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JUDAISANTS


conscience et se scandalisaient de la voir violer autour d’eux. — Les deux premières catégories étaient formellement hérétiques ; la troisième commettait une erreur d’appréciation que saint Paul se fait un devoir de combattre ; la quatrième méritait l’indulgence et parfois saint Paul lui-même trouva bon de la ménager.

II. Histoire.

I. assemblée de Jérusalem. — La première levée de boucliers des judaisants amena la réunion de ce qu’on a nommé le concile apostolique, vers l’an 50. Nous admettons avec la presque totalité des auteurs que les récits de Gal., ii, 1-10, et d’Act., xv, 1-31, ont trait aux mêmes événements ; seulement saint Paul insiste davantage sur les faits qui le touchent personnellement, tandis que saint Luc rapporte de préférence les délibérations pu bliques et les décisions d’intérêt général. Les judaisants venus de Judée à Anlioche soutenaient expressément que les Grecs convertis ne pouvaient se sauver sans la circoncision. Act., xv, 1. La circoncision assujettissait les nouveaux chrétiens à toute la Loi mosaïque ; et c’est bien ainsi que l’entendaient les judaisants de Jérusalem qui, avant leur conversion, avaient appartenu à la secte des pharisiens. Act., xv, 5. Les Apôtres et les anciens de la ville sainte, réunis pour cet objet, après avoir entendu Paul, Barnabe et les autres envoyés d’Antioche, Act., xv, 4, 12, déboutèrent les judaisants de leurs prétentions. Pierre rappela la conversion de Corneille et de sa famille, conversion sanctionnée par le Saint-Esprit lui-même, sans qu’il eût été question d’imposer aux néophytes le fardeau de la Loi. Pourquoi accabler les gentils d’un poids qu’eux, les Juifs, avaient été impuissants àporter ? Act., xv, 7-10. Jacques fut du même avis et il appuya son sentiment sur le témoignage de l’Écriture. Cependant il apportait à la liberté des gentils quatre restrictions que l’assemblée approuva. Act., xv, 13-20. Le motif qu’il en donnait reste assez obscur pour nous, ꝟ. 21, mais les décisions prises par le concile sont parfaitement claires : 1° Les Apôtres et les anciens de Jérusalem délèguent auprès des chrétiens d’Antioche, Judas, Barnabe et Silas. Act., xv, 22, 27. — 2° Ils désavouent les judaisants qui, en troublant les églises, ont agi sans aucun mandat, xv, 24.

— 3° Des préceptes de Moïse, les gentils n’ont à retenir que les quatre points suivants dont l’observation est seule nécessaire (èracvaY*s ;) : abstention des viandes immolées aux idoles, du sang, de la chair des animaux étouffés et de la fornication, 28-29. — 4° Ce décret concerne les chrétiens d’Antioche, de Syrie et de Cilicie, les seuls qui soient en cause, xv, 23. — Saint Paul profita d’une occasion si favorable pour faire approuver son évangile et obtenir une déclaration solennelle qui, à l’avenir, fermât la bouche aux judaisants toujours prêts à le calomnier. Il nous fait connaître dans l’Épltre auxGalates les résultats de ses démarches : 1° Les colonnes de Jérusalem, Jacques, Céphas (Pierre) et Jean, ne trouvent rien à reprendre ou à compléter (oùSèv icpO(rav£8evTo) dans la prédication de Paul. Gal., il, 2-6. — 2° Ils lui tendent la main droite en signe d’alliance et l’on convient que Paul et Barnabe porteront l’Évangile aux incirconcis, comme ils le prêcheront eux-mêmes aux circoncis, 8-10. — 3° Paul, pressé par les judaisants de faire circoncire Tite qui l’avait accompagné à Jérusalem, s’y refuse énergiquement. En d’autres circonstances, il aurait pu consentir à cette pratique indifférente ; mais il résista cette fois à cause des faux frères dont les manœuvres sournoises avaient pour but d’asservir à la Loi Paul et ses disciples. Une concession, en pareille occurrence, aurait compromis la vérité de l’Évangile, car on n’eût pas manqué d’y voir une obligation au lieu d’un acte de pure condescendance. Gal., ii, 3-5. Le cas de Timothée, à la circoncision duquel Paul se prêtera plus tard, est tout différent. Act., xvi, 3.

