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LARRON — LATINES (VERSIONS) DE LA BIBLE

une narration oratoire, mais un récit très circonstancié. Aussi pourrait-on dire que les deux larrons ont commencé par blasphémer, mais qu’à un moment l’un d’eux est rentré en lui-même. C’est à ce moment que prend le récit de saint Luc. Le bon larron interpelle son compagnon et lui dit : « Tu ne crains donc pas Dieu, alors que tu es dans la même condamnation (ϰρίματι) » que moi, et que le même supplice va nous conduire l’un et l’autre au tribunal de Dieu. « Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce que nous avons mérité. Mais celui-ci n’a rien fait de répréhensible. » Le grec οὑδὲν ἄτοπον, « rien qui ne soit à sa place, » rien d’inconvenant, est plus respectueux que le latin nihil mali, « rien de mal, » car un acte peut être fait mal à propos sans être mauvais. Cette remarque du bon larron témoigne en lui d’une foi éclairée en Notre-Seigneur, et d’une connaissance de sa mission divine qui suffit à lui inspirer confiance. Les Juifs croyaient qu’un homme pieux pouvait introduire avec lui en paradis celui qui assistait à son dernier soupir. Ketuboth, v. 103. Peut-être le larron partageait-il cette croyance. Toujours est-il que, convaincu de la puissance et de la sainteté du Sauveur qu’il voyait sur le point d’expirer, il lui dit : « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous arriverez dans votre royaume. » Une telle prière suppose que le larron reconnaît en Jésus le Messie, celui qui vient fonder le grand royaume attendu de tout Israël. Il va mourir lui-même, comme celui qu’il implore ; mais il est manifeste que, pour lui, la mort n’est un obstacle ni à l’établissement de ce royaume par Jésus, ni au bienfait qu’il espère retirer personnellement de cet établissement. Il va de soi que cette foi du bon larron a pour cause principale la grâce qui émane du divin crucifié. Jésus lui répondit : « En vérité, je te le dis : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » Luc, xxiii, 40-43. Le corps du Sauveur et celui du larron vont bientôt rester inanimés sur leurs croix ; c’est donc l’âme du larron qui suivra dans le paradis l’âme du Sauveur. Ce paradis, c’est le séjour dans lequel les âmes des justes attendent les effets de la rédemption. Voir Enfer, t. ii, col. 1795 ; Paradis ; S. Augustin, Ep. cxxxvii, ad Dardan., 6-9, t. xxxiii, col. 834. C’est ainsi que « le larron échange sa croix pour le paradis et du châtiment de son homicide fait un martyre ». S. Jérôme, Ep. lviii, 1, t. xxii, col. 580. Cf., dans les Sermons attribués à S. Augustin, Serm. clv, De cruce et latrone, t. xxxix, col. 2047-2053. — 2° Comme, d’après la loi juive, Deut., xxi, 23, un corps ne pouvait demeurer sur la croix après le coucher du soleil, les Juifs demandèrent à Pilate d’infliger aux trois crucifiés un nouveau supplice, le crurifragium ou brisement des os des jambes, qui devait les achever cruellement. Ce supplice était en usage chez les Romains. Sénèque ; De ira, iii, 18, 32 ; Suétone, Octav., 67 ; Tiber., 44 ; Ammien Marcellin, xiv, 9. Le brisement s’exécutait à coups de massue. Les deux larrons, qui n’étaient pas encore morts quand arrivèrent les soldats, eurent à le subir. Joa., xix, 31, 32. — 3° Comme les Évangélistes ne donnent aucun détail sur le passé des deux larrons, la légende a cherché à compléter leurs récits à ce sujet. Les deux larrons se seraient appelés Desmas et Gismas, ou Dimas et Gesmas, d’après les Acta Pilati, ix, Gênas et Gestas, d’après l’Évangile de Nicodème, Titus et Dumachus, d’après l’Évangile de l’Enfance, xxiii. Cf. Le Camus, La Vie de N. S. J.-C., 6e édit., Paris, 1901, t. iii, p. 376. Le bon larron aurait été le fils d’un chef de brigands qui arrêta la Sainte Famille au cours de son voyage en Égypte. Émerveillé de la splendeur qui illuminait le visage de l’Enfant, le fils du chef délivra la Sainte Famille. C’est lui qui, plus tard, serait devenu le bon larron. Cf. S. Aelredus Rhievallensis, De vita eremitica, 48, dans les Œuvres de S. Augustin, t. xxxii, col. 1466. Au moyen âge, les pèlerins latins ont cru que la localité appelée Laṭrûn, près d’Emmaüs (voir la carte, t. ii, col. 1757), n’était autre que le village du bon larron, Castrum boni latronis. Roland, Palæstina illustrata, Utrecht, 1714, p. 429. Cf. Liévin, Guide de la Terre-Sainte, Jérusalem, 1887, t. i, p. 123 ; Chauvet et Isambert, Syrie, Palestine, Paris, 1900, p. 237. Mais l’étymologie qui fait venir Laṭrûn de latro est absolument inacceptable. Si des souvenirs de brigands se rattachaient primitivement à cette localité, peut-être faudrait-il les faire remonter jusqu’à un certain berger nommé Athronges, Ἀθρόγγης ; c, qui se proclama roi après la mort d’Hérode, et qui, aidé de ses quatre frères, arrêta une cohorte romaine près d’Emmaüs, et fil périr son chef, Arius, avec quarante de ses soldats. Varus vengea cette aggression en brûlant Emmaüs. Josèphe, Ant. jud., XVII, x, 7, 9 ; Bell, jud., II, iv, 3. Voir Emmaûs, t. ii, col. 1746. Il se pourrait alors que le nom de el-Laṭrûn ou el-Altrûn dérivât de celui d’Athronges. Cf. Le Camus, Notre voyage aux pays bibliques, Paris, 1894, t. i, p. 185. Cette seconde étymologie n’est que probable ; il lui manque d’être appuyée par d’anciens documents.

