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MESA


dieux.. Son autel fut traîné comme un trophée devant l’idole de Chamos établi à Qiriyath, nom qui indique peut-être la capitale religieuse, mais dont l’identification demeure incertaine. La population fut massacrée et remplacée par des gens venus d’ailleurs, sans doute du cœur même du pays de Moab. Mésa tranchait du potentat, mais moins clément que les Assyriens eux-mêmes, ou ne pouvant transporter assez loin de leur point d’attache les populations qu’il voulait faire disparaître de leur sol natal, il les exterminait « pour donner un agréable spectacle à Chamos et à Moab ». Une course rapide, une surprise de nuit, eurent raison de Nébo, ville située près de la célèbre montagne où Moïse était mort. Pour être plus sûr de réussir dans cette entreprise difficile, Mésa avait voué à l’anathème toute la population du pays. Le dieu qu’il invoque sous un vocable spécial, Astar-Chamos, est peut-être la divinité féminine parédre de Chamos. Sept mille personnes du sexe masculin, sans compter les femmes et les filles, furent immolées sans pitié. Dans cette cité comme dans tant d’autres en Israël, on pratiquait sans doute le culte de Jéhovah sur les hauts lieux. Mésa s’empara des objets relatifs à ce culte et pensa les humilier eux aussi devant Chamos. C’était une guerre d’extermination.

Que faisait donc Joram, fils d’Achab et successeur de son frère Ochozias ? Engagé dans des guerres constantes avec les Syriens, moins heureux que son père, il lui était difficile de réduire Moab. La guerre contre les Syriens avait souvent pour théâtre Ramoth de Galaad. S’engager à fond contre Mésa, c’était s’exposer à voir fondre les Syriens sur les derrières de l’armée et à se Irouver pris entre deux ennemis également acharnés. La Bible ne nous parle pas de tentatives faites par Joram dans ce sens, mais il semble bien qu’elles eurent lieu. Entre Médaba et Dibon se trouvait, d’après YOnomasticon d’Eusèbe, la ville de Iahas. Mésa nous dit formellement que le roi d’Israël l’avait prise pour point d’appui pendant qu’il lui faisait la guerre, mais qu’il avait été réduit à fuir devant lui ; Chamos l’avait chassé devant le roi de Moab ! La manière dont ces choses sont dites, sans insister sur la défaite du roi d’Israël, montre que Joram, car ce ne pouvait être que lui, se vit forcé par la guerre syrienne à dégarnir les garnisons de Moab et par conséquent à renoncer à la lutte qu’il avait commencée. Dès lors il suffit à Mésa de réunir deux cents hommes, l’élite de Moab, pour enlever cette torteresse qu’il annexa à Dibon.

Mésa termine ici le récit de ses exploits contre Israël. Il passe à la description de ce qu’il a bâti, restauré, embelli, et la campagne contre Oronaï appartient à d’autres circonstances, car cette ville ne fut jamais comptée parmi les cités d’Israël. On dirait donc, à le lire superficiellement, qu’il n’a jamais cessé d’être l’enfant gâté de la victoire. Cependant son début a quelque chose d’exalté qui trahit ses alarmes. Il était en règle avec Chamos puisqu’il lui avait immolé tout ce qu’il avait voué à l’anathème, puisqu’il lui avait offert en trophée l’autel d’Ataroth et les vases sacrés de Nébo. Et cependant il lui a élevé un sanctuaire, parce que ce dieu l’avait sauvé et lui avait donné de triompher de ses ennemis. Le roi d’Israël, si passif dans tout le récit des conquêtes, avait dit cependant lui aussi : « J’oppri^ meraiMoab ! » Qu’avait-il donc fait dans ce sens ? Ce que Mésa indique discrètement, comme un homme échappé d’un grave danger et fort redevable à Chamos, la Bible le raconte assez longuement.

