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PAUL (SAINT)


apôtre au même titre que les Douze, par institution divine et par commission directe de Jésus. Il soutiendra que c’est à dessein qu’il n’est pas allé à Jérusalem après sa conversion, afin de montrer qu’il n’a pas reçu sa doctrine des Apôtres, mais qu’il la tient directement de Jésus ressuscité. Ainsi se termine l’histoire de l’événement qui fut, dans la vie de Paul, la phase la plus décisive de son existence. On aura déjà conclu, par le simple exposé des circonstances, tel qu’il résulte de l’examen composé du triple récit des Actes, que le témoignage de saint Luc est très ferme, très consistant et que les divergences signalées ne sont que les différences que l’on constate toujours entre les répétitions les plus fidèles du même récit. Il n’y a donc pas à se demander quelle est, parmi ces trois relations, la plus exacte et la plus vraie. Rédigées par la même main, sorties de la même source orale, elles se complètent et s’éclaircissent mutuellement. Aussi la meilleure méthode pour reconstituer la scène de Damas, dans toute sa réalité, est-elle de fondre, dans un seul tableau, les images et les couleurs propres à chacune de ces descriptions.

II. hatuse dv phénomène. — L’exégèse rationaliste, ennemie du surnaturel, a mis tout en œuvre pour expliquer, sans aucune intervention miraculeuse, la conversion subite du jeune Saul. Ne pouvant nier ces faits que le témoignage de l’Apôtre lui-même a placés au-dessus de tout soupçon, elle a du moins cherché à les ramener à des causes] purement naturelles. Deux savants ont particulièrement étudié ce problème : Holsten et. Pfleiderer. Holsten, le plus fidèle [ et le plus hardi des disciples de Baur, a prétendu, Zum Evangelium des Petrus, und Paulus… Chris tusvision des Paulus, 1868 ; Dos Evangeliunides Paulus dargestellt, 1880, que la crise du chemin de Damas était un simple problème de psychologie, et il a essayé de le résoudre par l’hypothèse de la vision. Il établit, en principe, que Paul, nature", nerveuse, facilement excitable, sujette à des attaques d’épilepsie, II Cor., xii, 1-9, avait, par sa complexion hystérique, des dispositions naturelles à l’extase. L’apparition du Christ, en cette circonstance, n’aura été que la première en date de ses visions extatiques et celle qui aura donné naissance à toutes les autres. La meilleure critique de cette première hypothèse a été donnée par Beyschlag ; elle est insérée dans les Studien und Kritiken de 1864, 1870. Le second essai d’explication psychologique, celui de Pfleiderer, dans Urchristenthum et dans Paulinismus, 2e édit., p. 4-15, s’appuie sur un travail de réflexion qui se serait lentement élaboré dans la conscience de Paul, depuis le meurtre de saint Etienne, et qui avait abouti â la crise finale de la conversion. Le souvenir de la mort du saint diacre, de son calme, de sa douceur, de sa face rayonnante, jeta dans le cœur de Saul les premiers doutes et les premiers remords. Dans ses discussions avec les premiers disciples qu’il avait arrêtés et qu’il avait mission d’interroger, il fut frappé de l’explication^ qu’ils donnaient de la mort de Jésus, surtout de l’oracle d’Isaïe, lui, sur les souffrances du serviteur de Jéhovah. Il n’était pas moins touché du témoignage plein de force qu’ils rendaient de la résurrection de leur Maître. Convaincu, comme il l’était déjà alors, de l’insuffisance de sa justice’propre, de la stérilité de la Loi, il ne put s’empêcher de se demander si, dans la mort de ce crucifié, ne se trouverait point ce qu’il avait vainement cherché dans la pratique du pharisaïsme. Au moment où il approchait de Damas et où il se voyait sur le point d’accomplir sa mission de haine, ces impressions favorables se réveillèrent chez, lui avec une puissance extraordinaire, et déterminèrent dans son âme une lutte terrible dans laquelle le cri de sa conscience revêtit la forme sensible d’un reproche du Messie. L’âme de Saul fut saisie par la puissance divine d’une vérité que jamais elle

n’eût pu produire d’elle-même, mais qui, sous l’empire des circonstances intérieures et extérieures, se dévoile à lui comme le mot de l’énigme, comme l’apaisement du conflit extrême, comme la puissance de Dieu pour le salut. Renan, en 1869, Les Apôtres, p. 178 sq., avait déjà combiné ces deux points de vue, mais en faisant une plus large part au fait extérieur.

