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MYSTIQUE (SENS)


son sacrifice ; l’arche de Noé, le passage de la mer Rouge, figurent l’entrée des hommes dans l’Église ; la manne, l’eucharistie ; l’enlèvement d’Élie, l’histoire de Jonas, la résurrection future ; les quatre fleuves du paradis, les quatre vertus morales. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2 B édit., Paris, 1877, à ces mots. Tout dans ces représentations n’était pas laissé au caprice et à l’arbitraire. Le cycle des symboles bibliques était restreint, et le nombre des sujets permis aux artistes soigneusement limité. La manière même de les traiter, au moins au me siècle, ne semble pas avoir été tout à fait libre. « Les peintures empruntées à l’histoire biblique n’offrent, dans l’art des catacombes, ni l’exacte abondance des détails qui convient à la reproduction littérale d’un fait, ni la variété et l’aisance qui appartiennent à une œuvre d’imagination : elles ont la sobriété sévère d’une œuvre dirigée vers un but spirituel, subordonnée à l’expression d’une vérité abstraite. Elles semblent participera l’immobilité, à la fixité du dogme… L’exécution seule appartenait à l’artiste ; les rapports des sujets entre eux, le parallélisme des peintures, leur ordonnance générale, étaient plus ou moins dirigés par l’autorité ecclésiastique. Telle ou telle histoire était choisie, non pour elle-même, mais pour la vérité à’laquelle elle était associée dans la pensée de l’Église. » P. Allard, Rome souterraine, 2e édit., Paris, 1877, p. 357. Le témoignage de la tradition monumentale en laveur de la typologie sacrée a donc une valeur doctrinale. — La tradition juive est restée parallèle à la tradition catholique. Après l’ère chrétienne, les Juifs ont continué à rechercher l’esprit sous la lettre de l’Écriture, l’histoire de leur exégèse le prouve. Souvent même les rabbins ont fait un abus effréné des sens mystiques.

IV. Étendue. — Si les cabalistes seuls ont cherché un sens mystérieux sous chaque lettre et chaque mot de l’Écriture, quelques écrivains catholiques et protestants prétendirent, aux XVIIe et xviir siècles, que chaque phrase, chaque proposition de la Bible contenait sous la lettre un sens spirituel. Coccéius († 1669) voyait le Christ partout dans l’Ancien Testament. Des jansénistes français, entre autres l’abbé d’Étemare, donnèrent dans ce travers. Toutes les actions, tous les événements, toutes les cérémonies de l’Ancien Testament étaient à leurs yeux des figures prophétiques de ce qui devait arriver dans la loi nouvelle. Les plus exaltés expliquaient par l’Écriture ainsi entendue ce qui se passait de leur temps-Ils sont connus sous le nom de figuristes. Les antifiguristes, leurs adversaires, répondaient facilement à leurs arguments. Un texte tronqué de saint Paul : Tout leur arrivait en figures, I Cor., x, 11, était pour le figurisme un faible appui ; car l’Apôtre ne dit pas : tout, dans un sens absolu et général, mais : toutes ces choses, circonscrivant sa pensée aux faits qu’il avait énumérés dans les versets précédents. La parole de Jésus : « Il est nécessaire que tout ce qui a été écrit sur moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes, s’accomplisse, » Luc, xxiv, 44, n’était pas une preuve plus forte ; le Sauveur n’affirme pas que tout le contenu de l’Ancien Testament le concerne, il assure seulement que tout ce que l’Écriture dit de lui aura son accomplissement.

