Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/609

Cette page n’a pas encore été corrigée
4171
1172
JEAN (ÉVANGILE DE SAINT)


fut le dernier des évangélistes. Eusèbe, H. E., VI, 14, t. ix, col. 552. Tertullien, Cont. Marcion., iy, 2, 5, t. ii, col. 363, 367, pose comme un principe que l’Évangile a pour auteurs des apôtres ou, au moins, des hommes apostoliques. Or deux apôtres, Jean et Matthieu, ont enseigné ce que nous devons croire sur Jésus-Christ. Il appuie enfin l’origine apostolique des Évangiles sur l’autorité des églises apostoliques. Saint Cyprien, Testim., i, xii, t. iv, col. 685, cite le quatrième Évangile sous le titre cata Joannem, et il entend certainement parler de l’apôtre saint Jean. Saint Victorin de Pettau, In Apoc, t. v, col. 325, dit que Jean l’Évangéliste, pareil à un aigle, élève ses ailes dans les hauteurs et parle du Verbe. Tous les écrivains ecclésiastiques dans les siècles suivants ont reçu et transmis la même tradition. Camerlynk, De quarti Evangehi auctore, p. 190-206.

Dans l’antiquité ecclésiastique, il s’est produit une seule opposition formelle à l’origine apostolique du quatrième Évangile, celle des Aloges. Saint Irénée, Cont. hscr., III, xi, 9, t. vil, col. 890-891, signale des hérétiques qui rejetlent l’Évangile de saint Jean, parce qu’il renferme la promesse du Paraclet et qu’eux-mêmes refusent de reconnaître tout esprit prophétique. Ce ne sont donc pas, comme l’ont pensé quelques critiques, les montanistes qui, au contraire, croyaient à l’esprit prophétique, et appuyaient leurs rêves chimériques sur les ouvrages de saint Jean, mal interprétés. Ces hérétiques anonymes sont plutôt ceux que saint Épiphane a appelés « Aloges ». Hxr., li, t. xli, col. 892. Ils repoussaient tous les écrits "de saint Jean. Les motifs pour lesquels ils ne voulaient pas de son Évangile, étaient d’ordre critique. Il ne peut pas être l’œuvre de saint Jean, parce qu’il n’est pas d’accord avec les écrits des Apôtres ; il est en particulier en contradiction avec les trois premiers Évangiles soit pour la disposition des récits, soit pour l’ordre chronologique des faits ; il est dissonant et inharmonique. Saint Épiphane, Hser., li, t. xli, col. 893-945, répond longuement à ces objections et prouve l’accord du quatrième Évangile avec les synoptiques. Saint Philastre, User., lx, t. xii, col. 1174, 1175, ajoute que les Aloges attribuaient le quatrième Évangile à Cérinthe. Par là, ils rendaient indirectement témoignage à l’origine apostolique du quatrième Évangile, puisqu’ils contredisaient, pour des raisons purement internes, l’attribution à saint Jean généralement admise de leur temps, et puisqu’ils rapportaient l’œuvre de saint Jean à un de ses contemporains. Leur erreur relativement au quatrième Évangile n’a été partagée par personne, sinon, au jugement de Corssen, Monarchianische Prologe, p. 30-50, par l’auteur romain du prologue de l’Évangile de saint Marc. L’existence des Aloges romains n’est pas démontrée. Rose, La question johannine. Les Aloges asiates et les Aloges romains, dans la Revue biblique, t. VI, 1897, p. 516-534. Certains critiques conjecturent, il est vrai, que les Capita adversus Caium, de saint Hippolyte. faisaient partie de son traité’Titàp toû xoctà’I<oàvvi, v E0aYY^, tou xcxi’ArçoxoiXû’J’Eii) :. Si cette conjecture était vraie, il en résulterait que le prêtre romain Caius rejetait le quatrième Évangile aussi bien que l’Apocalypse. Mais l’hypothèse n’est pas démontrée. Quant à saint Denys d’Alexandrie, qui a connu l’opinion de Caius et qui en est tributaire, il doute que l’Apocalypse soit de l’apôtre saint Jean, mais il lui maintient l’attribution de l’Évangile et des Épitres, puisqu’il argumente des divergences qu’il constate entre les écrits de saint Jean et l’Apocalypse pour nier l’origine johannique de ce dernier livre. Eusebe, H. E., vii, 25, t. xx, col. 701, l, 704. L’opposition des Aloges au quatrième Évangile, fondée seulement sur des motifs intrinsèques de peu de valeur, loin d’infirmer la tradition ecclésiastique qui attribue cet évangile à l’apôtre saint Jean, la confirme plutôt et lui apporte un solide appoint. Camerlynck, De quarti Evangehi auctore, p. 145-172.

