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PAUL (SAINT)

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IV. caractère de PAUL. — Pour comprendre la conversion de Saul, il faut s’être rendu compte, auparavant, de ce qu’était cette nature d’élite arrivée, en ce moment, avec l’âge viril, à la plénitude de son développement intellectuel et moral. A. Sabatier place l’originalité saillante du génie de Paul, dans l’union féconde de deux activités spirituelles, de deux ordres de facultés, qu’on a rarement trouvées réunies, à ce degré, dans une même personnalité : la puissance dialectique et l’inspiration religieuse, ou pour parler la langue de Paul lui-même, l’activité du voùç et celle du irvsOita. A. Sabatier, L’Apôtre Paul, p. 75. Rien ne donne mieux l’idée de la puissance dialectique de l’Apôtre que l’analyse approfondie de ses grandes Épitres : l’Épltre aux Romains et les deux Épitres aux Corinthiens. La marche des idées, la méthode d’argumentation, la facilité à tirer du fait particulier le principe général qui domine toute la question, y révèlent une force de logique qui classe leur auteur dans la famille des plus grands dialecticiens de l’humanité. Mais à côté de cette activité réfléchie de la raison, se placera plus tard une connaissance supérieure, surnaturelle, inspirée, celle des choses ineffables qu’il n’est point donné à l’homme d’exprimer. II Cor., xii, 4. C’est à elle que se rattachent les extases, les visions, les charismes de toutes sortes. La passion de l’absolu ne se manifestait pas seulement dans l’intelligence de Paul, elle imprégnait sa conscience morale et son caractère. De là cet ardent amour de la justice, de la sainteté, cette lutte sans trêve ni merci contre les convoitises de la nature, ce zèle pour la loi mosaïque. D’une volonté de fer, il était d’une infatigable persévérance dans les entreprises, ne se laissant arrêter par aucun obstacle. Avec cela, une sensibilité exquise, toujours prête à se répandre au dehors en une riche variété des sentiments les plus tendres, les plus délicats, une sympathie désintéressée et une puissance de dévouement qu’on ne trouve que rarement chez les hommes d’action et qui ne sont d’ordinaire que le privilège des plus nobles natures de femme. I Thess., ii, 7, 11. L’extérieur de Paul ne paraît pas avoir répondu à la grandeur de son âme. Il en convient lui-même dans ses Épitres avec une franchise qui peine et charme tout à la fois. I Cor., Il, 3, II Cor., x, 1-10. Sa personne n’imposait pas, il était chétif d’apparence, timide, embarrassé. Ses ennemis en prirent plus d’une fois occasion pour diminuer son prestige. Les Actes de Paul et de Thècle, au ive siècle, la Chronique de Malalas au vi a, renforcent encore à plaisir les traits sombres de ce portrait. Ils appellent l’Apôtre : « cet homme de petite taille, chauve, aux jambes courtes, corpulent, ayant les Sourcils joints ensemble et le nez saillant. » Ces détails sont exagérés. Le seul qui paraisse exact est celui qu’insinuent les Actes, xiv, 12. En Lycaonie, la foule prend Barnabe pour Jupiter, et Paul pour Mercure, sans doute parce que le premier avait une stature plus imposante que le second. On ne sait s’il faut déjà rapporter à l’époque de sa jeunesse, l’épine, littéralement « l’écharde dans la chair » (ax^Xoil-y oapxc) dont parle l’Apôtre. II Cor., xii, 1-9. Il semble qu’il est préférable de ne la faire commencer qu’avec les visions et les extases auxquelles elle devait servir comme de contrepoids. Il est difficile, en tout cas, d’en préciser la nature. Toutes les hypothèses proposées jusqu’ici n’ont pu résoudre cette énigme. L’idée qu’en donne Paul semble être celle d’un mal qui se manifestait sous forme de crises subites, propres à humilier profondément celui qui en était atteint. Ce n’était donc ni des tentations spirituelles, orgueil, blasphème, ni des tentations charnelles comme le supposent couramment les auteurs ascétiques, en se basant sur la Vulgate, stimulus car nis, malgré la déclaration formelle de I Cor., vu, iii, à plus forte raison, des ennemis acharnés à sa perte. II Cor., xi, 15. Les modernes conviennent géné ralement qu’il s’agit d’une maladie spéciale, sans qu’ils puissent s’accorder sur son nom. Quelques-uns (Rûckert, Nyegaard, Farrar, St. Paul, t. i, Excursus x) ont pensé à un reste de cécité, à la suite de l’apparition lumineuse sur la route de Damas, ou à une inflammation périodique des yeux, qui l’empêchait d’écrire lui-même ses lettres et de voyager seul, sans compagnon, ce que contredisent les Actes, xx, 13, et l’épître à Philémon, 18, 19. D’autres (Ewald, Holsten, Lightfoot, Schmiedel, Krenkel) l’expliquent par quelqu’une des nombreuses formes de l’hystérie entendue au sens technique du mot, attaques, syncopes, crises d’épilepsie. Ce mal qui réduit tout à coup l’homme à un état d’inconscience, accompagné des symptômes les plus pénibles, répond assez bien à ces soufflets d’une main invisible qui atteignent et abattent subitement un homme au moment où il s’y attend le moins. Krenkel qui a le plus longuement traité ce sujet, dans ses Beitràge, p. 47-125, apporte, à l’appui de cette opinion, les exemples de Jules César, de Mahomet, de Milton, de Pierre le Grand, de Napoléon I er. Enfin Ramsay a récemment parlé d’une fièvre causée par la malaria qui aurait arrêté, plus d’une fois, l’Apôtre dans ses voyages. Les anciens exégètes, Tertullien, Jérôme, Chrysostome, avaient cru qu’il s’agissait de congestions ou de névralgies.

