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MYTHIQUE (SENS)


bien l’ancêtre des autres. » « Le poème chaldéen est tellement complet, tellement original, qu’il a le cachet d’une œuvre personnelle, qui aura donné désormais aux idées populaires une forme déterminée. Les Hébreux ont pu s’en inspirer, non par imitation littéraire directe, mais par influence ambiante. » Ibid., juil. 1896, p. 406. — Enfin, si « on ne peut conclure à une dépendance littéraire entre le récit de la Genèse » relativement au paradis terrestre « et des récits à nous connus », cependant « on se meut, dans le monde sémitique, dans le même cercle de symboles, séjour délicieux des dieux, arbres sacrés de la vie ou de la science, pouvoir merveilleux du serpent ». Ibid., juil. 1897, p. 377.

Récemment le même critique résumait ainsi sa pensée sur ce point : « Entre l’hypothèse absolument gratuite de traditions qui se seraient conservées dans leur pureté primitive en dehors de toute situation historique connue, pour être recueillies par un peuple qui n’existait pas encore, et l’hypothèse, gratuite aussi, de l’emprunt par les Israélites de traditions toutes faites avec leur polythéisme et leur mythologie, il y a, pensons-nous, un moyen terme. On peut supposer une tribu, placée sous la sphère d’influence de la civilisation babylonienne, mais ayant conservé des notions plus pures sur la divinité, qui se serait informée des théories savantes de la grande Babylone sur l’origine des choses. Selon l’usage antique, cette science était moulée dans des poèmes mythologiques, mais les théorèmes n’en avaient pas moins leur valeur propre, par exemple le chaos primordial aqueux, et pouvaient être mis en œuvre par des idées religieuses différentes de celles des Babyloniens. C’est là, peut-être, que git la conciliation entre les biblistes catholiques et les assyriologues. » Ibid., avril 1905, p. 302.

Faudra-t-i] donc admettre des mythes dans la Bible ? « Si par mythe, dit le P. Lagrange, on entend une théorie affirmée et fausse sur l’origine des choses, le mythe ne peut se trouver dans la Bible ; si par mythe on entend une manière familière et populaire, métaphorique si l’on veut, de dire des choses vraies, le mythe pourra figurer dans Ja Bible ; quelques-uns lui donneront le nom d’allégorie. » Ibid., juil. 1896, p. 393. Plus récemment, le B. P. a repoussé résolument l’appellation, la réservant à la mythologie polythéiste et lui substituant celle d’histoire allégorisée ou d’histoire légendaire. « Y aurait-il des mythes dans la Bible ? se demande-t-il. L’opinion commune se soulève à cette pensée et ne veut pas entendre prononcer le mot. Quelques auteurs catholiques, de jour en jour plus nombreux, demandent à distinguer. Naturellement ils ne tiennent pas au mot, si le mot fait de la peine. Mais ils le trouvent commode pour exprimer la ressemblance, du moins extérieure, entre les mythes et l’histoire primitive. Seulement, ont-ils soin d’ajouter, les éléments mythologiques qu’on trouve dans la Bible sont soigneusement « dépouillés « de leur couleur polythéiste, ils servent seulement à revêtir de hautes pensées religieuses » (dom Hildebrand Hôpfl, bénédictin, Die hôhere Bibelhritik, Paderborn, 1902, p. 63)… Je pense, pour ma part, qu’il vaut mieux écarter définitivement le mot, parce que l’usage attache au mot mythe l’idée d’une religion fausse et même puérile. » « Comme le mythe dans l’opinion commune signifie l’histoire des dieux, nous disons qu’il n’y a pas de mythes dans la Bible. » La méthode historique, p. 200, 206. « Mais du mythe à l’histoire proprement dite il y a loin. » « Entre le mythe, qui est l’histoire des choses considérées comme des personnes et ensuite comme des dieux, et l’histoire proprement dite, il y a l’histoire primitive légendaire. » Ibid., p. 185, 208.

