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MYTHIQUE (SENS)


par se représenter la manifestation de Jésus comme Christ. De là, eiï particulier, les déclarations expresses attribuées aux possédés ou aux disciples, et le silence immédiat que leur impose Jésus. De là, pareillement, les prédictions que le Sauveur est censé avoir faites de sa passion prochaine, et l’inintelligence prêtée à ses disciples relativement au sens de ses paroles. Idée du secret messianique, silence imposé aux démons, inintelligence des disciples : autant de moyens suggérés par la foi à l’apologétique des premiers jours, pour concilier le fait de la passion avec la messianité réelle de Jésus, d’autre part pour expliquer comment le Sauveur n’avait pas été reconnu Messie de son vivant, malgré la foi que l’on avait présentement en sa messianité. Sur tous ces points, les Évangiles refléteraient donc, non l’exactitude de l’histoire, mais les préoccupations de l’Église primitive ; ce qu’ils rapportent serait un produit inconscient de la foi chrétienne, c’est-à-dire, à le bien prendre, un mythe.

D) Miracles. — Le mythe expliquerait pareillement les récits d’épisodes miraculeux qui ne paraissent en aucune façon susceptibles d’une explication naturelle. Les critiques libéraux font, en effet, un choix parmi les miracles évangéliques. Ils consentent à admettre comme historiques « les miracles de guérison analogues à ceux que les médecins sont capables d’opérer encore aujourd’hui par les [moyens psychiques ». P. W. Schmiedel, art. Gospels, § 144, dans YEncycl. bibl., t. ii, col. 1885. Cf. A. Jûlicher, op. cit., p. 292 ; 0. Holtzmann. op. cit., p. 58-59 ; A. Harnack, Bas Wesen des Christentums, Leipzig, 1900, p. 18 ; A. Réville, op. cit., t. ii, p. 76 et suiv. ; etc. Mais ils excluent a priori de l’histoire tous les autres et, pour les expliquer, recourent à la théorie du mythe, de la même manière que Strauss.

a) Résurrections. — D’après T. K. Cheyne, art. Jairus et Nain, dans YEncycl. bibl., t. ir, col. 2316, et t. iii, col. 3264, les deux récits de résurrection du fils de la veuve de Naïm et de la tille de Jaïre, viendraient d’une transformation graduelle de données primitives fort simples. — Jésus répond aux messagers de Jean-Baptiste d’aller dire à leur maître : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts sont ressuscites, les pauvres reçoivent la bonne nouvelle. » Luc n’a pas compris que « les morts sont ressuscites », devait s’entendre dans un sens allégorique, comme le montre la sentence connexe : « La bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » L’Évangéliste s’est imaginé des résurrections de morts véritables, et comme spécimen il présente celle du fils de la veuve de Naïm. Sans doute aussi faut-il faire intervenir l’influence des souvenirs de l’Ancienne Loi : Élie et Elisée avaient ramené des morts à la vie ; Jésus ne pouvait être inférieur aux anciens prophètes. — Quant au récit de la résurrection de la fille de Jaïre, contenu dans les trois Synoptiques, il doit appartenir « aux plus anciennes couches de la tradition évangéliq.ue ». Néanmoins, les trois Évangélistes, dont l’idée était troublée par les souvenirs d’Élie et d’Elisée, ont dû se méprendre sur le sens profond de la parole de Jésus : « Elle n’est pas morte, mais elle dort ; » ils auront transformé en résurrection de mort ce qui n’était que guérison de malade, — A. Réville, op. cit., t. ii, p. 68 sq., explique le même récit par « l’amplification graduelle du merveilleux » ; « à la base, dit-il, on a lieu de soupçonner un fait qui peut être intéressant ou même exceptionnel, et qui n’a rien pourtant de miraculeux. »

b) Le figuier desséché. — Les miracles extraordinaires opérés sur la nature auraient également pour origine, selon le principe déjà indiqué par Strauss, un travail de la pensée chrétienne, qui, prenant pour point de départ une sentence de Jésus, l’aurait peu à peu traduite dans un fait prodigieux, qui en serait devenu comme l’illustration concrète. Ainsi, l’épisode du figuier

