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JEAN (ÉVANGILE DE SAINT)


auteur a connu les trois premiers. Il les suppose, s’appuie sur eux et leur emprunte des faits, des idées, des images et même des expressions. Les ressemblances de fond sont évidentes et décisives pour le récit de la passion ; les coïncidences verbales n’existent que dans la narration de la multiplication des pains. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 212-229. Mais c’est un autre fait, également certain, que le quatrième Évangile, dans la plupart des récits et dans tous les discours de Jésus, est indépendant des trois autres. Des sept miracles qu’il rapporte, deux seulement sont dans les Synoptiques. À considérer le ton général de l’écrit et l’esprit qui l’anime, la différence est bien plus grande encore. Voir t. ii, col. 2079. Il en ressort clairement que le quatrième Évangéliste n’a pas copié les Évangiles précédents ; il s’est appliqué à ne pas répéter ce qu’ils contenaient. En conclurons-nous qu’il a suivi sa tradition à lui, telle qu’elle existait dans son milieu, sans s’inquiéter des autres et sans chercher à les mettre d’accord, ou qu’en taisant généralement ce qu’ils disaient, il a voulu les compléter et en donner les paralipomènes ? Nous dirons seulement que, s’il a introduit dans l’histoire évangélique beaucoup d’éléments nouveaux, il a reproduit le même ensemble d’événements et a répété plusieurs faits avec les mêmes circonstances. Il ne semble donc pas qu’il se soit directement et exclusivement proposé de compléter les Synoptiques, quoiqu’il produise des faits nouveaux. Il parle de souvenirs personnels, de choses vues et entendues ; il sait plus qu’il ne dit et il ne livre pas tous ses trésors. Il est donc l’écho d’une tradition apostolique, conservée oralement et interprétée par l’enseignement théologique. Ses souvenirs gardent une prodigieuse fraîcheur. Ces considérations expliquent l’indépendance du quatrième Évangile relativement aux rtrois premiers, sans nuire à la vérité de son témoignage historique.

2° Le but principal du quatrième Évangile fut essentiellement didactique et dogmatique. L’auteur l’a expressément déclaré lui-même : « Jésus a opéré en présence de ses disciples beaucoup d’autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceci a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom. » Joa., xx, 30, 31. Prouver la messianité et la divinité de Jésus, telle est l’intention qui se manifeste d’un bout à l’autre de l’Évangile de saint Jean. L’ensemble et les détails du récit convergent vers ce but. Le prologue révèle cette tendance dogmatique : il affirme que le Verbe éternel et divin, source de la vie surnaturelle, s’est manifesté aux hommes dans la personne de Jésus, qui est venu apporter le salut au -monde. Dans le corps de son récit, l’Évangéliste le jnontre accomplissant sa mission par des discours dogmatiques, dans lesquels Jésus aborde avec les docteurs de la loi les questions abstraites de la métaphysique chrétienne, et prouvant sa mission divine par des miracles qui sont des signes ou des preuves de sa divinisé. Les Pères, d’ailleurs, ont reconnu ce but dogmatique du quatrième Évangile. Origène, In Joa., i, 6, ’t. xiir, col. 29 ; S. Jérôme, In Matth., prolog., t. xxvi, col. 19 ; Eusèbe, H. E., iii, 24, t. xx, col. 268 ; S. Augustin, De consensu Evangelist., 1, 4, t. xxiv, col. 1045, In Joa., xxxvi, 1, t. xxxv, col. 1662 ; S. Épiphane, Hser., jli, 19, t. xli, col. 924, affirment que saint Jean prouve la divinité de Jésus-Christ. Toutefois, ce « théologien » ne compose pas un traité de théologie ; il écrit un livre historique en vue de prouver un dogme. Il n’idéalise pas non plus l’histoire, il la raconte de manière à montrer la portée dogmatique des faits.

