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    1. LANGUES##

LANGUES (DON DES,

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langue. Ces trois sens du mot ont donné lieu à diverses interprétations du don des langues. — 1. Plusieurs auteurs se sont arrêtés au premier sens. D’après eux, le don consistait à parler de la langue, XaXetv ylÛMja-ri, à émettre au moyen de la langue des sons confus et inarticulés, comme ceux des enfants qui commencent à parler (Eichhorn, Néander, Schmidt, etc.), ou bien des exclamations incohérentes et des mots sans suite (Meyer, etc.), ce qui faisait ressembler la glossolalie à l’inspiration des pythonisses, ou enfin des sons imperceptibles, à voix basse, qu’il fallait ensuite interpréter, c’est-à-dire traduire à haute voix (Wiseler). On ne voit pas la nécessité d’une grâce spéciale pour obtenir un pareil résultat, qui est une déformation et non un perfectionnement du langage humain. D’autres ont voulu s’appuyer sur certaines expressions de saint Paul pour identifier plus ou moins la glossolalie avec les langues des anges, I Cor., xiii, 1, les paroles qu’on entend dans le ciel, II Cor., xii, 4, les discours accompagnés d’instruments, I Cor., xiv, 7, 8, comme le kinnôr dont se servaient les anciens prophètes, I Reg., x, 5, les chants en esprit, I Cor., xiv, 15 ; Eph., v, 19, les cris inspirés par l’EsprikSaint, Rom., viii, 15 ; Gal., iv, 6, les soupirs inexprimables de l’Esprit. Rom., viii, 26, etc. Tontes ces explications se heurtent à ce fait que l’Apôtre parle de langues, et qu’il est inadmissible qu’il se soit servi de ce mot dans un autre sens que son sens habituel sans en avertir ses lecteurs. Le mot « langue » a ici sous sa plume la même signification que dans les passages de saint Marc, xvi, 67, et des Actes, II, 4, où il est question de « langues nouvelles » et d’  « autres langues ». D’autre part, saint Paul avait trop présent à l’esprit le phénomène du don des langues â la Pentecôte, pour parler dans les mêmes termes et avec le même mot « langue » d’un don qui eût été différent. Saint Luc fut d’ailleurs longtemps son compagnon d’apostolat, et l’on ne conçoit pas le disciple et l’Apôtre se servant l’un et l’autre d’expressions identiques pour faire connaître des faits extraordinaires dont la nature n’eût pas été la même. Du reste, saint Paul établit clairement l’identité du don des langues dont parle saint Marc avec ce qui se passa à la Pentecôte et à Corinthe, quand lui-même, I Cor. xiv, 21, cite le texte d’Isaïe, xxviii, 11, dans lequel Dieu promet de parler à son peuple en langues étrangères, iv £tepoY>.t » aaoiç et qu’il applique cette prophétie à la glossolalie corinthienne. — 2. D’autres préfèrent le troisième sens du mot langue et font consister le don dans l’usage d’un langage archaïque, poétique, métaphorique à l’excès, semblable à celui qui rendait si obscurs les oracles du paganisme (Bleek, Heinrici, etc.). C’est ce qu’ils appellent parler en « gloses ». On a dit aussi que « parler en langue », c’était parler avec franchise, à découvert, ce que les disciples ne firent qu’à dater de la Pentecôte (Van Hengel). Les textes s’opposent encore à ces interprétations ; il y est question de langues parlées et de diverses langues et nullement d’idiotismes de langage ou de publicité de la parole. — 3. Reste le troisième sens du mot « langue », celui qu’imposent les textes et que tous reconnaissent, à l’exception de quelques commentateurs non catholiques. Il en est cependant, parmi les catholiques (Bisping, etc.), qui croient que le don portait seulement sur l’usage de la langue primitive de l’humanité, que les Apôtres auraient parlée à la Pentecôte, et qui, par miracle, aurait été comprise de chaque auditeur, comme si elle était sa langue propre. Pour expliquer l’intelligibilité de cette langue primitive, on suppose qu’elle renfermait toutes les racines des langues postérieures. D’autres (Billroth, etc.) ont imaginé que dans la glossolalie on parlait une langue composée de mots empruntés à toutes les autres langues. Les expressions du texte sacré ne permettent pas d’admettre ces explications : il y est question non d’une seule langue, mais -de langues variées ; non d’un assemblage quelconque de

