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LUC (ÉVANGILE DE SAINT)


fesseur, Scholia, in h. loc, t. iv, col. 60, suivant qui la tradition dont parle Denys est l’Évangile de saint Luc rédigé d’après la prédication de saint Paul ; Cosmas Indicopleuste, Topog., t. lxxxviii, col. 437 ; Anastase le Sinaïte, Vise dux, c. xiii, t. lxxxix, col. 233 ; InHexœm., 1. XI, ibid., col. 1028. Parmi les Pères latins, saint Hilaire.de Poitiers, De Trinit., 1. X, 40, 41, t. x, col. 375, reste indécis par suite de l’absence de ces versets dans beaucoup de manuscrits. Saint Jérôme, Dial. adv. pelagianos, 1. II, 16, t. xxiii, col. 552, connaît ces versets, reproduits seulement en certains manuscrits grecs et latins. Saint Ambroise les omet dans son commentaire de saint Luc, t. xv, col. 1818. Cependant Anastase le Sinaïte, Cont. monophysitas, t. Lxxxrx, col. 1185, a conservé un extrait de ce commentaire, dans lequel Vévêque de Milan parle en termes exprès de la sueur de sang et de l’ange consolateur. Saint Augustin cite ces versets. De consensu Evangelist., III, iv, 12, t. xxxiv, col. 1165 ; In Ps. cxl, t. xxxvii, col. 1817, 1818. Vigile de Tapse admet les faits qu’ils expriment. De Trinit., vi, t. lxii, col. 281. Bède, In Luc., VI, t. xcii, col. 603, en commentant ce passage, réfute les anciens hérétiques. La masse des témoignages et des documents est donc favorable à l’authenticité de cet épisode, propre à saint Luc. Ils sont de tous les pays et remontent par saint Justin jusqu’au ne siècle. On ne peut contester l’originalité pas plus que l’antiquité du passage, et c’est vraisemblablement par suite d’un attachement excessif au Vaticanus, <jui l’omet, queHort et Westcott l’ont tenu pour une addition. On comprend mieux la suppression de ces versets en un certain nombre de documents que leur insertion dans la majorjté.

II. CAUSES QUI ONT FAIT SUSPECTER LEUR AUTHENTI-CITÉ. — Les critiques en ont indique plusieurs, qui n’ont pas toutes la même vraisemblance. — 1° Depuis Wetstein, ils citent, sans indiquer la source où ils ont puisé ce renseignement, un écrivain arménien, qui n’est autre que Jean Mayrakomiétzi. II vivait dans la première moitié du vne siècle et il s’opposa avec vigueur à l’union des arméniens et des grecs décidée au concile de Garin (629). Or, il affirmait que Saturnilus, hérétique du il » siècle, avait ajouté au troisième Évangile les versets relatifs à la sueur de sang. Cf. Isaac le Patriarche, De rébus Armenise, t. cxxxii, col. 1253. Mais, d’après saint Irênée, Cont. hœr., i, 24, t. vii, col. 674, et l’auteur des Philosophumena, vii, 28, t. xvi, col. 3322, Saturnilus ou Saturnin enseignait que le Christ n’était pas né, qu’il n’avait ni corps ni figure et qu’il avait seulement paru être un homme. S’il en est ainsi, il est peu vraisemblable qu’il ait ajouté dans saint Luc l’épisode de la sueur de sang. On pourrait plutôt le soupçonner de l’avoir enlevé, parce qu’il était trop contraire à son enseignement docète. D’autre part, Saturnin était Syrien d’origine. Or un correspondant de Photius, Ad Amphiloch. , q. ccxix, t. ci, col. 992, affirmait que quelques Syriens retranchaient ce passage de l’Évangile. Mais ces renseignements sont trop vagues pour qu’on en tire une conclusion ferme.

2° Comme les hérétiques, surtout les ariens, abusaient de ce passage pour nier la divinité de Jésus-Christ, des orthodoxes, c’est-à-dire des catholiques, au rapport de saint Épiphane, Ancorat., 31, t. xi.ni, col. 73, l’auraient supprimé par crainte de l’abus qu’on en faisait, et aussi parce qu’ils ne comprenaient pas bien la fin du passage. C’est pourquoi l’évêque de Salamine, ibid., 37, col. 83, l’interprète sainement. Cette suppression expliquerait les témoignages de saint Hilaire de Poitiers et de saint Jérôme, rapportés plus haut.