H. Lesêtre.

LASTHÈNE (Λασθήνης), ministre de Démétrius II Nicator, roi de Syrie. Ce roi, dans une lettre qu’il écrit à Jonathas Machabée, appelle Lasthène « notre parent », συγγενῆς ἡμῶν, I Mach., xi, 31 (Vulgate : parens noster), et dans une lettre qu’il lui avait adressée à lui-même, il le qualifie de « père », πατήρ (Vulgate, parens, I Mach., xi, 32). C’était donc un grand personnage de la cour d’Antioche, comme l’indiquent ces titres. D’après Josèphe, Ant. jud., XIII, iv, 3, il était Crétois d’origine et s’était concilié la faveur de Démétrius en lui fournissant un contingent de troupes mercenaires considérable, lorsque ce prince se rendit de Crète en Syrie, cf. I Mach., x, 67, pour arracher le pouvoir royal à Alexandre Ier Balas. Voir t. ii, col. 1362. Lasthène était probablement à leur tête (148 ou 147 avant J.-C). Quand Démétrius II fut devenu roi, il fit de lui son principal ministre, et lorsqu’il accorda à Jonathas Machabée diverses faveurs que celui-ci lui avait demandées, il notifia ses concessions à Lasthène, dans une lettre qu’il lui écrivit et dont il envoya à Jonathas lui-même une copie que nous a conservée l’auteur du premier livre des Machabées, xi, 30-37, ainsi que Josèphe avec quelques légères variantes. Lasthène fut ainsi chargé de diminuer les charges des Juifs envers la Syrie, mais il est simplement nommé à cette occasion dans l’Écriture. Quand Démétrius eut triomphé de ses ennemis, ce fut lui sans doute qui le poussa à renvoyer son armée, à l’exception des forces étrangères « qui lui venaient des îles des Gentils ». Mach., xi, 38 ; Josèphe, Ant. jud., XIV, iv, 9. Ce renvoi suscita un tel mécontentement qu’il fut une des causes de la révolte qui éclata contre Démétrius II et qui eut pour résultat l’avènement de Tryphon au trône. Cf. Diodore, Reliq., xxxiii, 4, édit. Didot, t. ii, p. 522. On ne sait plus rien de l’histoire de Lasthène.

F. Vigouroux.


LATINES (VERSIONS) DE LA BIBLE. On peut distinguer, en suivant l’ordre même des temps, trois classes de versions latines.

— 1° La première en date comprend tous les textes antérieurs à saint Jérôme, que l’on appelait autrefois d’un nom commode, bien qu’inexact, la version italique. À cette classe se rattache cette partie des anciens textes qui furent soumis à révision, tels, par exemple, les Évangiles et les Psaumes de notre Vulgate que saint Jérôme corrigea d’après le grec.

— 2° La seconde, c’est la version que le même saint docteur fit directement soit sur l’hébreu soit sur le chaldéen et qui est connue sous le nom de Vulgate.

— 3° Il a paru, à partir de la Renaissance, un certain nombre de versions latines, faites les unes sur les Septante, les autres sur les textes originaux. Elles forment une troisième classe.