premiers récits : ils doivent faire partie de la tradition originelle, celle des Apôtres et des témoins du Sauveur. — Au surplus, si l’on se place au point de vue d’une évolution naturelle, il semble bien que la conception virginale du Christ aurait dû précéder, plutôt que suivre, l’idée de sa préexistence céleste et de sa divinité : M. Schmiedel l’avoue expressément, art. Mary, § 16, Encycl. bibl., t. iii, col. 2964. Or, c’est un fait que cette dernière idée se rencontre formellement dans les Épîtres de saint Paul, et il est impossible que sur ce point l’Apôtre ait pu être en désaccord avec la croyance générale de l’Église apostolique. L’Église des premiers jours a vu en Jésus de Nazareth le Messie préexistant et Fils de Dieu : le dogme de la naissance virginale ne peut être postérieur à cette croyance primitive, qui déjà le domine et, d’une certaine manière, le contient. — Enfin, à une époque où l’Église plaçait le Christ au plus haut point de l’humanité et de la création universelle, peut-on croire que la foi se serait représenté sa naissance