Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/488

Cette page n’a pas encore été corrigée
945
946
ISAIE — ISAIE (LE LIVRE D’)


bois. Pour le condamner à mort, le roi Manassé aurait pris pour prétexte les paroles mêmes du prophète : « J’ai vu le Seigneur assis sur un trône. » Is., vi, 1. Le roi prétendait que ces paroles étaient en contradiction avec ce que dit Moïse de Jéhovah : « Nul homme ne me verra sans mourir. » Exod., xxxiii, 20. La tradition relative à son genre de mort fut admise par la majorité des Pères. Cf. S. Justin, Dial. cum Tryph., 120, t. vi, col. 756. Tertullien, De patientia, xiv, t. i, col. 1270 ; Chronicon pasch., t. xcii, col. 305, 381 ; Origène, In Is. Hotnil., i, 5, t. xiii, col. 223, où il appelle cette tradition juive : verisimilem quidem nec tamen veram, probablement à cause du motif donné par les Juifs, à savoir qu’Isaïe avait été scié parce qu’il violait la loi. In Matth., t. x, 18, t. xiii, col. 882 ; In Matth., Comment., Ser. 28, t. xiii, col. 1637 ; Épist. ad Jul. Afric, 9, t. xi, col. 65 ; S. Jérôme, In Is., lvii, 1, t. xxiv, col. 516-548. Cette tradition d’origine juive s’est conservée aussi dans le Talmud, traité Yebamoth 496, et dans le Targum sur II [IV] Reg., xxi, 16, Sanhédrin, 103 6. Cf. A. Rohling, Der Prophet Jesaja, p. 1 ; Carpzov, Introd. in V. T., t. iii, p. 96-98. La tradition qu’Isaïe fut scié avec une scie en bois dérive d’un apocryphe, VAscensio Isaise, 63 ; cf. édit. Lurenca, v, 11. C’est en vertu de cette même tradition que la plupart des Pères ont appliqué à Isaïe l’expression de l’Épttre aux Hébreux, xi, 27, secti sunt. Ils y ont vu une allusion au supplice d’Isaïe. Pour d’autres détails très incertains, cf. Pseudo-Épiphane, De vit. proph., t. xlHi, col. 397, 419. La date de la mort d’Isaïe est inconnue, bien qu’on’soit porté à la placer en 690. La tradition plaçait son tombeau à Panéas dans le pays de Basan : c’est de là que ses reliques auraient été transportées à Constantinople, en 442, sous le règne de l’empereur Théodose II. Cf. Acta sanet., t. ii, Julii, p. 250. Le martyrologe romain fait mention d’Isaïe et de son genre de mort au 6 juillet. Cf. Baronius, Ad martyrol. rom., 6 Julii.

VII. Autres ouvrages attribués a Isaïe.

Outre ses prophéties, Isaïe avait encore. écrit une histoire du roi Ozias, II Par., xxvi, 22 ; la vision d’Isaïe, dont il est question, II Par., xxxii, 32, contenant une histoire du règne d’Ézéchias, est regardée par certains auteurs comme formant une partie du Livre des rois de Juda et d’Israël, aujourd’hui perdu ; généralement on est plus incliné à croire qu’il s’agit là de la partie des prophéties faites au temps d’Ézéchias. Is., xxviii-xxxix. On a aussi attribué à Isaïe un ouvrage apocryphe : V Ascension d’Isaïe ; cf. Fabricius, Codex pseudepigraphus Veteris Testamenti, 2e édit., Hambourg, 2 in-8°, 17221733, t. i, p. 1087 ; R. Laurence, Ascensio Isaix vatis cumversione latine, in-8°, Oxford, 1819 ; Greswell, An exposition of the parables, 5 in-8°, Oxford, 1834, t. v, part, ii, p. 80.

VIII. Place d’Isaïe parmi les prophètes. — Isaïe est incontestablement le plus grand des prophètes, soit à cause de l’importance de ses révélations, soit à cause des qualités de son style. Il vécut à une des époques les plus troublées de l’histoire, et eut à remplir une mission, qui ne fut jamais confiée à aucun autre prophète. Aussi ne faut-il pas s’étonner des éloges qu’on lui a décernés à maintes reprises. Le plus grand et le plus autorisé de tous les éloges lui a été adressé par le Saint-Esprit lui-même par la bouche de l’auteur de l’Ecclésiastique, xlviii, 25-28 : « Isaïe est un grand prophète, qui marcha fidèlement dans les voies de Dieu ; de son temps le soleil rétrograda : il prévit les derniers événements, et consola ceux qui pleuraient dans Sion : il annonça les choses futures et cachées, avant leur réalisation. » Les Pères de l’Eglise ont fait écho à ces paroles de l’Ecclésiastique. L’auteur de la Synopsis Scripiurm Sacrse, t. xxviii, col. 363, parmi les œuvres de saint Athanasc, xix, 38, dit que < la plupart de ses prophéties sont l’Évangile