Quelques témoignages patristiques, détachés du contexte, paraissent, il est vrai, favoriser le figurisme ; mais, remis dans leur cadre naturel et rapproehés d’autres passages des mêmes écrivains, ils perdent le sens allégué. Plusieurs anciens se sont formellement prononcés contre l’universalité du sens mystique de l’Écriture. S. Augustin, De civitate Dei, XVII, iii, t. xli, col. 526 ; S. Basile, Hom., lx, in Hexæm., n. 1, t. xxix, col. 188 ; S. Jérôme, Comment, in Jon., i, iii, t. xxv, col. 11231124 ; S. Bonaventure, Breviloquiwm, proœm., § 7 ; Nicolas de Lyre, Prologus in moralitates Bibliorum, etc. Tous les Pères grecs et latins ont restreint le sens spi rituel à certains passages de l’Écriture. Léonard, Traité du sens littéral et du sens mystique des Saintes Écritures, Paris, 1727, c. vn. Les antifiguristes sont leurs successeurs directs. D’ailleurs, si les moindres détails de la Bible étaient figuratifs, que signifieraient les pays, les villes, les fleuves, les montagnes, et les peuples nommés dans les Livres Saints ? Que représenteraient les puits creusés par les bergers d’Isaac, le plat de lentilles de Jacob, les chameaux d’Éliézer, les ânesses de Saûl, la tour de Phanuel, la chevelure d’Absalom, la graisse du roi Églon, la claudication de Miphiboseth, la goutte d’Asa, la queue du chien de Tobie ? L’interprétation allégorique de ces détails, et de beaucoup d’autres semblables, ne peut être que puérile et forcée ; ceux qui s’y complaisent portent peu de respect à la parolft de Dieu. Le Roy, Examen du figurisme moderne, 1736 ; Mignot, Examen des règles du figurisme moderne, 1737 ; A. J. Onymies, De usu interpretationis allegoricse in Novi foederis tabulis, Bamberg, 1803. Mais dans quelles limites le caractère figuratif appartient-il aux faits racontés dans l’Écriture ? Jésus-Christ et les Apôtres ont clairement enseigné que l’ancienne loi, dans son ensemble, figurait la nouvelle, et il est vrai de dire des deux Testaments avec saint Augustin, Quœstiones in Heptateuchum, 1. II, t. xxxiv, col. 623 : In Vetere Novum latet et in Novo Vetvs patet. Tous les sens mystiques indiqués dans le Nouveau Testament sont certains ; nous devons les accepter comme vrais, car les auteurs inspirés les ont établis avec une autorité infaillible. Cf. F. de Hummelauer, Exegetisches zur Inspirations f rage, Fribourg-en-Brisgau, 1904, p. 80-84. Mais les écrivains sacrés n’ont pas épuisé la matière ; après eux, et à leur exemple, les Pères de l’Église se sont livrés à l’investigation du sens spirituel de l’Écriture. Toutes les interprétations allégoriques des auteurs ecclésiastiques ne s’imposent pas à notre assentiment ; seules, celles qui présentent le caractère de la tradition ecclésiastique doivent être admises comme certaines. Fleury, Discours sur l’histoire ecclésiastique, 5e discours, n. 11. Or, il faut pour cela que les Pères soient unanimes dans leur affirmation, et qu’ils proposent l’explication typique, non pas seulement comme un sens que l’étude leur a fait découvrir dans le texte sacré, mais comme un enseignement reçu de l’Église. Ils ne sont plus alors interprètes privés de l’Écriture, mais témoins de la tradition apostolique, et leur interprétation est authentique. Proposent-ils des sens allégoriques, anagogiques ou tropologiques, qu’eux-mêmes ont découverts, ils exposent leurs pensées propres, dont la valeur est proportionnée à la science personnelle de ces docteurs, et à l’analogie plus ou moins parfaite que ces sens figurés ont avec le sens littéral. Au jugement des théologiens, rappelé par Léon XIII, leurs interprétations allégoriques de l’Écriture, si elles ne peuvent servir à la démonstration des dogmes, ont été de leur temps et peuvent encore aujourd’hui être utiles à la piété et à l’édification. Toute explication mystique qui contredirait la lettre, eût-elle été exposée par un Père de l’Église, serait dénuée de probabilité intrinsèque. L’autorité des commentateurs est moindre que celle des Pères, et leurs interprétations allégoriques, si elles ne sont pas fondées, peuvent JHre discutées et même condamnées.

Ces règles/s’appliquent à l’interprétation spirituelle de tous les livres sacrés. Mais c’est une question débattue entre les exégètes, de savoir si le Nouveau Testament contient, comme l’Ancien, des sens mystiques. De l’aveu de tous, quoique les écrits du Nouveau Testament ne renferment pas de typé messianique, relatif à la personne même du Messie, il est cependant légitime de suivre l’exemple des saints Docteurs, et de tirer des faits évangéliques des sens moraux ou anagogiques, pouvant servir à l’édification des fidèles. Mais y a-t-il dans le Nouveau Testament des types prophétiques an-