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LAMENTATIONS


caractéristique de son style ; au contraire, en employant l’ordre alphabétique ; i-iv, l’auteur des Lamentations se soumet à une disciplina rigoureuse ; on ne reconnaît plus l’allure franche et libre de Jérémie. — On peut répondre en premier lieu avec Ed. Riehm : dans la 2e édit. de Hnpfeld, Die Psalmen, 4 in-8°, Gotha, 18671871, t. i, p. 31 : « Dans la poésie lyrique, l’emploi de cette forme artificielle est justifié naturellement et intrinsèquement quand une idée unique remplit l'âme du poète : il revêt cette idée de lormes différentes, et en compose ainsi une élégie. » En second lieu : « D’ailleurs le poète est libre d’employer la forme qui lui convient et le critique n’a pas le droit de lui reprocher le choix de son instrument. » Trochon, Jérémie, p. 338.

3° Objection tirée de la variation de l’ordre alphabé~ tique. — Cette objection vise autant l’unité que l’authenticité des Lamentations. Dans le premier poème, i, l’ordre de l’alphabet hébreu, dont chaque lettre est le commencement d’un verset, est régulier, tandis que dans, ii, iii, iv, l’ordre de deux lettres est renversé ; la lettre phé précède toujours la lettre aïn ; ainsi : ii, 16 (phé), 17 (aïn) ; iii, 46, 47, 48 (phé), 49, 50, 51 (aïn) ; iv, 16 (phé), 17 (aïn) ; on en conclut que ces poèmes ne sont pas du même auteur. — L’interversion des lettres de l’alphabet ne prouve pas qu’on ait affaire à des auteurs différents ; cette interversion peut s’expliquer et de tait on l’a expliquée de diverses manières : 1° Grotius pensa que les Chaldéens avaient dans leur alphabet un autre ordre que les Hébreux ; dans Lam., i, Jérémie parlerait comme un Hébreu, et dans ii, iii, iv, comme sujet des Chaldéens ; mais cette raison n’est pas sérieuse. — 2° Houbigant et Kennicott attribuèrent cette interversion à la négligence des copistes ; il est vrai qu’un certain nombre de manuscrits, ci. De Rossi, Variée lectïones V. Test., t. iii, p. 242, et la Peschito conservent l’ordre naturel ; toutefois cette hypothèse ne paraît pas probable, car cette interversion est suivie : 1. Par les Septante ; la version grecque observe l’ordre naturel des lettres aïn, phé, mais pour les versets, elle suit l’ordre du texte hébreu. — 2. Par la "Vulgate latine. — 3. Elle est exigée par le contexte : ainsi ii, 16, continue naturellement ii, 15 ; cet ordre serait brisé si l’on mettait le ꝟ. 17 avant le ꝟ. 16 ; de plus le il. 17 sert de transition au il. 18 ; de même dans iii, le % 46 suit naturellement le il. 45, et le ꝟ. 48 sert de transition au ꝟ. 49 ; pareillement dans iv, le ꝟ. 16 suit le ꝟ. 15 et le jl. 17 prépare le ꝟ. 18. — 3° J. D.Michaëlis, Bibliotheca orientons, t. XX, p. 34, et notes à R. Lowth, De sacra poesi HebrSBorum, prælect. xxii, 2e édit., 1770, p. 453-455, Tegarde comme probable que la lettre phé, ayant une double prononciation, une dure, p, l’autre douce, f, selon qu’elle est dagueschée ou non, occupait différentes places dans l’alphabet hébreu. — 4° L’opinion la plus probable est que les poètes hébreux jouissaient d’une certaine liberté dans l’arrangement des lettres de l’alphabet ; cf Pareau cité par Rosenmùller, In Jer., t, ii, 1826, p. 464 ; de cette liberté on constate bien des exemples dans la Bible ; ainsi : Ps. ix (hébreu) manque du daleth, et, au ꝟ. 20, au lieu du caph il a qoph ; Ps. xxv (hébreu), manquent beth et vav ; qoph est omis ; resch se trouve, deux (ois, il. 18, 19 ; après thav, le ꝟ. 22 commence par pé ; Ps. xxxiv (hébreu), vav manque, et après thav, le ꝟ. 23 commence par pé ; Ps. xxxviii (hébreu), t. 25, aïn est remplacé par tsadé, qui est répété à sa place naturelle, ꝟ. 32, après pé ; Ps. cxlv (hébreu), manque nun ; Prov., xxxi, 24, 25 (texte grec), suit l’interversion des Lamentations : il met <rr6|j.a, « bouche » (hébreu pi), avant a-/y v > " puissance » (hébreu, 'ôz). Cf. Trochon, Jérémie, p. 338, 339 ; Knabenbauer, In Dan., 365, 366.

