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JOSEPH


sait les autres parle nombre. II n’en pouvait être autrement si l’on songe que le maître devait le vivre non seulement à ses serviteurs réguliers, mais encore à tous ceux de ses employés et de ses sujets qu’une affaire attirait à la résidence : même les pauvres diables qui venaient se plaindre à lui de quelque avanie plus ou moins imaginaire se nourrissaient à ses frais en attendant justice. Maîtres-queux, sommeliers, pannetiers, bouchers, pâtissiers, pourvoyeurs de poisson, de gibier ou de fruits, on n’en finirait pas si l’on voulait les recenser tous l’un après l’autre. Les boulangers qui enfournaient le pain ordinaire ne se confondaient pas avec ceux qui brassaient les biscuits. Les cuiseurs des soufflés et ceux des pelotes avaient la préséance sur les galetiers et les fabricants de confitures fines sur les simples confiseurs de dattes. Si bas qu’on descendit sur l’échelle, c’était un honneur à s’enorgueillir toute la vie et à se vanter après la mort au cours d’une épitaphe, que d’occuper un poste dans la domesticité royale. » Maspero, Histoire anc., t. i, p. 279-280. — Le gouverneur de la prison confia la garde de ces deux fonctionnaires royaux à Joseph. Gen., XL, 4. Pendant qu’ils étaient en prison, le chef des boulangers et le chef des échansons eurent chacun un songe la même nuit ; le lendemain, Joseph, ayant connu la cause de la profonde tristesse qui régnait sur leur visage, interpréta avec l’aide de Dieu leur songe, et son interprétation se réalisa : le grand échanson fut délivré et rétabli dans sa charge. Joseph lui avait recommandé de se souvenir de lui après sa délivrance et d’intercéder en sa faveur auprès du Pharaon ; mais le grand échanson, une fois délivré, oublia son interprète. Gen., XL, 5-23. — L’épisode des songes. rentre tout à fait dans les mœurs égyptiennes. De toute antiquité l’Egypte a attaché aux songes la plus grande importance et professé la plus grande vénération pour ceux qui étaient capables de les interpréter. Is., xix, 3 ; cf. Vigouroux, ibid., p. 58. Voilà pourquoi la magie était devenue un art et avait pris beaucoup de développement : « Les magiciens instruits à son école (du dieu Thot) disposaient comme lui des mots et des sons qui, émis au moment favorable avec la voix juste, allaient évoquer les divinités les plus formidables, jusque par de la les confins de l’univers : ils enchaînaient Osiris, Sît, Anubis, Thot lui-même, et les déchaînaient à leur gré, ils les lançaient, ils les rappelaient, ils les contraignaient à travailler et à combattre pour eux. » Maspero, Histoire anc, t. i, p. 212, 213. La plupart des livres magiques renferment des formules destinées à « envoyer des songes », tels le Papyrus 3229 du Louvre, Maspero, Mémoire sur quelques Papyrus du Louvre, pl. i-vm et p. 113-123 ; le Papyrus gnostique de Leyde et les incantations en langue grecque qui l’accompagnent. Leemans, Monuments égyptiens, t. i, pl. i-xiv, et Papyri grseci, t. ii, p. 16 ; cf. aussi Revillout, Les arts égyptiens, dans la Revue égyptologique, 1880, t. i, p. 169-172 ; et parmi les auteurs anciens : Tacite, Hist., iv, ’83 ; l’auteur des Homélies clémentines, i, 5, t. ii, col. 60 ; Origène, Cont. Cels., i, 68° t. xi, col. 788. Sur l’art de tirer les horoscopes et le calendrier des jours fastes et néfastes, cf. Papyrus Sallieriv, pl. i, lig, 2-3, 8-9 ; pl. ii, lig. 4, 6-8 ; pi. iii, lig. 8 ; pl. iv, lig. 3, 8 ; pl. v, lig. 1, 5, 8 ; pl. vi, lig. 5-6 ; pl. vii, lig. 1-2 ; pi xii, lig. 6 ; pl. xv, lig. 2, 6 ; pi. xvii, lig. 2-3 ; pl. xviii, lig. 6-7 ; pl. xix, lig. 4 ; pi. xxiii, lig. 2-3, 8-9 ; S. Birch, Select Papyri, Londres, 1844 t t. i, pl. CXLIV-CLXVHI ; Salvolini, Campagne de Rhamsèsle Grand, mS°, Paris, 1835, p. 121, note l ; E.de Rongé, Mémoire sur quelques phénomènes célestes, dans la Revue archéologique, l re série, 1852-1853, t. ix, p. 653691 ; Chabas, Le calendrier des jours fastes et néfastes de l’année égyptienne, in-8°, Paris, 1870, p.21-107.