desséché sur le chemin de Béthanie serait dû à une sorte de matérialisation de la parabole du figuier maudit : « L’enseignement de la parabole, dit M. Réville, ibid., p. 70, s’est trouvé transformé en fait matériel et miraculeux, symbolique aussi et de même sens, mais d’une tout autre nature que les paroles qui l’ont suggéré. »

c) Les multiplications de pains. —- Les deux multiplications des pains doivent être rangées dans la même catégorie. — D’après M. Réville, ibid., p. 73, Jésus avait dû dire « quelque chose comme cela : Il en est de la doctrine du Royaume comme des cinq ou sept pains qui ont procuré de quoi nourrir des milliers d’hommes ; cela ne paraissait rien ; non seulement cela a suffi, mais encore il en reste des corbeilles pleines ». Dès lors, « on est conduit à penser que les multiplications miraculeuses ont été suggérées, avec l’aide de réminiscences de l’Ancien Testament, par la tendance à transformer en fait réel et matériel ce qui était originairement et simplement une idée très belle, d’une grande profondeur, exprimée sous forme figurée et comparée à un fait tout récent. » P. W. Schmiedel, art. Gospels, § 142, t. ii, col. 1883, estime que l’histoire a pu naître d’une sentence figurée, telle que celle-ci, Matth., v, 6 : « Bienheureux ceux qui ont faim, car ils seront rassasiés. »

d) La pêche miraculeuse et le poisson au statère. — Jésus a dit encore : « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes : » tel est, au dire de M. Réville, ibid., p. 74, « le mot qui doit avoir été le générateur du récit » de la pêche miraculeuse. — Quant au « miracle du statère ou de la pièce de monnaie trouvée à point nommé dans la bouche d’un poisson que Pierre a été pêcher tout exprès », il « exhale le parfum de la purelégende et n’a d’importance qu’à titre d’éclaircissement de la position adoptée par [Jésus vis-à-vis du régime politique de son temps ». Ibid., p. 75.

e) La marche sur les eaux. — D’après M. Schmiedel, art. cit., § 142, col. 1883, « il n’est pas difficile de conjecturer les expressions employées par Jésus, sur lesquelles on a pu broder le récit de la marche sur les eaux et celui de l’apaisement de la tempête. Ce doit être quelque chose d’analogue à Marc, xi, 22-24, et à Luc, xvii, 6, quelque chose comme ceci : « Si vous avez « de la foi gros comme un grain de sénevé, vous serez « capable de commander à la tempête, et elle vous obéira ; « vous serez apte à marcher sans crainte sur la mer « troublée de la vie. » « Nous pouvons être sûrs, dit-il ailleurs, art. Simon Peter, § 6, t. iv, col. 4569, que l’histoire de la marche de Jésus sur les eaux était originellement une parabole où était proposée d’une manière graphique cette idée que, si les disciples avaient la foi, ils pourraient marcher avec assurance sur la mer agitée de la vie. L’addition relative à Pierre a pour but d’illustrer la thèse par un contraste : celui qui n’a pas la foi sera nécessairement submergé s’il n’appelle le Seigneur et ne reçoit son aide. On peut même supposer que la raison qui a fait choisir Pierre pour héros de l’histoire est qu’il était regardé comme le chef de l’Église, et que ce qui se rapportait à sa personne devait être considéré comme s’appliquant à l’Église entière. » L’auteur ajoute, à la suite de Strauss, que la même explication peut être apportée pour d’autres miracles que ceux qui sont attribués à Jésus lui-même : tels, le trait du voile du temple déchiré, et’celui des tombeaux ouverts à la mort du Sauveur. Art. Gospels, § 142, col. 1883. — A. Réville préfère voir dans le récit de la marche sur les eaux « le reflet d’une vision déterminée par l’idée toujours plus exaltée que les disciples se faisaient de leur Maître ». Op. cit., t. H, p. 203. Ce qui était simple objet d’une vision idéale, serait devenu dans la tradition^vangéliquc un événement réel. Cette vision est d’ailleurs « fort belle, d’une grande poésie. Jésus marchant en toute sérénité sur les eaux tumultueuses, c’est la saisissante