Les adversaires modernes de l’origine apostolique du quatrième Évangile s’en rendent si bien compte qu’ils ne veulent nullement attribuer cet écrit à Cérinthe. Ils en sont réduits à attaquer le point de départ de la tradition ecclésiastique ; ils ne la croient pas primitive et ils cherchent à remonter plus haut. L’école de Tubingue faisait valoir l’attitude des églises d’Asie dans la controverse pascale comme incompatible avec l’attribution de l’Évangile à l’apôtre Jean. La plupart des évêques de ces églises justifiaient leurs usages sur la célébration de la fête de Pâques par l’autorité de saint Jean. Or, le quatrième Évangile ne favorise pas les prétentions des quarto-décimans, puisqu’il semble dire que la Pâque fut célébrée par Jésus la veille de la Pâque juive. Voir t. ii, col. 409. Il ne peut donc être l’œuvre de saint Jean. Les critiques reconnaissent généralement aujourd’hui que la controverse pascale ne peut être invoquée contre l’origine johannique du quatrième Évangile. Quelle que soit l’opinion qu’on adopte sur l’accord ou le désaccord de cet Évangile et des sj noptiques relativement à la date de la fête de Pâques, il est de fait que ni les quarto-décimans ni leurs adversaires n’ont pas constaté ce désaccord et ne s’en sont pas prévalu les uns contre les autres. Le quatrième Évangile est donc absolument étranger au débat, et l’opinion des évêques d’Asie relativement à la date de la célébration de la Pâque ne prouve rien contre son attribution à saint Jean. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 14-17.

Certains critiques expliquent autrement la tradition ecclésiastique touchant l’origine johannique du quatrième Évangile. Ils sont obligés de reconnaître qu’à la fin du second siècle l’auteur de cet Évangile était généralement tenu comme identique à l’apôtre saint Jean, qui aurait séjourné à Éphèse jusqu’à sa mort. Mais cette persuasion universelle, au lieu d’être une tradition authentique, ne serait que le résultat d’une confusion, par laquelle l’opinion publique aurait auparavant substitué l’apôtre Jean à un personnage du même nom, ayant joui d’une grande autorité en Asie et qu’Eusèbe et Papias appelaient le prêtre Jean. Cette substitution de l’apôtre Jean au prêtre, son homonyme, n’est qu’une hypothèse, échafaudée sur un ensemble de considérations peu concluantes. L’existence du prêtre Jean, nous l’avons dit précédemment, n’est pas certaine ni admise par tous les critiques. Supposons-la démontrée. Eusebe, sur le témoignage de qui on s’appuie, tend visiblement sans doute à attribuer l’Apocalypse au prêtre Jean ; mais il accepte le quatrième Évangile comme l’œuvre authentique et incontestée de l’apôtre Jean. Qu’on ne dise pas qu’il a adopté la tradition qui, depuis saint Irénée, rapportait universellement cet Évangile à l’apôtre, car Eusèbe a eu entre les mains l’ouvrage de Papias, que nous ne possédons plus, et s’il y a trouvé une attestation en faveur de l’existence du prêtre Jean, il n’y a certainement rien lu qui soit contraire à l’origine apostolique du quatrième Évangile. Son silence prouve, au moins, que Papias ne disait rien qui soit opposé à l’attribution de cet Évangile à saint Jean. Les Aloges, qui ont précédé saint Irénée, ne connaissent pas le prêtre Jean ; ils rejettent tous les écrits johanniques ; ils n’y peuvent reconnaître des œuvres apostoliques ; les voilà en quête d’un autre auteur, ils ne pensent pas au prêtre Jean, mais à Cérinthe, à l’adversaire de l’apôtre Jean à Ephèse. De plus, la substitution de l’apôtre au prêtre Jean, si elle a existé, est antérieure à saint Justin, qui attribue expressément l’Apocalypse à l’apôtre saint Jean. DiaU cum Tryph., 81, t. vi, col. 670. Or si Justin n’a écrit son dialogue qu’entre 155 et 160, il s’est converti au christianisme à Éphese en l’an 130. Son témoignage en faveur de l’apôtre Jean remonte donc à l’époque de sa conversion, et il reproduit celui de l’église d’Éphèse, de cette église que l’apôtre a gouvernée jusqu’à son extrême vieillesse. Il faudrait donc admettre que la confusion