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JUDAÏSME


il. influence persane. — « L’influence de la Perse est la plus protonde qu’Israël ait subie. Elle dura même après la fin de l’empire perse. L’influence grecque, pourtant si forte, n’empêcha pas l’influence iranienne de se continuer, au IIIe, au IIe siècle. » Renan, Hist. du peuple d’Israël, 1893, t. iv, p. 156. En principe, on aurait peu de chose à objecter à ces théories ; mais voyons si elles sont confirmées par les faits. Le lexique donne assez exactement la mesure de l’influence morale et religieuse d’un peuple sur un autre. Qu’on examine le vocabulaire hébreu (en y comprenant l’araméen biblique) on sera surpris du peu qu’il doit au persan. Deux noms d’emploi : ’âhas’darpenîm « satrapes » avec son adjectif âhasterdnîm (kSatrapâwan, racine ksatra, « noble » ) et gizbdr ou gidbdr « trésorier » (jienjiver) ; quatre termes d’administration : pifgdm « édit » (ancien persan pratigama, persan moderne paigâm) ; dât « droit, ordre » (data) ; nityevdn « écrit » (nuwistan), sans doute aussi patSégén ou parségén « copie » ; enfin les deux mots’appédén « palais, forteresse » (appadan), et ganzak ou genâzîm « trésor » (ganj, persan moderne ganjah). C’est tout ; car’ëgôz « noix », qu’on fait venir quelquefois du persan, est du sémitique pur ; birdh « forteresse » et’iggéréf « missive », bien que communs au persan et à l’assyrien, dérivent plutôt de cette dernière langue (birtu et egirtu) dont ils sont beaucoup plus rapprochés que du persan (bâru et engdrê). Cette liste est fort instructive et montre dans quel ordre d’idées ont lieu les emprunts. — Quand on compare la Bible et l’Avesta, on remarque, dans la morale comme dans le dogme, dès similitudes frappantes. Mais, pour savoir de quel côté est l’imitation, il faudrait d’abord résoudre la question de priorité ; puis tenir compte des divergences, presque aussi curieuses que les points de contact ; enfin peser les vraisemblances pour ou contre l’originalité. Or ce travail est à peine ébauché. On sait combien la date de l’Avesta est incertaine. Sans vouloir, comme Darmesteter, le faire descendre jusqu’à l’époque d’Alexandre, on doit accorder qu’il se compose de couches successives dont plusieurs ne sont pas anciennes. C’est un fait très remarquable que ni Ctésias, ni Xénophon, ni Hérodote, ne font mention de Zoroastre et que leur description des idées religieuses des Perses ne ressemble guère à l’avestisme. Les Persans atteignirent au dualisme, mais ne surent pas s’élever jusqu’au monothéisme véritable. Leur Ahura-Mazda, accablé de 99 999 maux, ressemble peu au Dieu des prophètes. Le satan biblique, qui ne peut rien sans la permission de Dieu, et l’Ahriman mazdéen, incréé et indépendant, sont aux antipodes. Les « sept anges qui se tiennent en présence de Dieu », Tob., xii, 15, ne sont pas une conception éramenne. Ei effet, les Amschaspands ne sont pas sept, mais six seulement. Pour obtenir le nombre sept, il faut leur adjoindre Ahura-Mazda lui-même. Quant à la résurrection, elle n’est formellement enseignée que dans les parties les plus récentes de l’Avesta. Et si l’on veut à tout prix que les Juifs aient pris au dehors le dogme de l’immortalité et de la résurrection, ils n’avaient pas besoin d’aller jusqu’en Perse : l’Égjpte était à leurs portes. Un emprunt que nous serions disposés à admettre, c’est le nom d’Asmodée. Nous ne connaissons et ne nommons les anges ou les démons que par leur mode d’action et de manifestation extérieures. Or, le nom d’Asmodée, s’il dérive du persan Aêsma-daêva, « le démon de la concupiscence, » convenait parfaitement à l’être que l’auteur de Tobie voulait mettre en scène. Voir Asmodée, t. i, col. 1103-1104. Cf. de Harlez, La Bible et l’Avesta, dans la Revue biblique, 1895, p. 161-172. — M. Nicolas, Des doctrines religieuses des Juifs pendant les deux siècles antérieurs à l’ère chrétienne, Paris, 1867, ne fait commencer l’influence persane qu’au IIe siècle avant J.-C. et la réduit à peu de chose ; Soderblom, La vie future d’après le mazdéisme,

Paris, 1901, s’attache surtout à montrer les différences du judaïsme et du mazdéisme ; il répond à Stave, Ueber den Evnfluss des Parsismus auf dos [Judentum, 1898, lequel défend la thèse opposée. — Dans le sens du rationalisme allemand et hollandais : A. Réville, Le judaïsme depuis la captivité de Babylone, d’après Kuenen, dans la Revue des Deux Mondes, mars 1872.