mots divers, mais d’un ensemble formant ce qu’on appelle une langue ; non d’une langue primitive, mais de langues que les contemporains peuvent comprendre. Act., H, 11. Il n’y a donc qu’une manière d’entendre les textes : ceux qui étaient favorisés du don spirituel parlaient soit une, soit plusieurs langues étrangères. — 4. À part quelques Pères grecs (saint Cyrille d’Alexandrie, Théodoret, etc.) qui ont pensé que celui qui parlait une langue étrangère, en vertu du don spirituel, la comprenait lui-même, la plupart des anciens ont cru au contraire qu’on recevait le don de parler une langue étrangère sans recevoir en même temps celui de la comprendre. C’est ce qui ressort des explications de saint Paul. I Cor., xiv, 1-25. Celui qui parle les langues a besoin qu’on interprète ses paroles ; il doit prier pour qu’un interprète lui soit donné. S’il se comprenait complètement lui-même, il lui serait aisé de traduire ses paroles en langage ordinaire. — 5. Il est assez difficile de savoir quel était l’état psychologique de celui qui était favorisé du don des langues. L’Apôtre dit que celui qui parle en langue s’édifie lui-même, I Cor., xiv, 4, par conséquent travaille à son propre bien spirituel et à son union avec Dieu. Mais dans quelle proportion la grâce divine et l’activité humaine concouraient-elles à la production de cet heureux résultat ? D’après Dôllinger, Le christianisme et l’Église, trad. Bayle, Paris, 1861, p. 444, « l’état de ceux qui parlaient sous l’influence du don des langues était complètement un état d’enthousiasme et d’extase, qui interrompait la réflexion, la pensée discursive. Ils éclataient en témoignages d’actions de grâces, en hymnes, en prières. Mais ils ne restaient pas libres de choisir la langue dans laquelle ils voulaient se faire entendre ; une force intérieure eé obligeait à parler dans une langue déterminée, qui pouvait leur être entièrement étrangère. Ils avaient bien conscience, dans une certaine mesure, du contenu de leurs discours ; il en avaient une idée générale ; mais d’ordinaire ils éprouvaient une grande difficulté ou une incapacité absolue pour les répéter dans leur langue habituelle. » Saint Paul dit formellement que l’intelligence, voûç, ne tirait pas de profit de la glossolalie, I Cor., xiv, 14, sans nul doute parce qu’elle ne comprenait rien ou du moins ne saisissait que très peu de chose dans ce qui était dit. La même inintelligence se produisait d’ailleurs assez souvent chez les prophètes, cf. S. Thomas, Sum. theol., II a II*, q. clxxiii, a. 4 ; il n’est donc pas étonnant qu’elle se retrouvât chez ceux qui ne recevaient qu’un don inférieur. Ces derniers cependant avaient certainement conscience de leur état el de l’impulsion divine dont ils étaient l’objet. Il faut même conclure des paroles de saint Paul, I Cor., xiv, 27, 28, qu’ils pouvaient soit régler, soit arrêter les effets de cette impulsion. Il est d’ailleurs possible que, dans le don des langues, l’action surnaturelle variât selon les sujets, et que dans ces derniers l’état d’intelligence et de conscience fût assez différent, suivant les circonstances, les aptitudes naturelles, etc. Les textes ne permettent pas de conclure d’une manière plus précise au sujet d’un phénomène transitoire et depuis si longtemps disparu. On ne peut dire non plus si le don était per-* maitent dans celui qui l’avait reçu, ou s’il n’était que momentané. Cette seconde hypothèse paraît plus vraisemblable. Act., ii, 4. — 6. Enfin il est hors de conteste que le don des langues était accordé non pour l’enseignement, mais pour la célébration des louanges divines. Les Apôtres, le centurion Corneille, les disciples de Jean ne reçoivent le don des langues que pour glorifier Dieu. Act., ii, 4-13 ; x, 46 ; xix, 6. Les auditeurs s’instruisent si peu en les écoutant qu’ils les prennent pour des fous. Act., ii, 13 ; I Cor., xiv, 23. C’est en vertu d’un don tout différent que saint Pierre parla aux Juifs dans la langue qu’ils comprenaient et les convertit. Act., ii, 14-37.