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JACOB


fallacieusement l’usage du pays qui ne permettait pas à un père de marier sa fille plus jeune avant l’ainée. Il dit cependant à Jacob que Kachel serait à lui et qu’il pourrait l’épouser après les sept jours de fête consacrés à la noce de Lia, cf. Jud., xiv, 12, s’il voulait le servir sept autres années. Jacob y consentit, et ce nouveau mariage eut lieu au jour indiqué. Laban donna à Rachel, à cette occasion, une servante du nom de Bala, de même qu’il en avait donné une, Zelpha, à Lia. Gen., xxix, 14°-29.

Jacob ne dissimulait pas sa préférence pour Rachel ; mais Dieu l’en punit en refusant à celle-ci la maternité tandis que Lia donnait successivement le jour à quatre flls : Ruben, Siméon, Lévi et Juda. Ce contraste excita l’envie de Rachel ; aveuglée par le dépit, elle s en prit d’abord à Jacob de sa stérilité, puis voulant en atténuer de quelque manière les effets, elle lui fit prendre comme épouse secondaire Bala, dont les enfants seraient censés les enfants de Rachel même. Cf. Gen., xvi, 1-3. Bala eut deux fils, Dan et Nephthali. Lia de son côté, voyant sa fécondité interrompue pendant quelque temps, suivit l’exemple de sa sœur et fit épouser à Jacob sa servante Zelpha, dont il eut également deux fils, Gad et Aser ; mais entre temps elle devint encore elle-même mère de deux autres fils, Issachar et Zabulon, et, en dernier lieu, d’une fille, Dina. Le Seigneur se souvint aussi de Rachel et exauça enfin ses prières en lui accordant un fils qu’elle appela Joseph. Gen., xxix, 30 ; xxx, 1-13°, 17-24. Ces onze fils, auxquels viendra s’adjoindre plus tard Benjamin, composent avec Dina, leur sœur, toute la famille de Jacob, telle que la Bible, nous la fait connaître. Il paraîtrait toutefois qu’il aurait eu d’autres filles, d’après le texte hébreu de Gen., xxxvii, 35 ; xlvi, 7, à moins qu’il ne faille entendre cette expression dans un sens large, c’est-à-dire celui de belles-filles.

La naissance de Joseph marquait la fin des quatorze années de service que Jacob s’était engagé à fournir à Laban. Le fils d’Isaac résolut de reprendre sa liberté et de revenir dans la terre de Chanaan pour y travailler au bien de sa propre famille. Mais Laban s’y opposa : « J’ai’connu par mon expérience, lui dit-il, que le Seigneur m’a béni à cause de vous ; fixez le prix que je dois vous donner » à l’avenir. Jacob consentit à rester et proposa en conséquence à son beau-père un traité dont les conditions sont différemment comprises par les interprètes. En cet endroit, en effet, il y a des divergences sensibles dans les diverses leçons du texte sacré qui d’ailleurs paraît offrir certaines lacunes. Cependant, si l’on néglige les détails secondaires, il est aisé de se former une idée très claire des conditions essentielles de ce pacte. Il revenait à ceci : les troupeaux étaient préalablement partagés d’après les conventions établies, et ensuite [séparés. [Jacob devrait donner à Laban tous les produits des siens qui seraient d’une seule couleur, blanche pour les brebis, noire pour les chèvres ; tout le reste, c’est-à-dire tous les petits tachetés ainsi que les agneaux noirs, d’après l’hébreu de Gen., xxx, 33, et, probablement encore par analogie, „ les chevreaux blancs seraient la part qui resterait à Jacob.’Celui-ci ne pouvait assurément se faire cette part plus modeste, car, les brebis ont communément, 1a laine blanche, et les chèvres le poil noir ; les sujets à robe mouchetée forment l’exception et même leurs petits sont d’ordinaire d’une couleur uniforme. Aussi Laban n’hésita-t-il pas à souscrire à ce marché qui paraissait tout à son profit. Cet homme cupide ne se contenta pas même de cet avantage ; autant qu’on peut en juger par diverses données du texte, il rendit pire encore la condition de Jacob par la manière dont il procéda à la répartition des troupeaux dans le but de lui laisser d’abord le plus petit nombre possible de têtes de bétail et de s’assurer à lui-même ensuite une plus forte proportion dans leur progéniture. Gen., xxx, 25--6. Mais les

