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HERMÉNEUTIQUE


Concluons. Quelle que soit l’importance théorique de cette discussion, la diversité des solutions n’entraîne pas des conclusions pratiques différentes. En effet, que le pouvoir interprétatif de l’Église soit complet ou incomplet, qu’il soit positif et direct ou seulement négatif et indirect, le nombre des interprétations infaillibles de passages scripturaires que l’Église a déjà données, n’en est pas augmenté. Quant à celles qui pourront se produire dans l’avenir, l’exégète catholique doit être toujours disposé à les recevoir et à se soumettre au pouvoir de l’Église, car il sait que l’Église ne peut se tromper sur l’étendue de son pouvoir. Si elle interprétait une proposition qui lui aurait paru étrangère à son domaine, tel qu’il l’entendait, il conclurait simplement qu’il existait, entre elle et la révélation, un rapport jusqu’alors’mal perçu. Cf. Lagrange, L’interprétation de la Sainte Écriture par’l’Église, dans la Revue biblique, t. ix, 1900, p. 140. Dès lors, un champ immense reste ouvert à l’exégèse, et nous pouvons ajouter avec Léon XIII, Encycl. Providentissimus Deus, t. i, p. xxi-xxii : « Par cette loi pleine de sagesse, l’Église ne retarde ni ne restreint nullement les investigations de la science biblique ; elle les préserve plutôt de toute erreur et les aide considérablement à faire de vrais progrès. Car chaque docteur privé a devant lui un champ immense, dans lequel il peut s’avancer avec sécurité et déployer son habileté d’interprète, pour son honneur et pour l’utilité de l’Église. D’abord, quant aux passages de la Sainte Écriture non encore exposés d’une façon certaine et définie, on peut ainsi arriver, par une suave disposition de la Providence divine, à préparer, pour ainsi dire, l’étude de l’Église et à hâter son jugement. Ensuite, quant aux textes déjà définis, le docteur privé peut également se rendre utile, soit en les expliquant plus clairement au peuple fidèle, soit en les proposant’d’une manière plus ingénieuse aux savants, soit en les défendant plus brillamment contre les adversaires. »

2e règle : Dans l’interprétation de la Sainte Ecriture, l’exégète catholique doit adopter le sens admis par le consentement unanime des Pères. — Au sens précis du mot, les Pères de l’Église ne sont pas tous les écrivains ecclésiastiques, mais seulement ceux qui, par leur doctrine, leur sainteté et leur antiquité, ont reçu ce titre spécial. Ils sont nombreux du 1 er au xiie siècle, de saint Clément de Rome à saint Bernard. Or, leur sentiment, commun en matière d’exégèse s’impose parfois à notre assentiment.

Légitimité de cette règle.

l.LesPères eux-mêmes

l’ont reconnue et suivie. Saint Jérôme, In Dan., xi, 45, t. xxv, col. 575, dit qu’on ne peut acquérir l’intelligence de l’Écriture sans la grâce de Dieu et l’enseignement des anciens. Il observe lui-même cette règle. Epist. XLYlll, ad Pammach., 15, t. xxii, col. 505 ; Epist. cviii, ad Eustochium, ’2Q ; ibid., col. 902. Saint Augustin, Deutilitate credendi, 17, n. 35, t. xlii, col. 91, traite d’orgueilleuse la pratique contraire. Au rapport de Rufin, H. E., il, 9, t. xxi, col. 518, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze interprétaient l’Écriture d’après les écrits et l’autorité des anciens. Saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 27, t. l, col. 674, expose très nettement cette loi et après lui, saint Grégoire le Grand, Exposit. in 1 Reg f ^ îv, 5, n » 13, t. lxxix, col. 289-290, et saint Léon le Grand, Epist. lxxxii, n. 1, t. liv, col. 918. Cf. R. Simon, Réponse aux sentiments de quelques théologiens de Hollande, Rotterdam, 1686, p. 32-43. — 2. Les décrets des conciles de Trente et du Vatican, la profession de foi de Pie IV joignent le Consentement unanime des Pères à l’autorité de l’Église et font une loi à l’exégète d’adopter le sens scripturaire admis ainsi par tous les Pères, aussi bien que celui qui est proposé par l’Église. D’ailleurs, la loi d’interpréter l’Écriture conformément à l’autorité des Pères, avait déjà été reconnue au concile in trullo, c. xix, Labbe, Collect. cône., t. vi, p. 1355, au concile de

