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MYTHIQUE (SENS)


rapporter à la lutte du soleil matinal contre les ombres de la nuit : Tiâmat ne représente en aucune façon les ténèbres, c’est simplement la personnification de la mer ; comme telle, elle reçoit même le nom de brillante. Le combat mythologique ne peut davantage, semble-t-il, se rapporter â la lutte du soleil printanier contre les inondations hivernales : ces inondations, venant des pluies, pouvaient-elles être regardées comme un envahissement de la mer, et leur disparition être représentée par une victoire deMardouk sur Tiâmat ? L’idée qui est très clairement au fond du poème chaldéen, c’est le triomphe d’une force intelligente sur une force désordonnée, le triomphe du dieu de l’ordre et de l’harmonie cosmiques sur les éléments indomptés et tumultueux. Cf. P. Lagrange, Études sur les religion » sémitiques, 2e édit., Paris, 1905, p. 378. — D’autre part, il est précisément très remarquable que cette idée fondamentale du mythe babylonien, à savoir le combat entre Mardouk et Tiâmat, est totalement absente du récit biblique, où « le Créateur est maître dès le commencement ». Loisy, Les mythes babyl., p. xin.

M. Zimmern a prétendu rapporter aux mêmes phénomènes le récit du déluge. Cette hypothèse n’est pas moins invraisemblable. Comment croire que deux récits, aussi distincts que celui de la création et celui du déluge, traduisent un seul et même mythe naturel ? Il parait d’ailleurs impossible que l’histoire du déluge ait pour unique base un phénomène de la nature, habituel et constant. M. Loisy est d’accord avec la presque unanimité des anthropologistes lorsqu’il rattache cette histoire à un cataclysme exceptionnel. Rien donc n’oblige à mettre nos récits génésiaques en rapport nécessaire avec Babylone. — Ne pourrait-on pas aussi vraisemblablement, sinon plus vraisemblablement, faire l’hypothèse que les récits babyloniens dépendraient eux-mêmes d’une tradition primitive, étroitement apparentée à la tradition israélite, - dont ils ne seraient en quelque sorte qu’un dérivé, altéré et déformé au cours des âges, sous l’influence du polythéisme ? C’est ainsi que la description de la lutte entre Mardouk et Tiâmat semble appartenir à un second stade de la pensée sémitique ; on dirait bien la complication d’une pensée primitive, plus sobre et plus saine, telle que celle qui se trouve au fond du récit génésiaque. Le plus simple a dû venir avant le plus complexe ; la prose, avant la poésie. Le nom même de tiâmat, qui est évidemment à rapprocher du mot hébreu tehôm, n’a-t-il pas dû désigner la mer, au sens matériel, avant de devenir la mer poétisée et personnifiée ? L’assyrien tiâmat ou tihamti est employé comme nom commun, pour signifier la mer ou l’océan, aussi bien que l’hébreu tehôm ; et l’on peut croire que la racine première de ces expressions renferme l’idée d’agitation des eaux, de tumulte des Ilots, se rattachant ainsi au phénomène naturel qui a dû frapper en premier lieu les humains. Comp. tehôm avec yam, la mer, et hoûm, hâmâh, hâmam, etc., être agité. De même, l’assyrien bahu a-t-il dû, comme l’hébreu bôhû, désigner le chaos, avant de devenir Bahu, la déesse du chaos. — M. Vigouroux résume ainsi sa pensée, touchant le récit de la création : « L’écrivain israélite et les écrivains mésopotamiens nous ont transmis une même tradition, qui a été commune à l’origine, mais qui a pris des couleurs diverses en passant par des canaux différents. » « Les traditions bibliques sont plus pures, plus rapprochées de la source que les traditions chaldéennes. » « Ces dernières, qui ne nous sont parvenues que couvertes d’une épaisse couche de rouille mythologique, ont été altérées et défigurées par la suite des temps. » La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. i, p. 237. — Et à propos de l’histoire du déluge : Le récit de Moïse « est-il une simple épuration de la tradition chaldéenne, ou bien est-ce la tradition antique conservée dans toute la fleur de son intégrité, par la race d’Abra ham ? Nous ne saurions le dire, mais nons pouvons l’affirmer sans crainte de nous tromper, si c’est une épuration, ce n’est pas une épuration humaine ». « Quiconque étudiera sérieusement ces deux relations antiques du déluge, si semblables par le côté pour ainsi dire matériel, aussi éloignées l’une de l’autre que le ciel l’est de la terre par le coté dogmatique et théologique, ne pourra s’empêcher de s’écrier, saisi d’admiration devant les pages de la Sainte Écriture : le doigt de Dieu est là. » Ibid., p. 332.