iv. songes du pharaon. — Deux ans après, le Pharaon eut deux songes : celui des sept vaches grasses et des sept vaches maigres, et celui des sept épis chargés

de grains et des épis maigres. Gen., xli, 1-7. — Ces deux songes ont une couleur absolument égyptienne : le premier représente une scène pastorale, le second une scène agricole, et les deux scènes se passent sur les bords du Nil. Le Nil, les génisses et le blé, c’est à peu près toute la vie matérielle de l’ancienne Egypte. Les Égyptiens en avaient tellement conscience qu’ils avaient divinisé ces trois éléments : le Nil était représenté par trois dieux : Osiris du Délia, Khnoum de la cataracte, HarSâfit d’Hêracléopolis ; la déesse Naprît représentait l’épi mûr, Hâthor était la vache nourricière ; quant aux génisses, elles étaient consacrées à la déesse Isis, épouse d’Osiris, qui représentait la plaine grasse du Delta. — À son réveil, le Pharaon s’adressa à tous les « magiciens », hartumîm, et à tous les sages d’Egypte pour avoir l’explication de ses songes, mais aucun ne put les expliquer. Gen., xli, 8. — En Égjpte, les magiciens et les sages de la maison royale formaient une caste influente et privilégiée ; ils étaient les conseillers mêmes du roi. Les hommes au rouleau, khri-habi, n’avaient pas seulement pour rôle d’initier le Pharaon à la connaissance des rites et des formules religieuses, mais ils étaient aussi chargés d’expliquer les secrets de la nature : on appelait les « maîtres des secrets du ciel » ceux qui voient ce qu’il y a au firmament, sur la terre et dans l’Hadès, ceux qui savent toutes les recettes des devins et des sorciers. Tenti est « homme au rouleau en chef, … supérieur des secrets du ciel qui voit le secret du ciel ». Mariette, Les Mastabas, p. 149. « Le régime des saisons et des astres n’avait plus de mystère pour eux, ni les mois ni les Ijours et les heures favorables aux entreprises de la vie courante ou au commencement d’une expédition, ni les temps durant lesquels il fallait éviter de rien faire. Ils s’inspiraient des grimoires écrits par Thot, et qui leur enseignaient l’art d’interpréter les songes ou de guérir les maladies, d’évoquer les dieux et de les obliger à travailler pour eux, d’arrêter ou de précipiter la marche du soleil sur l’océan céleste. On en citait qui séparaient les eaux à volonté et les ramenaient à leur place naturelle rien qu’avec une courte formule. Une image d’homme ou d’animal, fabriquée par eux avec une cire enchantée, s’animait à leur voix et devenait l’instrument irrésistible de leur vengeance… Les grands eux-mêmes daignaient s’initier aux sciences surnaturelles et recevaient l’investiture de ces pouvoirs redoutables. Un prince magicien ne jouirait plus chez nous que d’une estime médiocre : en Egypte, la sorcellerie ne paraissait pas incompatible avec la royauté, et les magiciens de Pharaon prirent souvent Pharaon pour élève. » Maspero, Hist. anc, t. i, p. 281-282 ; Id., Les contes populaires de l’Egypte ancienne, 2e éd., p. 67, 60-63, 175, 180-181 ; Ad. Erman, Die Mdrchen des Papyrus Westcar, in-f », Berlin, 1890, pl. viii, lig. 12-26. — Le grand échanson se souvint alors de Joseph et raconta au Pharaon que cet esclave hébreu avait interprété son propre songe et celui du grand pannetier. Gen., xli, 9-13. Le roi fait immédiatement appeler Joseph ; celui-ci se rase, change de vêtements et se présente devant le Pharaon. Gen., xli, 14. — Ce détail correspond aussi à merveille aux coutumes égyptiennes. Hérodote nous apprend que les Égyptiens se rasaient complètement, ii ; 36 ; cette coutume était pratiquée surtout par les grands personnages et dans les circonstances solennelles, comme lorsqu’ils étaient reçus par le Pharaon ; les monuments nous les montrent alors le visage complètement rasé et portant des perruques sur la tête. Voir, fig. 285, un ministre d’Aménothès III (xviii « dynastie) reçu à l’audience royale. Le Pharaon en Egypte, en tant que fils de Ra, était un être au-dessus des mortels ; aussi l’abordait-on comme on aborde un dieu, les yeux bas, la tête ou l’échiné pliée, on « flairait le sol », sonù-to, devant lui, on se voilait la face de ses deux mains pour la protéger contre l’éclat de son regard, on récitait enfin une formule d’adoration