II. incident d’antiocbe. — Après cette décision qui

semblait devoir terminer à jamais les débats, les judaisants ne désarmèrent pas, et l’incident d’Antioche vint tout remettre en question. Nous admettons avec la presque unanimité des commentateurs : 1° que l’incident eut lieu peu de temps après la réunion de Jérusalem et avant le départ de Paul pour sa seconde mission ; 2° que le Cephas avec lequel Paul a une discussion est bien Pierre lui-même. Voir Céphas, t. ii, col. 429-430.

Attitude de Pierre.

1. Avant l’arrivée à Antioche

des gens de Jérusalem, qui venaient d’auprès de Jacques (iirô’Iax<160v) et qui peut-être se disaient envoyés par lui, il fréquentait librement les Grecs convertis et vivait comme eux, sans s’astreindre à la Loi (i ; f|ç, Gal., ii, 14, ne peut être qu’un présent d’habitude ; car, à l’instant où Paul parle, Pierre a cessé de vivre à la grecque, I8vixw ;, et s’est remis à vivre à la juive, lou8atxà>{)- — 2. À partir de ce moment il s’éloigna et se sépara des gentils (àcpciptCsv êautdv), non par un changement quelconque d’idées, mais par crainte des Juifs circoncis (cpoëoùnevoç tous ix itepiTO|j.îi{), comme saint Paul le dit expressément. Gal., Il, 12. — 3. Le résultat de ce recul fut déplorable. Les autres Juifs imitèrent Pierre, et Barnabe lui-même se laissa entraîner, ꝟ. 13. Bien plus, les Grecs, pour ne pas briser les rapports avec leurs frères de race juive, étaient moralement contraints de judaiser et d’abdiquer les privilèges que leur avait conférés le décret du concile.

Attitude de Paul.

1. Il reproche à Pierre et à

ses imitateurs non pas un défaut de doctrine, mais une faute de conduite (oùx opGouoSoOut, « ils ne marchent pas droit selon la vérité de l’Évangile » ). Gal., Il, 14. Tertullien a trouvé le mot juste : Vtique conversationis fuit vitium non prædicatwnis. De prsescript., 23, t. ii, col. 36. — 2. Il accuse Pierre, non d’erreur, mais d’inconséquence. En effet, Pierre professe, comme Paul, que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la Loi, mais par la toi de J.-C, Gal., ii, 16 ; tout Juif qu’il est, il ne se fait pas scrupule, à l’occasion, de vivre à la grecque (è9vtxK> ;) ; il est donc déraisonnable d’obliger moralement les Grecs à judaiser, c’est-à-dire à suivre les coutumes juives auxquelles rien ne les astreint. Gal., ii, 14. L’argument est sans réplique et le récit que fait saint Paul de toute cette affaire suppose que saint Pierre en comprit le bien fondé et y conforma sa conduite.

Causes de la divergence.

Le décret de Jérusalem,

tout clair qu’il est, laisse, par sa concision, la porte ouverte à plusieurs doutes. 1. Rien n’est réglé au sujet des Juifs. Participent-ils à la liberté accordée aux gentils ? Les Juifs de Jérusalem continuent à observer exactement la Loi ; leurs frères de la dispersion n’y sont-ils pas tenus eux aussi ? — 2. Désormais les gentils sont déclarés exempts de la Loi, à l’exception de quatre articles ; mais ne sont-ils pas libres de l’observer tout entière ? Et n’y aurait-il point pour eux plus de perfection dans cette observation intégrale ? — 3. Les quatre articles qu’on leur impose par nécessité (râivayxeç), sans spécifier la nature de cette nécessité, les assimilent aux prosélytes de second rang qu’on soumettait seulement aux préceptes dits de Noé. Mais cette mesure ne les constituet-elle pas dans un état d’infériorité par rapport aux Juifs de race ? Et cette inégalité ne serait-elle pas levée par l’observation intégrale de la Loi ? — Ces causes, nous le verrons, agiront plus tard dans tous les troubles suscités par les fauteurs de désordre.

/II. LUTTES DE PAVL CONTRE LES JUDAISANTS. —

1° Première phase. Période des grandes Épîtres. — 1. L’église de Corinthe.— Les Corinthiens disaient : « Moi je relève de Paul, moi d’Apollos, moi de Céphas, moi du Christ. » I Cor., 1, 12. On a écrit des volumes sur ces quelques mots pour aboutir aux résultats les plus contradictoires. Tandis que le Pseudo-Ambroise, saint Chrysostome et son école, Théodoret, Œcuménius et Théophylacte, s’appuyant sur I Cor., iv, 6, se refusent à voir