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JUGES (LIVRE DES)


remonter dans l’histoire d’Israël, nous apparaît constitué dans sa teneur actuelle, quelle est la valeur des indices de tant de recueils divers, de tant de retouches successives ? La plupart nous paraissent trop faibles pour appuyer les conclusions qu’on en déduit. Ce ne sont que des conjectures accumulées. Elles aboutissent à de pures possibilités. Sont-elles même toutes vraisemblables ? Les -expressions : filii Israël, Israël, terra, si souvent répétées dans l’histoire des grands et des petits Juges, ne désignent pas nécessairement tous les Israélites et la Palestine entière. De soi, elles peuvent désigner une partie des Israélites, une contrée, habitée par quelques tribus d’Israël. En fait, plusieurs récits, notamment ceux de Gédéon, vii, 23, 24, et de Jephté, x, 8, 9, contiennent des restrictions qui permettent d’interpréter dans un sens restreint les expressions universelles : omnis populus cum Gedeone, vii, 1 ; omnes viri Israël, "vm, 22. Dans l’histoire de Débora, le cantique en vers, qu’on reconnaît très ancien, est aussi favorable à la judicature sur tout Israël, Jud., v, 7-11, que le récit en prose, iv, 1, 3, 4, 23. Osera-t-on soutenir pour les besoins de la cause qu’il a été retouché par un rédacteur postérieur ? Les deux morceaux précisent, d’ailleurs, l’étendue de l’influence de Débora en Israël et la montrent s’exerçant sur quelques tribus seulement, iv, 6, 10 ; v, 14, 15, 16, 18. Mais on présente ce manque d’harmonie primordiale entre le cadre et les histoires comme un indice d’un remaniement intentionnel de documents antérieurs par un rédacteur, qui voulait tirer de faits particuliers une leçon générale. On admet même l’introduction d’un nouveau point de vue qui modifierait, dans un but moral, celui des auteurs primitifs. Ne serait-ce pas un changement substantiel, produit par le rédacteur du cadre et conservé par le rédacteur inspiré de tout le livre ? Il nous semble que la leçon morale, adressée à tout Israël, ressortait suffisamment des châtiments imposés par Dieu à quelques tribus, étant donné surtout qu’elle avait été maintes fois répétée ; elle est donc suffisamment justifiée, sans qu’il soit nécessaire de supposer l’introduction d’un point de vue nouveau. Enfin, le rédacteur, en remaniant ses sources, les aurait retouchées de façon à les mettre entièrement d’accord avec son but personnel. S’il a laissé subsister des traces de l’esprit différent des documents primitifs, il a été malhabile dans son travail de retouche et d’adaptation. ,

Ces documents primitifs étaient eux-mêmes, d’autre part, de mains différentes. Ceux qui concernent Gédéon et Jephté dérivaient de deux traditions indépendantes. On appuie cette dernière conclusion sur la coexistence de récits parallèles, tels que les deux sacrifices offerts par Gédéon, vi, 11-24, 25-32, et la poursuite des Madianites par la tribu d’Éphrai’m, vii, 24-25, comparée avec celle de Gédéon lui-même, viii, 4-21. Dans le premier cas, il n’y a pas deux sacrifices, voir col. 146, ou, si on en admet deux, ils ont été offerts successivement et dans des circonstances différentes. La poursuite des fugitifs se fit simultanément sur des points divers, et si le récit en est un peu confus, cela provient non de la combinaison de deux sources distinctes, mais simplement d’une anticipation de l’expédition des Éphraimites dans l’ordre des événements. Voir col. 148. Ces documents parallèles ne sont pas seulement distincts ; ils sont encore caractérisés ; leurs auteurs appartiennent à l’école du jéhoviste et de l’élohiste du Pentateuque. Sans entrer dans aucun détail, demandons si ces marques sont aussi caractéristiques qu’on le prétend, si elles n’ont pas été primitivement fixées d’après un concept particulier de l’histoire d’Israël, de son développement politique et religieux, plutôt que d’après des faits dûment constatés. Les idées et le style du jéhoviste et de l’élohiste sont-ils si distincts qu’un mot suffirait parlois pour déterminer le caractère du morceau qu de la