Paul, à l’époque de sa conversion, était-il ou avait-il été marié ? L’usage juif porterait à le croire. On se mariait de bonne heure chez les enfants d’Israël. Clément d’Alexandrie, Erasme, Renan ont pensé que l’expression a-jïuYE yvqmz, Phil., IX, 3, s’appliquait à l’épouse de Paul, oubliant que l’adjectif yvTJcne est au masculin et SiiÇuye, très probablement un nom propre. Luther, Grotius, Ewald, Hausrath, Farrar ont prétendu, en se basant sur le mot afap.ot opposé à yjpa.i, <( veuves, » I Cor., vii, 7, 8, que Paul devait être veuf, mais l’épithète « ya(ioç indique, d’une manière générale, tous ceux qui ne sont pas mariés, qu’ils soient veufs ou célibataires. Il paraît donc certain, surtout si l’on tient compte du passage de l’Épitre aux Corinthiens déjà mentionné, I Cor., viii, 7-8, que l’Apôtre ne s’est jamais engagé dans les liens du mariage, par une disposition providentielle qu’il considère comme un don, une faveur spéciale.

II. La conversion. — L’événement qui brisa en deux parties la vie de Paul, sur le chemin de Damas, faisant du plus farouche, persécuteur de Jésus-Christ le plus ardent de ses Apôtres, est un des faits les plus considérables des origines du christianisme. Ce n’est pas en exagérer l’importance que d’affirmer que les motifs de crédibilité de la foi chrétienne reposent, en grande partie, sur la réalité positive de ce point d’histoire et sur le caractère qu’on lui attribue.

I. historicité. — Le livre des Actes a conservé troisrécits distincts de la conversion de Paul. Le premier, ix, 1-22, rapporte les détails que saint Luc a pu seprocurer sur cet épisode, tant de la bouche de l’Apôtre que de celle de ses compagnons de route. Les deux autres, xvii, 1-21 ; xxvi, 9-20, sont empruntés à des discours où Paul lui-même eut à raconter la genèse de sa vocation à l’apostolat. Ces trois relations présentent entre-elles des différences qui ont fait mettre en doute, par quelques rationalistes, la réalité même du fait qu’elles racontent. On verra, par le rapprochement des circonstances ou phénomènes, ce qu’il faut penser de ces divergences purement accidentelles. Inutile de se demander si elles proviennent de sources différentes (Schleiermacher) ou de versions dogmatiques diverses (Baur) ou d’une fantaisie littéraire (Zeller). Il est évident, pour tout esprit libre, qu’elles ne sont point voulues et qu’elles ont complètement échappé à l’attention de l’écrivain. Elles sont de même nature que ces variantes, que l’on constate, d’ordinaire, entre les répétitions les plus fidèles d’un même récit. Elles ne peuvent