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HOSPITALITE

fait an voyageur et à l’étranger en lui offrant, pour. un temps plus ou moins long, l’abri et la nourriture.

I. A l’époque patriarcale.

1° Chez les nomades, le voyageur ne pouvait trouver d’abri et de sécurité pour la nuit que sous les tentes de la tribu qu’il rencontrait. L’hospitalité était donc une nécessité à laquelle chacun pouvait être amené à recourir un jour ou l’autre. Aussi les Orientaux l’ont-ils toujours considérée comme un devoir strict et se sont-ils fait un honneur de l’exercer envers tout étranger. Les mœurs du désert n’ont pas varié sur ce point ; celles des anciens temps sont encore en vigueur chez les Arabes. Voici la façon dont un voyageur a vu procéder ceux-ci il y a trois siècles : « Un étranger n’est pas plutôt arrivé à leur camp, qu’on le reçoit sous une tente ; un Arabe ne peut lui donner qu’une natte pour s’asseoir et pour se coucher, parce qu’ils n’ont point de meubles plus commodes et plus précieux ; … mais il ne lui manque rien pour l’accueil et pour la bonne chère. Il est entièrement défrayé ; ses valets et son équipage sont traités avec le même soin, sans qu’il lui en coûte autre chose pour tout remerciement qu’un « Dieu vous le rende », lorsqu’il prend congé pour se remettre en chemin. Ils commencent à recevoir l’étranger par une infinité de compliments réitérés, pour lui témoigner la joie qu’ils ont de son arrivée. .. Ils l’entretiennent le plus agréablement qu’ils peuvent, tandis que les femmes préparent les viandes nécessaires pour les régaler, et que d’autres gens prennent le soin d’accommoder les chevaux, de ranger le bagage et de pourvoir à toutes les choses dont lui, sa compagnie et ses domestiques peuvent avoir besoin. On vient ensuite servir à manger ; chacun prend sa place autour des jattes pleines de riz, de potage et des viandes qu’ils ont accommodées à leur manière. Personne ne parle durant le repas, et, après qu’on a mangé, on porte le reste aux domestiques. Ensuite on sert encore du café et du tabac, et la conversation continue jusqu’à ce qu’il leur prenne envie de dormir. Alors chacun se retire chez soi et on laisse l’étranger avec ses gens dans une pleine liberté… Quand il veut poursuivre son voyage, il remercie ses hôtes et il monte à cheval avec ses gens sans autre cérémonie. Alors on lui fait mille souhaits pour sa santé et pour un heureux succès de ses affaires. Ils le prient de venir souvent les voir et d’être assuré qu’il ne saurait leur faire un plus grand plaisir. » De la Roque, Voyage dans la Palestine, Amsterdam, 1718, p. 121-123. Les droits de l’hospitalité sont même si imprescriptibles qu’aucune indélicatesse de la part de l’étranger ne saurait autoriser à les enfreindre. Robinson, Biblical researches, Londres, 1867, t. i, p. 80, raconte qu’un jour il acheta un chevreau à des Arabes et le donna à ses guides pour leur ménager un bon souper.

« Au soir, le chevreau fut tué et dépouillé promptement.

Il était encore sur le feu et commençait à répandre d’agréables émanations, surtout pour des narines arabes, quand bientôt la scène changea. Les Arabes, vendeurs du chevreau, avaient appris que nous campions tout près. Ayant tiré cette conclusion assez logique que ce chevreau avait été acheté pour être mangé, ils jugèrent à propos d’honorer nos Bédouins de leur visite, au nombre de cinq ou six. Or la loi stricte de l’hospitalité, en vigueur chez les Bédouins, exige que tout hôte présent à un repas reçoive la première et la meilleure part de ce qui est à manger. Les cinq ou six survenants atteignirent dans le cas présent le but qu’ils s’étaient proposé : après avoir vendu le chevreau, ils le mangèrent. Pour nos pauvres Bédouins qui s’étaient réjouis d’avance, ils n’eurent que les os. » Aujourd’hui encore, les populations les plus pauvres se réduisent au dénument plutôt que de manquer au devoir de l’hospitalité. Mgr Cadi, archevêque grec du Hauran, signale, parmi les causes qui plongent ses diocésains dans l’indigence la plus extrême, « l’hospitalité fréquente et gratuite, qui est une véritable loi pour le pays. » Dans La Terre Sainte, t. xvii, 10, 15 mai 1900, p. 160.