lui même ». Eusèbe l’appelle le plus grand des prophètes : ’Haaîaç npooffzwv [isyurroç. Detn. evang., v, 4, t. xxii, col. 370 ; voir aussi ii, 4, col. 127. Saint Isidore de Péluse déclare qu’Isaïe était doué de la plus grande perspicacité : ô SiopattxwTaTo ;. Epist., t. I, ep. xui, t. lxxviii, col. 208. Théodoret l’appelle « le divin », & 8eiÔT<xToç. In Is., Argum. , t. lxxxi, col. 216. Saint Jérôme dit qu’« il n’est pas tant prophète qu’évangéliste ». Prsef. ad Paulam et Eustoch., t. xxviii, col. 771 ; voir aussi Prolog, in Is., t. xxiv, col. 18. « Il me semble, dit saint Cyrille de Jérusalem, qu’Isaïe était orné non seulement de la grâce de la prophétie, mais aussi des dons apostoliques ; il était à la fois prophète et apôtre. » In Is., Proœm., t. lxx, col. 14. Saint Ambroise conseillait à saint Augustin de lire Isaïe, parce qu’« il a été, au-dessus de tous les autres, le prophète de l’Évangile et de la vocation des nations ». De Civ. Dei, XVIII, xxix, 1, t. xli, col. 585. Cf. aussi Conf., ix, 5, t. xxxii, col. 769 ; Joséphe, Ant. jud., X, ii, 2 ; J. Eadie, À biblical Cyclopœdia, in-8°, Londres, 1870, p. 343. V. Ermoni.

    1. ISAIE (LE LIVRE D’)##


2. ISAIE (LE LIVRE D’). — I. CARACTÈRE DU LIVRE. — Le livre d’Isaïe, dans sa forme actuelle, est une simple collection de prophéties faites dans des circonstances diverses, et par conséquent à différentes époques. Il ne forme pas un tout suivi, une composition où tout s’enchatne avec ordre et méthode ; ce n’est pas une œuvre conçue et exécutée d’un seul jet ; c’est plutôt un recueil. C’est du reste là le caractère des écrits prophétiques en général. L’esprit prophétique ne s’accommode pas facilement d’un ordre rigoureusement symétrique ; il obéit à l’inspiration, au souffle divin, et le souffle divin est libre dans ses mouvements. — De ce que le livre d’Isaïe est un recueil, on aurait tort pourtant de soutenir qu’il ne présente aucun ordre. En soutenant cette thèse, Luther, et quelques critiques rationalistes qui ont marché sur ses traces, Koppe, Eichhorn, Hitzig, Ewald, sont tombés dans une exagération manifeste. L’exégèse de nos jours, plus critique et aussi plus sévère, ne conteste plus ce point, qu’un examen attentif et minutieux de la forme littéraire du Livre a établi d’une manière satisfaisante.

II. Éditeur du recueil.

L’arrangement et la disposition des matériaux doivent être attribués à Isaïe lui-même. Nulle raison, quoi qu’en disent les auteurs rationalistes, ne nous porte à admettre le contraire, et à refuser au grand prophète le mérite d’avoir disposé ses oracles dans l’ordre actuel. Au surplus une raison d’analogie nous donne le droit de penser et de croire qu’Isaïe est l’auteur de l’arrangement du livre : on peut retenir, comme un principe général de critique littéraire, que les livres prophétiques, quels qu’en soient le contenu, l’étendue et les tendances, ont été mis en ordre par les auteurs dont ils portent le nom, à moins que des raisons sérieuses ne nous forcent à soutenir le contraire. C’est ainsi que, de l’aveu de tous les critiques, Ézéchiel a disposé, dans le recueil biblique, la collection de ses prophéties telle que nous l’avons aujourd’hui. Jérémie nous apprend lui-même qu’il a écrit et publié deux fois ses propres prophéties. Jer., xxxvi, 2, 28, 32. Nous devons donc conclure qu’Isaïe fit de même pour ce qui concerne les siennes. Enfin le titre des prophéties d’Isaïe, i, 1, n’est nullement limitatif : il ne fait aucune distinction ; dès lors, comme il nous donne le droit de conclure à l’authenticité de toutes les prophéties, il nous donne aussi celui de conclure à leur arrangement par Isaïe lui-même. — Les critiques qui ont nié qu’Isaïe fût l’auteur de la disposition actuelle, et qui nous parlent de compilateur et de compilation, s’appuient sur deux raisons : 1° Le manque d’unité littéraire ; le livre d’Isaïe, disent-ils, manque d’unité littéraire ; par conséquent beaucoup de prophéties ne sont pas d’Isaïe lui-même, et la disposition actuelle est l’œuvre d’un compilateur. — Ce reproche n’est pas fondé, comme on le verra plus loin