choses allèrent tout autrement qu’il n’avait pensé, grâce au moyen industrieux qu’employa Jacob pour obtenir en grande quantité des brebis et des chèvres de la couleur qu’il souhaitait. Il prit des branches vertes de peuplier, d’amandier et de platane, les écorça incomplètement de manière qu’elles offrissent aux regards des parties blanches et des parties vertes, et les déposa dans les canaux où les troupeaux venaient boire. L’aspect de ces couleurs mêlées impressionnant l’imagination des brebis et des chèvres au temps de la conception, elles produisaient des petits tachetés de diverses couleurs, que Jacob séparait à mesure et qui devenaient sa propriété. Cependant, afin de rendre moins sensibles aux yeux de Laban les heureux effets de son habileté, il n’usait de ce procédé que pour la première portée de l’année, celle qui donne les animaux les plus forts, et il laissait les choses aller leur cours naturel pour la seconde portée. De la sorte il eut pour lui tout le bétail vigoureux, tandis qu’il ne restait pour son beau-père que les produits de qualité inférieure. Gen., xxx, 37-42. — Jusqu’à quel point faut-il attribuer à l’industrie de Jacob les merveilleux résultats qu’il obtint, c’est ce qu’on ne saurait dire. Il est certain, d’une part, que son procédé était conforme aux idées et à la pratique de plusieurs peuples de l’antiquité, et des savants modernes y voient une méthode fort admissible de sélection artificielle. Voir sur cette question F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 5e édil., t. iv, p. 331-335. Mais, d’autre part, il est difficile d’attribuer uniquement à cet artifice le prodigieux succès de cette méthode, d’autant plus que Jacob en varia plusieurs fois l’application et toujours avec le même bonheur, produisant selon les besoins du moment tantôt une couleur uniforme, tantôt une couleur mélangée. En réalité le véritable auteur de ce qui arrive ici est Dieu même qui bénit les moyens employés par son serviteur ainsi que Jacob le déclara ensuite à Lia et à Rachel : « C’est Dieu, leur dit-il, qui a pris le bien de votre père pour me le donner. » Et il confirme cette déclaration par le récit d’un songe dans lequel Dieu lui avait dit qu’il connaissait tout ce qu’il avait eu à souffrir de Laban. Durant ce même songe une vision mystérieuse lui avait fait comprendre que Dieu approuvait l’emploi du moyen qui l’enrichissait ou peut-être même le lui avait-elle divinement appris, ce moyen. Gen., xxxi, 9-12. Le texte comporte l’un et l’autre sens. Si l’on adopte le dernier, Dieu se serait servi de ces branches, privées elles-mêmes de toute vertu naturelle, pour produire l’effet désiré par Jacob, comme il se servit plus tard d’un bois quelconque pour adoucir les eaux de Mara. Exod., xv, 25. Il faut remarquer toutefois que, dans ce cas, la vision aurait dû avoir lieu six ans auparavant, ce qui ne s’accorde guère avec Gen., xxxi, 31 b.

Laban, déçu dans ses espérances, exigea qu’on changeât les conditions du contrat et que la part de Jacob devint la sienne, et réciproquement. Mais le résultat fut toujours le même, et il revint aux premières conditions pour changer encore « jusqu’à dix fois », dit Jacob, Gen., xxxi, 7, 41, c’est-à-dire plusieurs fois, mais sans que jamais le succès répondit à son attente. Ces échecs répétés l’aigrissaient et l’indisposaient de plus en plus contre son neveu. Jacob le sentait, et il connaissait en même temps les critiques acerbes de ses beaux-frères. Il songea donc à s’éloigner ; mais le motif qui l’y détermina réellement fut l’ordre formel que Dieu lui en donna en lui réitérant la promesse de le protéger. Gen., xxxi, 1-3. Une difficulté sérieuse se présentait toutefois : il connaissait l’avarice de son beau-père, son tempérament dur et violent. Laban s’opposerait à son départ, fallût-il en venir pour cela à la violence. Gen., xxxi, 32. Il résolut donc de faire à son insu tous les préparatifs de ce départ et de s’éloigner secrètement. Il manda auprès de lui, au milieu des champs, Rachel et Lia, leur exposa ses griefs contre Laban, leur raconta la vision dont il a