3° On peut regarder comme certain, nous l’avons déjà remarqué précédemment, que l’omission de Luc, xxii, 43, 44, au moins dans plusieurs manuscrits grecs, a été occasionnée par l’usage liturgique. Ce passage, en effet, ou bien n’était pas transcrit à sa place naturelle, parce

qu’il n’était pas lu à l’office public en même temps que les versets qui précèdent et qui suivent, ou bien était copié à la suite de Matth., xxvi, 39, soit en marge, soit dans le texte, ou parfois même se lisait aux deux endroits. Ces faits ont pu précéder l’organisation officielle du sectionnement liturgique actuel de l’Église grecque, de telle sorte que l’omission de ce passage dans les manuscrits du troisième Évangile aurait, au témoignage des Pères de cette époque, été assez répandue au cours du IVe siècle. Mais plus tard et peu à peu, les versets omis ou détachés de leur contexte primitif auraient repris leur place naturelle, qu’ils n’ont plus perdue.

4° Quoi qu’il en soit de ces causes, dont l’action n’est pas certaine, il est avéré qu’au vn « siècle une branche de l’eutychianisme, la secte des aphtardocètes ou incorrupticoles, qui prétendaient que le corps de Jésus-Christ n’avait subi aucune corruption, rejetait en particulier l’épisode de la sueur de sang. En efl’et, Anastase le Sinaïte n’accuse pas seulement Apollinaire d’avoir nié ce fait évangélique, Cont. Monophysit.-, t. lxxxix, col. 1184, il fait le même reproche aux gaianites, qu’il réfute. Vise dues, c. xiv, ibid., ol. 253. Il constate, d’ailleurs, que l’essai de suppression, dont ce passage a été l’objet, a été inutile, puisqu’il est demeuré dans la plupart des manuscrits grecs et dans toutes les versions ; aussi déclaret-il altérés les manuscrits qui ne la contiennent pas. Ibid., c. xxii. col. 289. Léonce de Byzance, Cont. Nestorian. et Eutych., iii, 37, t. lxxxvi, col. 1376, réfute aussi les incorruptibles sur ce point et affirme que les Pères ont admis que Jésus avait été réconiorté par un ange dans son agonie.

C’est sous la même influence que la suppression de ces versets a été faite, au milieu du vne siècle, dans la version arménienne par le moine Jean Mayrakomiétzi, partisan des erreurs de Julien d’Halicarnasse. Le patriarche Isaac reproche aux arméniens hérétiques d’avoir enlevé de l’Évangile le passage de la sueur de sang de Jésus, sous le faux prétexte que ce phénomène ne convenait pas à un Dieu, Orat : i cont. Armenios, c. v, t. cxxxii, col. 1172, bien que saint Chrysostome, sur qui ils appuient leurs erreurs, admette cet épisode évangélique. Ibid., c. vi, 3, col. 1176. Ce sont donc d’impies altérateurs de l’Évangile. Ibid., c. xiii, 13, col. 1208, 1209. Le même reproche est adressé aux Arméniens par un écrivain du IXe siècle, Collectanea de quibusdam hxresibus earumque auctoribus, dans J. Basnage, Thésaurus monument, eccles. et hist., t. ii, p. 49, et par le moine Nicon, au siècle suivant, De impia Armeniorum religionc, dans Pat. Gr., t. i, col. 656-657. Mais le patriarche Isaac, De rébus Armenix, t. cxxxii, col. 1252, a nommé l’auteur responsable de cette altération de la Bible arménienne. C’est le moine Jean Mayrakomiétzi, partisan des erreurs de Julien d’Halicarnasse et adversaire du concile de Chalcédoine. Il prétendait que ce passage avait été ajouté dans l’Évangile par le docète Saturnin. S’il ne fut pas d’abord écouté, sa doctrine finit par être acceptée en Arménie grâce à l’influence d’un de ses disciples, le moine Sergius. Photius, Epist., îx, 5, t. en, col. 705-706. Ce fait est encore attesté par Théodore Kerthenavor, contradicteur’de Jean Mayrakomiétzi, Il déclare, en effet, que les Aphtardocètes arméniens prétendaient qu’on ne pouvait pas admettre le récit de la sueur de sang, contenu dans la première traduction arménienne de l’Évangile, parce qu’il n’était pas conforme à leur sentiment. Voir Œuvres (en arménien), publiées à la suite de celles de son disciple Jean Otzniétzi, in-8°, Venise, 1833, p. 148. Une partie de son écrit est remplie par la discussion des objections des hérétiques contre la sueur de sang du Verbe incarné. Elle contient notamment des citations de Pères grecs qui affirment la sueur de sang de Jésus. L’abbé P. Martin en a publié une traduction latine, Introduction à la critique textuelle du N. T., Paris, 1884-1885,