phrase dans lesquels on les rencontre ? Le désaccord des conclusions montre bien que beaucoup des considérations, dont elles dérivent, sont plus subjectives qu’objectives, et le P. Lagrange est d’accord tantôt avec Cornill et Moore contre Budde, tantôt avec Budde contre l’un ou l’autre des critiques qu’il étudie. On peut faire les mêmes réflexions au sujet des rédacteurs successits, qui sont plus ou moins imbus des idées et du style du jéhoviste, de l’élohiste et du deutéronomiste. Ces déterminations dépendent des résultats qu’on croit avoir obtenus dans la critique littéraire du Pentateuque et qui sont loin d’être certains. Voir Pentateuque. Elles ne seraient admissibles qu’autant qu’on reconnaîtrait Moïse comme l’auteur du Pentateuque.

Les critiques catholiques n’hésitent pas à admettre des sources dont dépend le livre des Juges. Mais ils les déclarent contemporaines ou à peu près des événements racontés. Sans parler de quelques commentateurs du xvii » siècle, citons Kaulen, Einleitung in die heilige Schrift, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 182, qui distingue du cadre moral quelques documents caractérisés par des particularités de fond et de style ; Cornely, Introductio specialis in hist. V. T. libros, p. 222 ; F. de Hummelauer, Comment, in lib. Judicum et Ruih, p. 27, reconnaissent que fauteur du livre a puisé à des sources écrites ; quant à la dernière rédaction, ils la placent au commencement de l’institution de la royauté et l’attribuent à Samuel.

VII. Date.

On peut la fixer approximativement d’après des indices internes, le contenu du livre permettant de déterminer les limites extrêmes entre lesquelles s’étendra l’époque de la composition. — 1° Les derniers faits racontés concernent l’oppression d’Israël par les Philistins. Elle dura quarante ans. Jud., xiii, 1. Samson commença la délivrance de son peuple, xiii, 5 ; Samuel l’acheva. I Reg., vii, 13. Le livre des Juges, se terminant par la mort de Samson, XVI, 30, 31, et ne contenant pas les judicatures d’Héli, I Reg., IV, 18, et de Samuel, I Reg., vii, 15, bien qu’elles rentrassent facilement dans le cadre tracé par son auteur, sa rédaction a pu être contemporaine de ces événements, trop récents encore peut-être pour y être insérés. — 2° La mention : « Il n’y avait pas alors de roi en Israël, » répétée quatre fois dans les appendices, xvii, 6 ; xviii, 1, 31 ; xxi, 24, pour expliquer les graves excès qui y sont racontés, montre directement que cette portion du livre, et indirectement que le tout dont elle fait partie, ont été rédigés après l’institution de la royauté. À l’anarchie qui existait à l’époque des Juges, on oppose implicitement les avantages que la royauté procurait à Israël. On n’avait donc pas connu les règnes désastreux des mauvais rois, et on était encore sous les heureuses impressions des débuts de l’institution. — 3° Il est dit dans la première introduction, I, 21, que les Jébuséens habitaient « jusqu’aujourd’hui » à Jérusalem avec les Benjamites. La composition de ce morceau a donc précédé la prise de la citadelle, où cette tribu chananéenne avait son refuge, prise faite par David dans les premières années de son règne. II Reg., v, 6, 7. Postérieure à l’établissement de la royauté en Israël, antérieure à la septième année du règne de David, la rédaction du livre dés Juges doit être rapportée au règne de Saûl. — 4° Le but de l’auteur, qui est de détourner les Israélites de l’idolâtrie par l’exposé des châtiments divins, convient mieux au début qu’aux dernières années de ce règne, puisque nous savons que Saùl était opposé aux devins. I Reg., xxviii, 9.

VIII. Auteur.

Il n’y a rien de certain sur la personne de l’écrivain qui a composé le livre des Juges, et les commentateurs ont exposé à ce sujet des opinions divergentes. Aujourd’hui il n’y a plus guère que deux sentiments en présence. Tandis que les partisans de la haute critique admettent une série de rédacteurs successits qui se clôt par un rédacteur deutéronomiste du