2° » Le ch. xviii, 2-9, de la Genèse montre en action la manière dont s’exerçait l’hospitalité orientale au temps d’Abraham. Le patriarche voit devant lui trois étrangers qui lui semblent considérables. Non content de se lever, comme pour des voyageurs ordinaires qui se seraient adressés à la première tente venue dans le campement au lieu d’aller à celle du chef, il marche à leur rencontre et se prosterne devant eux pour leur témoigner son respect. Obéissant ensuite à l’étiquette de l’hospitalité orientale, qui veut qu’au regard des hôtes on fasse peu de cas de sa personne et de ses biens, il demande comme une grâce aux étrangers de s’arrêter près de lui et de permettre qu’on leur lave les pieds et qu’on les fasse asseoir à l’abri. L’eau pour les pieds est le premier soulagement que l’on offre au voyageur qui a longuement marché et que ses sandales n’ont pas préservé de la poussière du désert. Gen., xix, 2 ; xxiv, 32 ; xliii, 24 ; Jud., xix, 21 ; II Reg., xi, 8. Abraham dit ensuite aux visiteurs qu’il va leur faire préparer « un morceau de pain », autre manière de parler qu’impose la courtoisie pour désigner le festin qui va être improvisé : le pain et les gâteaux faits de fleur de farine, le veau tendre et bon que le patriarche va lui-même choisir dans son troupeau, la crème et le lait, qui termineront le repas. C’est encore là aujourd’hui le menu des festins servis à l’étranger dans le désert. Ordinairement c’est un chevreau qui fait les frais du repas. Voir t. ii, col. 696. Aux personnages plus marquants, on offre tout un veau. Pendant que les serviteurs servaient les trois hôtes assis à l’ombre de l’arbre, Abraham se-tenait debout, comme prêt à exécuter leurs moindres désirs. Ce fut seulement après le repas que la conversation s’engagea sur le sujet de la visite. Aucun des traits de cette réception n’a cessé de se perpétuer au désert. Rosenmüller, Scholia in Genes., Leipzig, 1795, p. 195-199, Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, Paris, 1896, t. i, p. 510-512.

3° Une hospitalité analogue est offerte par Lot aux deux anges, Gen., xix, 2, 3 ; par Rébecca et Laban à Eliézer et à Jacob, Gen., xxiv, 17-20, 31-33, 54 ; par Gédéon à l’ange. Jud., vi, 18, 19, etc.

4° On eût regardé comme un crime de refuser l’hospitalité à qui en avait besoin. Job, xxxi, 31, 32, se rend le témoignage de n’avoir jamais commis pareil manquement :

Les gens de ma tente n’ont pu dire ;
Que ne pouvons-nous manger de ses mets !
L’étranger ne passait pas la nuit dehors,
J’ouvrais ma porte au voyageur.

Quand Moïse eut défendu contre les pasteurs les filles de Raguël, celui-ci reprocha à ces dernières d’avoir manqué au devoir de l’hospitalité : « Pourquoi avez-vous laissé partir cet homme ? Appelez-le pour manger le pain. » Exod., ii, 19, 20.

II. Chez les Hébreux.

1° L’hospitalité a été en honneur chez tous les peuples de l’antiquité. Cf. Winer, Biblisches Realwörterbuch, Leipzig, 1833, p. 456-453. Elle ne fut point méconnue par les Hébreux, que de graves raisons portaient d’ailleurs à l’exercer : les exemples de leurs ancêtres les patriarches, les prescriptions de leur loi et les nécessités même de leur culte.

2° Il était écrit dans la loi : « Jéhovah, votre Dieu, … aime l’étranger et lui donne de la nourriture et des vêtements. Vous aimerez l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte. » Deut., x, 18, 19. Or l’étranger, c’était aussi bien l’hôte qui ne faisait que passer un jour, Sap., v, 15, que celui dont la résidence se prolongeait dans le pays. Voir Étranger, t. ii, col. 2040.

3° Dès le temps des juges, l’hospitalité s’exerce en Israël. Jud., vi, 18, 19 ; xiii, 15. Le lévite d’Éphraïm reçoit du vieillard de Gabaa l’hospitalité la plus courtoise. Jud., xxi,