3° Beaucoup de Pères attribuent, en outre, à saint Jean dans la composition de son Évangile une intention polémique, celle de réfuter les hérésies naissantes. Saint Jrénée, Cont. hær., III, xi, t. vii, col. 879, 880, parle des

DICT. DE LA. BIBLE.

erreurs de Cérinthe et des nîcolaïtes. Tertullien, De prsescript., 33, t. ii, col. 46 ; saint Jérôme, De viris ilhtst., 9, t. xxiii, col. 623 ; saint Épiphane, User., lxix, 23, t. xlii, col. 237, nomment encore les Ébionites. Mais les critiques modernes nient généralement cette intention polémique qui ne se trahit en aucun endroit du ! quatrième Évangile. Saint Jean ne s’est pas proposé de réfuter un système gnostique quelconque, auquel il aurait opposé un système orthodoxe, la véritable gnose. Les, gnostiques du iie siècle, loin de trouver dans le qua- 4 trième évangile la réfutation de leurs erreurs, lui-ont emprunté des termes caractéristiques pour dresser généalogie de leurs éons. Mais, en fait, l’Évangile de saint Jean n’est pas plus gnostique qu’il n’est antignc— stique. Dans ses Épîtres, l’apôtre combat les erreurs des Docètes, I Joa., i, 1-3 ; II Joa., 7, et dans l’Apocalypse, n, 6, 15, celles des Nicolaites. Dans l’Évangile, il ne combat directement aucune secte. Il procède par affirmations, et non par discussions ; son œuvre n’est pas un écrit de polémique. Il reste seulement vrai que son exposition didactique réfute indirectement les erreurs docètes et gnostiques.

Quelques critiques ont supposé que saint Jean, lorsqu’il fait appel au témoignage du Précurseur en faveur de la divinité de Jésus, visait les disciples de Jean-Baptiste, qui se seraient perpétués et qui auraient formé une secte hérétique. Baldensperger, Der Prolog des vierten Evangeliums, sein polemiscli-apologetischer Zweck, Fribourg-en-Brisgau, 1898. La supposition est t gratuite et l’appel de saint Jean au témoignage du Précurseur a une autre raison d’être : il sert à démontrer la divinité de Jésus. A. Loisy, Études bibliques, Pans, 1901, p. 131-133. On pourrait dire avec plus de raison que le quatrième Évangile est écrit contre les Juifs, sinon pour les réfuter, du moins pour les convertir. Son v caractère antijudaique paraît évident à M. Schanz, Commentai

  • uber das Evangelium des heiligen Johannes,

Tubingue, 1885, p. 34-41, à Mo r Batiffol, Six leçons sur les Évangiles, 2e édit., Paris, 1897, p. 120-125, et à M. Loisy, Études bibliques, p. 129-131. Mais les arguments indiqués pour justifier cette intention polémique ne sont que les preuves qui répondent à la thèse de l’évangéljste et qui démontrent la divinité de Jésus-Christ. Knabenbauer, Comment, m Ev. secundum Joannem, Paris, 1898, p. 13-16. Ici encore, l’intention polémique, si elle a existé, n’a pas été directe, mais tout au plus indirecte. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 282-293.

VI. Ordre et plan.

Tous les commentateurs du quatrième Évangile ont remarqué la parfaite unité du plan et ont constaté que le développement logique de l’exposition historique répondait exactement à la fin que l’auteur se proposait d’atteindre et démontrait progressivement la divinité dé Jésus-Christ. Ils ont divergé dans la manière d’énoncer et d’exposer ce plan, méthodique. Il serait trop long de discuter les divergences de leurs vues. Nous nous bornerons à résumer le plan signalé par saint Thomas d’Aquin, Com. m Joa., c. ii, lect. 1, et développé par le P. Cornely, Introductio speciahs in singulos N. T. hbros, Paris, 1886, p. 253-259. Cf. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 294301. L’Évangile de saint Jean commence par un prologue, 1, 1-18, et se termine par un court épilogue, xxi, 24, 25. Le récit lui-même, qui forme le corps de l’ouvrage, com-’prend ], 19-xxi, 23.

^ I. prologue, i, 1-18. — Ce prologue ne peut être considéré ni comme un résumé philosophique de l’histoire du monde, ni comme le programme qui sera développé dans tout l’évangile. Il sert cependant de fondement, dogmatique au récit tout entier, et il indique le point de ue général auquel saint Jean envisagera Jésus. Il remplace l’histoire de l’enfance du Sauveur, racontée par saint Matthieu et par saint Luc. L’auteur a voulu dès l’abord orienter ses lecteurs et leur rappeler que le hô UI. - 38