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JOB (LIVRE DE)


exclurait l’époque d’Isaïe. Mais on a autant de peine à s’imaginer notre auteur contemporain de Jérémie ou d’Ezéchiel qu’à placer, par exemple, Joinville au xviie siècle ou Bossuet au xrxe. « Un homme qui a quel . que tact et qui est versé dans la littérature hébraïque ne pourra jamais se persuader qu’une poésie si originale et si sublime appartienne à un temps où le dépérissement de la langue et l’état dégénéré du peuple n’ont produit, au point de vue littéraire, que de pâles reflets des anciens et une poésie généralement médiocre. » Le Hir, Le livre de Job, 1873, p. 240. On fixera donc la composition de Job entre Salomon et Ezéchias. Beaucoup d’auteurs préfèrent le début da cette période et regardent l’auteur de Job comme contemporain de Salomon : S. Grégoire de Nazianze, Orat., xix, 5, t. xxxv, col. 1061 ; S. Jean Chrysostome, Synopsis, t. lvi, col. 362, les catholiques Cornely, Knabenbauer, Welte, Danko, Kaulen, Vigouroux, Zschokke, Lesêtre, etc. ; les protestants Havernick, Hahn, Frd. Keil, Schlottmann, Frz. Delitzsch, etc.

V. Unité d’auteur, intégrité. — D’après certains critiques, le noyau primitif du livre, beaucoup plus réduit que le poème actuel, se serait accru peu à peu par d’importantes interpolations. Siegfried, par exemple, The Book of Job, Leipzig, 1893 (Bible polychrome), sépare du poème les parties suivantes : 1. Interpolations polémiques dirigées contre la tendance du poème : vii,

— 1-11 ; xiv, 1-2, 6-12, 13-22 ; xxviii, xxxii-xxxvii. —

2. Corrections destinées à rendre la doctrine orthodoxe ; xii, 7 ; xiii, 1 ; xxi, 16-18 ; xxiv, 13-24 ; xxvii, 7-23. —

3. Doublets ou compositions parallèles : xii, 4-6, XVII, 11-16 ; XL, 6 ; xiii, 6 : — 1° Prologue et épilogue, i-ii, xlh, 7-17. — Ces deux parties soni regardées comme interpolées par Stuhlmann, Bernstein, Knobel, Studer et Cheyne (au moins l’épilogue). On a quelque peine à concevoir leurs raisons. Sans le prologue, le poème est, non seulement incomplet et mutilé, mais totalement incompréhensible. On ne connaît ni la cause des plaintes de Job, ni le motif de la présence des trois amis, ni le sujet de la discussion ; on ignore en un mot tout ce qu’il faudrait savoir pour s’intéresser au débat et en suivre le fil. À première vue, l’épilogue est moins indispensable ; néanmoins le lecteur s’attend à un dénouement et il serait déçu s’il n’apprenait ce qu’il advint du juste éprouvé. Aussi les critiques les plus avancés (Driver, Cornill, Siegfried, etc.) sont-ils maintenant favorables à l’authenticité. Du moins admettent-ils, comme Budde et Duhm, que le poète a connu le récit en prose, appelé par eux livre populaire ( Volksbuch) ; et l’a pris pour base de son travail. — 2° D’autres contestent le caractère primitif de xxvii, 11-xxviii, 28, sous prétexte que Job y abandonne sa thèse pour embrasser celle de ses amis. Mais, cette objection reposant sur une erreur d’exégèse, l’analyse du poème suffit à la résoudre. — 3° On a dit que XL, 15-xli, 26 (béhémoth et léviathan), n’est qu’une amplification oiseuse de ce’qui précède. En réalité, cette description ne répète rien ; elle est en gradation avec le reste et, si on la supprime, le second discours de Dieu ne comprendra que huit versets assez insignifiants, XL, 7-14 : ce qui est inadmissible. — 4° Presque toute la controverse se porte aujourd’hui sur le discours d’Éliu, xxxi, xxxvii, déclaré interpolé après coup par la plupart des critiques protestants et rationalistes. Comme ils en appellent surtout à la valeur cumulative de leurs arguments, nous allons les exposer en bloc. — l. Manque de liaison avec le reste. — Éliu n’est mentionné ni dans le prologue ni dans l’épilogue. Job ne lui répond pas. Jéhovah répond à Job par-dessus le discours d’Éliu et sans en tenir compte. — 2. Forme du discours. — Sous le rapport de la langue, de la pensée, de l’art, les discours d’Éliu sont fort inférieurs au reste du poème. Contrairement aux autres interlocuteurs, Éliu parle de Job à la troisième personne, au lieu de s’adresser directement à

