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INSPIRATION


sur eux pour la composition des Livres Saints se nomme l’inspiration. Son existence prouvée, il s’agit d’en déterminer avec exactitude et précision la nature intime. Comme l’action inspiratrice de Dieu sur les écrivains sacrés est un fait surnaturel et révélé, sa nature ne peut être déterminée a priori ; une pareille méthode n’aboutirait qu’à des théories sans fondement. La notion exacte de l’inspiration biblique devra être tirée des sources de la révélation. Mais quelle voie suivre et quels procédés employer ? Examinerons-nous exclusivement ou principalement les livres canoniques eux-mêmes, leur contenu, la manière dont leurs auteurs humains les ont rédigés et le but que ceux-ci se proposaient d’atteindre ? Etudierons-nous comment ils sont et ce qu’ils sont, avant de savoir et afin de savoir comment ils sont inspirés ? Ce procédé critique, proposé dans la Revue biblique, t. v, 1896, p. 488, est insuffisant, sinon même dangereux ; la méthode théologique, recommandée dans la même Revue, ibid., p. 497-498, est seule complète et satisfaisante. Elle consiste à interroger les affirmations de l’Écriture, les enseignements de la tradition ecclésiastique et la doctrine de l’Église sur l’inspiration, et à les interpréter et à les coordonner d’après les principes de la saine philosophie et sans se mettre en contradiction avec le contenu de la Bible. Commencée par les théologiens scolastiques, cette exposition théologique de la nature de l’inspiration a été perfectionnée par le travail de leurs successeurs et fixée dans ses grandes lignes par le concile du Vatican. Dans l’Encyclique Providentissinrus Deus, Léon XIII a exprimé l’enseignement commun et certain des docteurs. Nous prendrons pour guides ces deux déclarations doctrinales et nous indiquerons successivement les légères divergences d’interprétation des théologiens contemporains. Or le concile du Vatican a d’abord écarté et condamné deux notions fausses ou incomplètes de l’inspiration scripturaire ; puis, il a précisé la véritable nature de ce concours divin qui a abouti à la composition des Livres Saints par l’intermédiaire des écrivains sacrés.

1. NOTIONS FAUSSES OU INCOMPLÈTES.

L’Église tient les Livres Saints pour sacrés et canoniques, « non parce qu’après avoir été composés par le seul art de l’homme, ils ont été ensuite approuvés par l’Église, ni par le seul fait qu’ils contiendraient la révélation sans mélange d’erreur. » Const. Dei Filius, c. ii, De revelatione. L’autorité infaillible de ces Livres ne résulte donc pas de la seule sanction de l’Église qui les déclarerait canoniques, ni du simple fait d’être les dépositaires fidèles de la vérité révélée. Cette décision écarta deux erreurs contemporaines.

1° L’approbation subséquente des Livres Saints par T Eglise ne suffit pas à les rendre sacrés et canoniques. — L’erreur, condamnée par le concile du Vatican, est différente de l’opinion de Lessius et de Bonfrère. Au nombre des propositions extraites en 1587 des leçons, du jésuite Lessius, la troisième, concernant l’Écriture Sainte, était conçue en ces termes : « Un livre (tel qu’est peut-être le second livre des Machabées), écrit avec les seules ressources humaines, sans l’assistance du Saint-Esprit, devient Écriture sainte, si le Saint-Esprit témoigne subséquemment qu’il ne s’y trouve rien de faux. » Le professeur expliqua son sentiment qui avait été censuré par les facultés de théologie de Loiivain et de Douai. Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, Paris, 1736, t. iii, 2° pars, p. 137-138. Enmettant de côté la parenthèse, dans laquelle il est question du second livre des Machabées par pure conjecture, sa proposition hypothétique ne vise pas l’inspiration divine telle que, de fait, elle s’est exercée sur les écrivains sacrés, mais.seulement un mode possible suivant lequel Dieu aurait pu faire d’un livre humain sa parole écrite, une sorte d’Ecriture dùiae. Assurément, un tel livre n’aurait pas Dieu pour