C) Sentiment catholique plus général. — o) Caractère historique des récits. — Cependant la plupart des sauvants catholiques, non seulement repoussent le nom de mythes" appliqué aux premiers récits de la Genèse,

mais encore reconnaissent à l’ensemble de ces récits un caractère proprement historique, se contentant d’admettre une part d’idéalisme dans la description de la création du monde et de discuter le caractère métaphorique de tel ou tel trait des autres récits. — À leur sens, la cosmogonie mosaïque correspond d’une manière étonnante, dans ses grandes lignes, à ce qu’ont révélé les sciences naturelles. L’astronomie a fixé une origine à notre planète ; la géologie a retracé l’histoire de notre globe, constatant dans ses terrains les apparitions successives des végétaux, des animaux, et enfin de l’homme : n’est-il pas précisément remarquable que l’écrivain monothéiste, au lieu de montrer Dieu créant d’un seul coup de sa puissance l’univers et tous ses êtres, le fasse procéder par créations distinctes, graduées et progressives, qui d’une façon large s’harmonisent bien avec les conceptions actuelles sur l’origine du monde. — De même, la science anthropologique la plus sûre requiert une intervention spéciale du Créateur pour la formation de l’homme et celle de la femme ; la théologie, et on pourrait presque dire la philosophie, nous enseignent le dogme de la déchéance originelle ; l’histoire semble témoigner d’un cataclysme primitif exceptionnel, dont le souvenir figure parmi les traditions les plus répandues des peuples anciens : il nous faut donc admettre les faits relatés aux premiers chapitres de la Genèse, au moins dans leur substance. — Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux les prendre tels qu’ils nous sont présentés en ces pages si pénétrées de sens moral et religieux, sauf à y faire la part habituelle, mais seulement habituelle, de l’image et de la métaphore ? Ce que ces récits contiennent de détails extraordinaires — qu’Eve ait été formée d’une côte du premier homme, que le démon se soit caché sous la forme d’un serpent, que la chute ait eu lieu par le fruit défendu, que Dieu se soit entretenu familièrement avec Adam au paradis terrestre ou avec Noé au moment du déluge — cela même ne p’eut-il se concevoir comme croyable, si nous nous dépouillons de nos habitudes modernes de penser, en ces âges primitifs, où Dieu a pu en quelque sorte s’adapter aux conditions originelles et naïves de l’humanité en son enfance ? Cf. F. Vigoureux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 5e édit., Paris, 1904, t. iii, p. 254 sq. ; t. iv, p. 139 sq. ; Manuel biblique, 12e édit., Paris, 1906, t. i, n. 285-286, p. 549-554 ; J.-B. Pelt, Histoire de l’Ancien Testament, 2= édit., Paris, 1898, t. i, p. 39 sq.

6) Rapport avec les mythes babyloniens. — Pour ce qui est du rapport des récits génésiaques avec les mythes de Babylone, la plupart des écrivains catholiques raisonnent ainsi : C’est un fait, admis par M. Loisy comme par MM. Gunkel et Zimmern, que les récits bibliques ne dérivent pas directement des mythes babyloniens actuellement connus. C’est un autre fait, également admis de tous les critiques, que nos récits sont incomparablement plus simples, plus sobres, plus dignes, que tous les récits analogues auxquels on a pu les comparer, qu’ils les dépassent infiniment pour la portée morale et le sens religieux. Dans ces conditions, peut-on encore faire dépendre les récits bibliques des mythes babyloniens, même moyennant un long travail d’assimilation et de transformation ? Il paraît bien peu vraisemblable que la tradition israélite, en admettant même toutes sortes d’intermédiaires, ait pu, en fin de compte, transformer des mythes polythéistes, aussi grossiers que les mythes babyloniens du déluge et de la création, en des récits aussi purs, aussi hautement religieux, que les récits génésiaques.

M. Zimmern croit voir à la base de la cosmogonie chaldéenne, et par conséquent de la cosmogonie biblique, une transposition mythique de phénomènes naturels, propres au pays de Babylone. Mais, son hypothèse est fort sujette â caution. — D’une part, le triomphe de Mardouk sur Tiàmat ne paraît pas pouvoir se