lui. — 3. Sujet du discours. — Éliu n’ajoute rien d’essentiel aux raisons des trois amis. Ce qu’il peut ajouter n’est pas en rapport avec la solution de l’auteur. La harangue d’Éliu déflore le discours de Jéhovah et le rend à peu près superflu ; elle va droit contre les idées du poète, savoir que la souffrance du juste est un mystère. Telles sont les raisons accumulées par Stuhlmann, Eichhorn, Delitzsch, etc., et bien résumées par Driver, Introd. to the Liter. of the O. T., 4e édit., 1892, p. 403405, qui les fait siennes. — La réponse à ces difficultés est aisée. Pour qu’on ne l’accuse pas de parti pris, nous l’empruntons à deux critiques peu suspects, Cornill, Einleitung in dos A. T., 4e édit., 1896, p. 235-238, et Budde, Dos Buch Hiob, 1896, p. xvii-xxi. — 1. L’auteur n’avait aucun motif de nommer Éliu dans le prologue, où il n’a point affaire. Il est introduit en son

lieu et suffisamment annoncé par la mention répétée

d’un auditoire assistant aux débats, xvii ; 9, xviii, 2 ; xxx, 1. Job n’avait pas à lui répondre, puisque, dans l’intention du poète, l’analyse en fait foi, Éliu a raison. Dieu, pour la même cause, n’avait ni à le blâmer ni à l’approuver : l’approbation ressort du dialogue même. — 2. Éliu parle de Job à la troisième personne parce qu’il ne le prend pas seul à partie ; il en veut aussi aux trois amis, qui n’ont pas su prouver leur thèse. Voilà pourquoi il s’adresse aux spectateurs et les fait juges de ses raisons. On ne peut nier, qu’au point de vue du style et de la diction, le rôle d’Éliu ne soit moins achevé. Mais ce manque de fini peut être intentionnel. L’auteur a partout grand soin de faire parler ses personnages selon leur âge, leur rang, leur caractère. En mettant en scène cet impétueux adolescent, ne lui a-t-il pas prêté à dessein des discours prolixes, un ton emphatique, des raisonnements embrouillés ? D’ailleurs le lexique de ce morceau n’a rien de bien spécial. Après une étude approfondie, Budde, Beitrâge zur Erklârung des Bûches Uiob, 1876, est arrivé à cette conclusion : Au point de vue linguistique, l’authenticité du discours d’Éliu demeure très possible. Cornill et Wildeboer souscrivent pleinement à ce verdict ; Kuenen lui-même déclare que l’objection tirée du style est désormais bien affaiblie. En continuant à étudier Job, Budde a remarqué que toute la seconde moitié, xxii-xli (à l’exception des chapitres xxix, xxxi, xxxviii et xxxix), est beaucoup moins soignée que la première. Il attribue ce fait à deux causes : a) La fatigue de l’auteur qui se traduirait par des négligences, des obscurités, des répétitions. Les chapitres exceptés ci-dessus, qui forment des épisodes indépendants, auraient pu être composés plus tôt et insérés ensuite dans le poème. 6) Le mauvais état du texte, dont la seconde moitié a beaucoup plus souffert aux mains des copistes et des critiques, témoin les Septante, que la première. Le discours d’Éliu regardé comme moins important a particulièrement souffert. — 3. L’analyse montrera que les objections rangées sous le troisième chef n’ont rien de fondé. Ce qu’Éliu ajoute aux discours des amis c’est la vraie cause des souffrances, que les amis ne soupçonnent pas. La harangue d’Éliu n’est pas rendue inutile par l’intervention de Jéhovah car Jéhovah n’explique pas la raison de la souffrance, mais enseigne à l’accepter avec résignation, même si l’on n’en voit pas la raison, parce que cette raison doit exister. Enfin, supposer que la solution d’Éliu est contraire à celle du poète c’est admettre a priori et sans la moindre preuve que le poète est un sceptique, dont l’unique but est de montrer que le problème agité par lui ne comporte pas de solution : idée aussi contraire à la vraisemblance qu’à la tournure d’esprit des Sémites.

VI. Exégèse.

Sens littéral.

Le livre de Job

étant un dialogue, il faut lui appliquer les règles d’interprétation propres au dialogue ; car l’inspiration ne change pas la nature d’une œuvre littéraire. Or, dans un dialogue, la pensée de l’auteur ressort du conflit