/II. influence grecque. — De prime abord, on pourrait penser qu’elle fut beaucoup plus profonde. Les Grecs possédaient à un degré prodigieux l’art de fondre et d’assimiler les éléments hétérogènes avec lesquels ite venaient en contact. C’étaient des colonisateurs de premier ordre, et les Romains, pour prendre pied en Orient, durent commencer par se faire Grecs. La Palestine n’échappa point à l’hellénisme. Voir Hellénisme, col. 575-579. Avant l’époque des Machabées on était déjà entiché des coutumes grecques, etsousHérode, l’engouement ne fit qu’augmenter. Mais les Juifs furent toujours extrêmement réfractaires aux idées religieuses importées de l’étranger. Us se plièrent aux usages des Grecs, adoptèrent souvent leur langue, mais restèrent obstinément Juifs d’esprit, de tendance et de religion. Celui qu’Aristote aurait rencontré en Asie Mineure et dont l’âme était grecque comme la langue (Cléarque dans Josèphe, Cont. Apion., i, 22) doit être regardé comme une exception singulière. Les poètes juifs écrivant en grec (rédacteurs des livres sibyllins, Ézéchiel le tragique, Philon et Théodote, auteurs d’épopée) ont pour but unique d’édifier les païens, d’en faire des prosélytes, de glorifier leur propre nation et de la venger des calomnies auxquelles elle était en butte. Ils prennent leurs sujets dans l’histoire sainte et impriment à leur œuvre un cachet judaïque très marqué. De même les historiens : ils sont tous apologistes. Leur nom est souvent grec, Démétrius, Cléodème, Eupolème, Aristée, Jason de Cyrène, Thallus le chronographe ; leur langue est hellénique : mais leur âme reste juive et l’hellénisme ne l’entame pas. Ils répudient le panthéon païen avec ses mythes puérils et son culte sensuel, ils n’ont aucun penchant pour le tranquille scepticisme de leurs contemporains, ils sont monothéistes résolus et, au delà de l’horizon israélite, ils ne regardent rien. Les philosophes, fait étrange trop peu remarqué, font comme les autres. Parmi eux on cite un adepte d’Aristote, Aristobule, un sectateur du Portique, l’auteur du quatrième livre des Machabées, un platonicien fervent, Philon d’Alexandrie. En réalité, ils ne sont qu’éclectiques, tour à tour pythagoriciens, stoïciens, disciples du Lycée ou de l’Académie, empruntant à tous les systèmes, avec la terminologie, sans laquelle ils ne pourraient écrire en grec, les éléments qui cadrent avec leurs idées juives. Aristobule ne cache pas son dessein : il veut montrer que les philosophes païens ont tiré da la Bible leurs meilleures inspirations, et que la loi de Moïse est conforme à toutes les données acceptables de la sagesse profane. Si l’auteur du quatrième livre des Machabées doit au Portique quelques définitions(raison, intelligence, sagesse, science, etc.) et quelques divisions (vertus cardinales), le Juif perce à tout moment sous cette écorce stoïcienne par les autorités alléguées, les exemples cités. L’apologétique de Philon, plus déguisée, est par là même plus habile et plus efficace. Presque partout, il glisse une idée juive sous un terme hellénique. Son Xo’yoç, par exemple, a beaucoup moins de rapports avec leXôyo ; platonicien qu’avec la Sagesse des livres sapientiaux. — Tout cela explique pourquoi l’hellénisation, partout ailleurs si rapide et si facile, a échoué en Palestine.

IV. véritables origines.

Sans vouloir méconnaître l’action très réelle des influences extérieures, nous croyons être plus près de la vérité en faisant du judaïsme un produit autochtone. Plus on en étudiera les traits les plus saillants, comme l’obsenation scriipu-