auteur, ne serait pas d’origine divine ; mais, en vertu de la garantie d’absence d’erreur, garantie donnée par le Saint-Esprit, il aurait une autorité divine, il serait infaillible comme l’Écriture inspirée. Cf. Th. Éleuthère (Livin de Meyer), Hist. controvers. divin, gratiæ, Anvers, 1705, p. 17, 24, 759-760,. 775, 786 ; dtvrgentré, Colleclio judic., t. iii, p. 125, 135-138 ; De locis theologicis, t. i, Lille, 1737, p. 74-80 ; Schneemann, Controvers. de divinse gratiæ liberique arbitrii concordia, Fribourg-en-Brisgau, 1881, p. 359, 363, 375, 388-390. Ainsi entendue, l’opinion de Lessius a été généralement rejetée par les théologiens qui l’ont examinée. Voir J. de Sylveira, Opusc. varia, Op. I, Lyon, 1687, 13-15 ; Chérubin de Saint-Joseph, Summa criticæ sacrée, Bordeaux, 1711, t. iv, disp. iii, a. 7, p. 251-276. Quoiqu’elle soit fausse, elle n’a pas été condamnée par la déclaration du concile du Vatican. Mgr Gasser, rapporteur de la députation de la foi, l’a fait observer aux Pères du concile. Lessius, a-t-il dit en substance, a traité seulement une question de pure possibilité, il supposait, de plus, une certaine motion divine qui aurait porté l’écrivain à écrire, et la révélation subséquente que le livre profane ne contenait aucune erreur. Acta et décréta conc. Vaticani, dans la Collectio Lacensis, t. vii, 1892, p. 140-141. Cf. Matignon, Les précurseurs de Molina, dans les Études religieuses, t. v, 1864, p. 582-586 ; Id., La liberté de l’esprit humain dans la foi catholique, 2° partie, ch. i" ; Kleutgen, R. P. Léomardi Lessii de divina inspiratione doctrina, dans Schneemann, op. cit. Bonfrère, Iri totam Script. Sac. prœloquia, c. viii, sect. vu (dans le Script. Sac. cursus completus de Migne t. i, col. 141), distinguant plusieurs modes d’inspiration, appelait le troisième inspiration subséquente et il le faisait consister dans l’approbation du Saint-Esprit en faveur d’un livre, composé sans assistance divine spéciale. Mais il ne l’appliquait pas aux livres actuels de la Bible ; il l’attribuait seulement, par pure supposition, à des ouvrages perdus. De plus, il reconnaissait que Dieu avait donné, au moins, une impulsion générale à écrire. Nieremberg, De origine Sacrée Scripturæ, Lyon (sans date), t. ix, c. iv, p. 289, accepte l’opinion de Bonfrère, en vue d’expliquer les citations d’auteurs profanes qu’on lit dans la Bible. Frassen, Disquisitiones bibliex, Paris, 1682, 1. 1, c. i, § iv, p. 15, parle dans le même sens. Répétons que ce mode d’inspiration n’aurait pas fait que le livre approuvé par le Saint-Esprit aurait été originairement divin ; du moins, il l’aurait rendu, d’une certaine manière, d’une manière différente de celle que Dieu, de fait, a employée, le verbe écrit de Dieu, ayant une autorité infaillible égale à l’autorité dont jouissent les livres inspirés.

L’erreur, condamnée par le concile du Vatican, est différente de cette opinion. Ses tenants prétendaient qu’un livre profane devenait sacré et canonique par le fait que l’Église l’insérait dans le canon des Écritures. Sixte de Sienne, Ribliotheca sancta, t. viii, hæres. 12, Venise, 1566, p. 1046-1047, raisonnant sur le sentiment des Juifs qui tiennent les livres des Machabées comme non inspirés, remarque qu’il importe peu, puisque l’Église reçoit ces livres au canon biblique : « Ils ne perdraient rien de la créance qui leur est due, quand même ils auraient été écrits par un auteur profane ; car cette créance leur est due, non à cause de l’auteur, mais à cause de l’autorité de l’Église catholique, et les choses que celle-ci a admises s’imposent comme vraies et indubitables, quel que soit l’auteur qui les a dites ; je n’oserais affirmer si c’est ici un auteur sacré ou un auteur profane. s Haneberg, Histoire de la révélation biblique, trad. Goschler, Paris, 1856, t. ii, p. 469, entendait l’inspiration subséquente, non plus comme une approbation du Saint-Esprit, mais comme l’admission officielle d’un livre profane au canon biblique par l’Église elle-même, et il appliquait ce mode d’inspira-