III. Récit biblique. — Quelques détails de géographie sont nécessaires pour comprendre le récit du quatrième livre des Rois, iii, 4-26. Le territoire de Moab se composait de deux longues plaines, bordées d’un côté par le désert, de l’autre par les montagnes escarpées qui dominent la mer Morte ; elles sont séparées l’une de l’autre par la coupure de l’Arnon, précipice d’environ

mille mètres de profondeur et dont les pentes sont presque inaccessibles. La plaine du nord était le champ de bataille entre Moab et Israël. Des hauteurs d’Hésébon, les Israélites pouvaient atteindre Dibon sans rencontrer d’obstacle. Cette ville elle-même n’avait aucune défense naturelle ; située presque au ras de la plaine, dépourvue d’eau, elle n’était guère qu’un centre pour les tribus qui poussaient leurs troupeaux vers le désert. Battus à cette place, les Moabites risquaient d’être culbutés dans l’Arnon. Is., xvi, 2. En revanche, l’Arnon offrait une barrière infranchissable aux envahisseurs du nord : de ce côté Moab était bien chez lui. Au sud, une autre dépression comparable à l’Arnon, l’ouadi el-Afrsa, le séparait du Djébâl, et, presque au centre de la plaine, une position incomparable défiait toutes les attaques : c’est le Kérak (voir Kir-Moab, t. iii, col. 1895), situé à mille mètres d’altitude, détaché des montagnes de l’est, accessible seulement au sud, mais facile à isoler par un simple fossé. C’est là que Renaud de Châtillon brava si longtemps les armées de Saladin ; c’est là que l’accord général place la capitale de Moab, c’était là qu’il fallait frapper Mésa pour le punir de ses insolentes entreprises. Pour cela, on devait pénétrer par le sud, tourner la mer Morte, passer l’ouadi el-Ahsa dans le Ghôr et gagner les plateaux ; un chemin assez bien tracé le permet encore aujourd’hui sans trop de difficulté. Il va sans dire qu’une pareille campagne ne pouvait être entreprise sans le concours de Juda et même d’Édom qui aurait pu, en survenant par derrière, causer à l’armée israélite le même désagrément que les Syriens au nord. Le roi de Juda accepta sans difficulté de prendre part à l’expédition. Si ce roi était Josaphat, son consentement entraînait celui d’Édom qui vivait sous sa dépendance ; si c’était Ochozias, comme le veut l’ancienne édition des Septante, on doit supposer qu’Édom, récemment affranchi, mais battu par Joram, ne crut pas prudent de s’opposer aux desseins des deux rois de Juda et d’Israël. Il marcha donc avec eux.

Le récit de la campagne a été jugé sévèrement par Stade, Geschichte, p. 534 : « Der Erzâhler berichtet phantastisch…, und ohne das Terrain genau zu kennen. » L’auteur biblique n’aurait pas connu suffisamment le terrain. Reproche étrange dans la bouche d’un savant qui n’est jamais sorti de son cabinet ! Ceux qui ne connaissent pas le terrain sont ceux qui s’obstinent à placer Édom à l’est du Ghôr ; la position d’Édom au sud de Juda une fois reconnue, tout s’explique aisément. Les rois confédérés entreprennent une marche tournante de sept jours ; il leur faut, en effet, contourner le sud de la mer Morte ; mais avant d’avoir pu pénétrer dans Moab, ils étaient déjà morts de soif. Toutes les eaux du Ghôr, qui sont abondantes, descendent, en effet, de l’est, mais elles devaient naturellement être gardées par les Moabites et du moins fallait-il les atteindre. L’armée était vraiment exposée à périr dans le sable brûlant de T’Araba. On consulta le prophète Elisée qui répondit, par égard pour le roi de Juda : « Faites dés fosses de place en place ; vous ne verrez pas de vent et vous ne verrez pas de pluie, et cependant cette vallée se remplira d’eau. » Ici encore Stade croit la plaisanterie facile. Le secret n’en était pas un ; les rois savaient très bien que la vallée d"Arabim contenait des eaux souterraines : il n’y avait qu’à creuser. C’est de la haute fantaisie, car si on avait été dans les vallées moabites, l’eau n’aurait pas manqué, et, d’après le texte, il s’agit de tout autre chose. Ce phénomène, nous l’avons parfaitement compris, lorsque, par un ciel sans nuages, nous vîmes venir à nous de petits filets d’eau courante qui nous barrèrent le chemin dans le désert de Tih. Voir Revue biblique, 1896, p. 445. Il est vrai que la veille nous avions essuyé l’orage, mais la situation des confédérés était toute différente. Des orages terribles venus de la mer peuvent éclater sur les plateaux sans qu’on s’en doute