Si ingénieuses que soient ces suppositions, elles ne résolvent pas le problème posé. La difficulté reste entière. On : ne sort pas de ce dilemme : ou accumuler, comme Pfleiderer, les impressions antérieures favorables, ou les diminuer. Or, dans le premier cas, le caractère brusque et violent delà crise devient inexplicable ; dans le second, la transformation elle-même devient une énigme. Baur lui-même, Dos Christenthum, p. 45, avait pénétré ces impossibilités quand il résumait ainsi sa manière de voir sur ce sujet : « On ne parvient, par aucune analyse, ni psychologique, ni dialectique, à sonder le mystère de l’acte par lequel Dieu révéla son Fils en Paul. » Il ne reste à l’historien qu’une seule voie : c’est d’entendre la déposition du principal témoin, de Paul lui-même. Dans ses Épîtres les plus incontestées, l’Apôtre revient sans cesse sur ce grave événement. On a de lui trois déclarations importantes qu’il importe d’analyser. 1° La première est un passage de l’Épttre aux Galates, i, 12-17 ; Paul y décrit sa conversion au point de vue intime (âitoxaXûtl"*’tov ucôv aikoû êv ê(tot), en tant qu’elle servait à prouver l’origine divine et l’indépendance absolue de son évangile. Il ne rapporte pas, il est vrai, les moyens extérieurs dont Dieu s’est servi pour produire en lui cette œuvre de grâce, mais l’idée n’en est pas moins au fond de ces versets, car, tout en ramenant sa conversion à la grâce de Dieu, comme à sa cause première, Paul a soin d’affirmer, d’une façon très catégorique, qu’il la doit, comme cause prochaine et affective, à l’intervention personnelle de Jésus. Le verset 12, avec son antithèse, itapà dtvôpmitou et son génitif, subjectif, comme disent les grammairiens, SI’  « 710xaXô4’£<>K’It)<xoù XptaToû, indique, sans doute possible, que Jésus-Christ est, à la fois, l’auteur et Vobjet de la révélation. Il faut ajouter, et c’est là un point essentiel, que rien, dans le contexte, ne se prête à l’idée d’un travail antérieur dans l’âme du jeune Pharisien ou d’un acheminement progressif vers l’Evangile. Toujours Paul représente sa conversion comme un coup de foudre qui l’a surpris en pleine période de fanatisme, l’a fait passer, en un instant, d’un extrême à l’autre. L’hypothèse naturaliste perd, de ce fait, un de ses meilleurs arguments. Que deviennnenl, en effet, ces remords cuisants dont on tire les vraies causes de la conversion ? Où trouver le temps nécessaire pour préparer d’une manière normale le dénouement de la crise ?

2° La seconde déclaration est encore plus explicite et présente ce qu’on peut appeler le côté extérieur et objectif du phénomène. Paul en appelle à la vision du chemin de Damas pour établir la réalité de son titre d’apôtre. I Cor., ix, 1 : « Nesuis-je pas apôtre, s’écriet-il, n’ai-je pas vu le Seigneur Jésus ? » Pour lui, ces deux faits s’enchaînent entre eux comme l’effet à la cause. Lui refuser l’un, c’est nier l’autre. Et qu’on remarque ici la différence profonde qui, dans la conscience même de Paul, sépare cette apparition des visions extatiques dont il fut favorisé, quelques années plus tard, II Cor., xii, 1-5 ; celles-ci appartenant à la sphère de sa vie privée, il n’en parle qu’une seule lois, et encore avec une répugnance extrême, s’enveloppant, à dessein, d’expressions mystérieuses, comme lorsqu’il s’agit d’un secret qu’on a peine à dévoiler et sur lequel on se hâte de laisser retomber l’ombre de l’oubli. Or l’Apôtre n’éprouve rien de semblable, quand il est question de sa conversion. Il n’en fait pas mystère ; c’est même un des thèmes habituels de ses Épîtres. Il reven-