2° Histoire des patriarches. — a) Le mythe astral. — En passant à la suite de l’histoire biblique, nous avons vu l’histoire des patriarches et, en partie, celle des Juges et des Rois, expliquée par le mythe astral. Bien aventureuse est cette interprétation. — La mythologie chaldéenne a-t-elle une origine purement astronomique, comme le prétend Winckler ? C’est une première question qui est loin d’être élucidée. Ce qui est encore plus hypothétique, c’est que toutes les mythologies se rattachent originellement à celle de Babylone : une telle conclusion ne peut se tirer de rapprochements isolés et souvent incertains. Cf. K. Budde, Das Alte Testament und die Ausgrabungen, Giessen, 1903 ; E. Kbnig, Altorientalische Weltanschauung und das A. T., Berlin, 1904. — Pour ce qui est de l’histoire d’Israël, on n’arrive à la réduire à la mythologique astrale de Babylone que moyennant une exégèse extrêmement arbitraire, subjective, et parfois ridicule. Les textes sont traités avec beaucoup de désinvolture ; on torture les noms propres, les nombres, les données géographiques, pour les faire accorder avec le système préconçu ; on relève les indices les plus vagues, on opère les rapprochements les plus forcés, les combinaisons les plus fantaisistes ; ce qui gêne par trop est purement et simplement éliminé. Le père d’Abraham a pour nom Térah (Tharé) : on le change en Yérafy, pour obtenir « la Lune ». Le jeune Benjamin reçoit trois cents pièces d’argent et cinq habits d’honneur : ce sont les trente jours du mois et les cinq jours épagomènes. Le nom de Saùl (Sa’ùl) signifie « le demandé », on l’interprète a le consulté », et aussitôt l’on y trouve Sin, le dieu-lune, oracle des Chaldéens ; la ville près de laquelle il meurt est Befse’ân, « la maison de repos, » on la change en Betsin, et l’on obtient « la maison de Sin » ; la lance dont le roi d’Israël menace David ne peut être que le javelot, insigne du dieu-lune ; et l’on n’a pas de peine à trouver dans son humeur noire et sa décapitation finale un symbole de l’assombrissement progressif et enfin de la disparition du disque lunaire ! À ce jeu d’esprit on réussit toujours, avec un peu de perspicacité et beaucoup d’imagination. — Cheyne lui-même, tout en disant qu’  « on pourrait admettre quelques menus éléments mythologiques en certains récits bibliques », déclare que « les arguments de Winckler paraîtront à beaucoup d’esprits trop laborieusement cherchés pour être convaincants »..Art. Jacob, g 8, Encycl. bibl., t. ii, col. 2312.

— De son côté, M. Jeremias, qui consent à trouver un certain rapport entre les douze fils de Jacob et les douze signes du zodiaque, avoue néanmoins que le nombre pourrait être historique, car, fait-il observer, l’empereur Guillaume, lui aussi, a sept enfants, six fils et une fille, or l’on pourrait bien y voir les sept planètes, y compris Vénus. N’est-ce pas en suivant les mêmes procédés que des écrivains ont fort gravement prétendu trouver dans chacun des contes populaires, recueillis par La Fontaine ou Perrault, un petit drame cosmique, ayant pour acteurs le soleil et l’aurore, la nuit, l’hiver, l’ouragan ? — D’après A. de Gubernatis, Storia délie novelline popolari, Milan, 1883, p. 83, il faut voir dans la Laitière et le Pot au lait « l’aurore qui rit, danse et célèbre ses noces avec le soleil, brisant, comme on brise en pareille occasion la vieille vaisselle de la maison, le pot qu’elle porte sur la tête et dans lequel’est Contenu le lait que l’aube matinale verse et répand sur la terre ».