Vienne, Contra errores Olivi, Denzinger, Enchiridion, n. 408, p. 147, et au cinquième concile de Latran. Labbe, Collect. conc., t. xix, p. 946. L’instruction de Clément VIII, reproduite en tête des éditions de VIndex, signale aux évêques et aux inquisiteurs qui sont chargés de corriger et d’expurger les livres, les paroles de l’Écriture détournées du sens unanime de la tradition catholique. — 3. Enfin, en matière de doctrine dogmatique ou morale, le consentement unanime des Pères n’est qu’un mode particulier de manifestation de la foi de l’Église et de son magistère ordinaire, de telle sorte que cette règle ne diffère de la précédente que pour la forme, suivant laquelle l’enseignement ecclésiastique est donné, et non pour le fond. Aussi, dans les congrégations particulières et générales du concile du Vatican, on discuta la suppression ou le maintien du consentement unanime des Pères après le sens admis par l’Église. Plusieurs membres de la commission voyaient un pléonasme dans sa mention, qui avait, par suite, disparu du texte de la Constitution. On l’y rétablit cependant, pour ne pas paraître abandonner ce que le concile de Trente avait déclaré. Acta et décréta conc. Vaticani, p. 144-146. C’est pourquoi Léon XIII, Enc. Providentissimus Deus, t. i, p. xxiii, a reconnu aux saints Pères « une autorité souveraine chaque fois qu’ils expliquent tous d’une seule et même manière quelque témoignage biblique, comme appartenant à la doctrine de la foi et des mœurs ; car, de cet accord même, il apparaît nettement que les apôtres ont ainsi enseigné ce point comme de foi catholique ».

2° Conditions requises pour que cette règle soit obligatoire. — Des termes de l’encyclique pontificale, il résulte que, pour être souveraine et s’imposer à l’exégète catholique,-torité des Pères doit remplir deux conditions : il faut un consentement unanime, qui témoigne d’un enseignement infaillible du magistère ordinaire de l’Église. — 1. L’unanimité est requise. On ne peut évidemment exiger une unanimité absolue et mathématique, puisque le nombre des Pères n’est pas fixé mathématiquement, puisque tous n’ont pas interprété la sainte Écriture, puisque enfin les ouvrages de ceux qui l’ont fait ne nous sont pas tous parvenus. Il suffit que cette unanimité soit relative et morale. Elle existera certainement, lorsqu’une partie notable des Pères aura affirmé la même interprétation, sans qu’il se soit élevé aucune réclamation dans les rangs des catholiques, même lorsqu’un petit nombre de Pères s’accordent à proposer comme certaine et indubitable une interprétation biblique, pourvu que d’autres n’y aient pas fait d’opposition. Dans ce dernier cas, ceux qui ne disent rien sont présumés être d’accord avec ceux qui expriment le sentiment de l’Église. — 2. Il est surtout nécessaire que les Pères s’accordent unanimement à proposer leur explication comme appartenant à la doctrine que l’Église impose sur la foi ou les mœurs. Leur consentement ne doit pas être un accord accidentel de pensée sur une interprétation libre ; il doit être l’accord formel dans l’affirmation certaine de la doctrine de l’Église sur ce point. Cette affirmation certaine ne doit pas reposer exclusivement sur des raisons d’herméneutique, mais sur l’acceptation traditionnelle dans l’Église. Ils présentent alors leur interprétation comme obligatoire et entrant dans l’édifice de la doctrine chrétienne sur la foi et les mœurs. On dit qu’en ce cas, ils parlent comme témoins de la foi de l’Église et non pas comme docteurs particuliers. Cf. A. Vacant, Études théologiques, t. i, p. 550552. Ainsi comprise, l’autorité souveraine des Pères s’étend à toutes leurs interprétations doctrinales, quel qu’en soit, d’ailleurs, l’objet, qu’elles portent sur un dogme ou sur un fait historique en connexité plus ou moins directe avec le dogme. Il n’y a pas lieu à distinction ; dès lors qu’elle est doctrinale et proposée à l’unanimité, l’interprétation de l’Écriture par les Pères s’impose.