4° Objection tirée de ce que l’auteur des Lamentations "connaîtrait Ézéchiel. — À cet effet on cite : Lam., ii, 4 : kôl mahâmmadê 'âin, « tout ce qui est beau à voir ; » ci. Ezech., xxiv, 16, 21, 25 ; mais cette expression se

trouve aussi dans III Reg., xx, 6 ; Lam., ii, 14 : hâzâh sâve', « voir la vanité, » cf. Ezech., xiii, 6, 9, 23 ; xxi, 34 ; xxii, 28 (cf. aussi, avec légère variante, xii, 24 : hâzôn Sâve', « vision vaine ; » XIII, 7 : mahâzêh sâve', « vision vaine » ) ; ces deux mots réunis ne se trouvent, il est vrai, que dans Lam. et Ezech., mais, séparés, ils se trouvent dans Jérémie, xxiii, 16 (/.làzôn) ; ii, 30 ; iv t 30 ; vi, 29 ; xviii, 15 ; xlvi, 11 (Sâve' avec le préfixe la) ; de plus, Jer., xiv, 14, nous fournit une locution équivalente : hâzôn séqér, « vision mensongère ; » Lam.,

11, 14 : tâfêl, « insanité, folie, » cf. Ezech., xiii, 10, 11, 14, 15 ; xxii, 28 ; mais ce mot se trouve aussi dans Job, vi, 6 ; Jer., xxiii, 13, a la même racine (iflâh ; cf. aussi Job, i, 22 ; xxiv, 12 ; Lam., ii, 15 : kelilat yofî, « parfaite en beauté, » cf. Ezech., xvi, 14, légère variante : yôfi kâlîl, « beauté parfaite ; » xxvii, 3, 4, 11 ; xxviii,

12, même variante que Xvi, 14 : kelîl yôfî, « parfaite beauté ; » mais cette expression se trouve aussi, avec une très légère variante, dans Ps. L, 2, appliquée à Sion, comme dans Lam., tandis qu'Ézéchiel l’applique à Tyr et à son roi ; Lam., iv, 11 : killâh Yehôvâh 'éthâmâf, « Jéhovah a accompli [sa] fureur, » cf. Ezech., v, 13 avec variante ; vi, 12 ; xiii, 15 ; cf. aussi xx, 8, 21, avec 'af ; cette locution est très rare dans la Bible. — Au surplus : « Quand bien même il y aurait des emprunts faits par l’auteur des Lamentations à Ézéchiel, en quoi cela empêcherait-il Jérémie d’en être l’auteur ? Pourquoi, ajoute Keil, quelques-unes des prophéties d'Ézéchiel n’auraient-elles pas été Connues de Jérémie ? Les rapports entre les exilés à Babylone et les habitants de Jérusalem et de la Judée étaient assez fréquents pour que les prophéties d'Ézéchiel aient pu être connues à Jérusalem, bien avant la prise de cette ville. » Trochon, Jérémie, p. 337.

5° Objections lexicographiques. — On prétend que les Lamentations contiennent un certain nombre de mots inconnus à Jérémie. Ces mots, relevés par Nâgelsbach, sont, outre quelques-uns que nous avons déjà signalés, m, 2°, col. 45, les suivants : Lam., i, 1 : rabbâfî, « pleine ; » mais ce mot se trouve aussi dans Jer., Ll,

13, sous la forme abrégée rabbâf, Lam., i, 2 : léhî, « joue ; » mais ce mot, dit Driver, Introduction, p. 463, peut être un simple accident, ainsi que Sêbét, « verge, » Lam., iii, 1, et sippôr, « oiseau, » Lam., iii, 52 ; Lam., i, 4 : sâbêl, « pleurant ; » on trouve le susbtantif sêbél, « pleur, » dans Jer., VI, 26 ; xvi, 7 ; Lam., i, 7 ; iii, 19 : mdrûd, « pleur ; » ce mot ne se trouve que dans Lam. ; Lam., i, 7 : mahâmûdim, « choses désirables ; » on lit le verbe hdmad, « . désirer, » dans Jer., iii, 19 ; xii, 10 ; xxv, 34 ; Lam. i, 8 : hêttë, « péché ; » le verbe hâta', « pécher, » est dans Jer., xxxii, 35 (forme régulière) ; Lam., i, 9 : tumâ'h, « impureté ; » tdmê', « se souiller, souillés, » est dans Jer., ii, 7, 23 ; vii, 30 ; xix, 13 ; xxxii, 34 ; Lam., i, 9 : pélâh, « chose admirable ; » Jer., xxi, 2 ; xxxii, 17, 27, emploie le verbe pâlâ', « être admirable. » Cf. Lohr, dans Zeitschrift fur die Alttest. Wissenschaft, 1894, p. 31 ; Driver, Introduction, p. 463, 464 ; Knabenbauer, In Dan., p. 372, 373.

Y. Époque de lu. composition. — 1° H. Ewald, Geschichte des Volkes Israël, l re édit., Gœttingue, 1843-1852, t.lV ;-p. 25, soutient que les Lamentations turent composées en Egypte, à l'époque où Jérémie y résidait. Il s’appuie sur Lam., i, 3. Mais ce passage ne prouve nullement la thèse qu’il soutient, car il peut très bien se rapporter au temps visé dans Jer., xli, 17, 18, et dont il est question dans Lam., v, 6, 9. — 2° Tout porte à croire que les Lamentations furent écrites peu de temps après la prise et la destruction de Jérusalem. En effet : 1. La vivacité des descriptions, la véhémence de la tristesse et de la douleur du prophète indiquent que la terrible catastrophe était encore récente. — 2. La famine est décrite comme étant très grande, Lam., i, 11, 19 ; ii, 19, 20 ; iv, 3-5, ce qui convient au temps de détresse et de